Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, dont de nombreux pays veulent réduire les émissions. Il est pour bonne partie lié à des activités humaines sur lesquelles il est possible d’agir. Entretien avec Cathy Clerbaux, directrice de recherche au CNRS.

Le 11 octobre, la Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, annonçait la volonté de son gouvernement de taxer les émissions de gaz à effet de serre provenant des élevages du pays. En ligne de mire : le méthane. Ce gaz est produit majoritairement par les pets et les rots de vaches, et figure parmi les plus gros problèmes environnementaux à l’échelle mondiale.
Le méthane, l’autre bombe climatique
Le méthane, ou CH4, est présent en bien moindre quantité dans l’atmosphère que le CO2, et y persiste moins longtemps. Selon le dernier rapport du GIEC, sa concentration dans l’atmosphère est actuellement de 1866 ppb (parties par billions). À titre de comparaison, l’atmosphère comprend 410 ppm (parties par millions) de CO2. Autrement dit, le méthane pèse pour 0,000001866% des gaz de l’atmosphère, le CO2 pour 0,041%.
Selon le GIEC, les émissions de méthane ont augmenté de 156% depuis l’ère préindustrielle, contre une hausse de 64% pour le CO2. Et si le dioxyde de carbone est le premier responsable du réchauffement climatique, le méthane est bien un puissant gaz à effet de serre. À quantité équivalente, CH4 a un effet de serre 28 fois plus puissant que le CO2. Selon Ursula von der Leyen qui s’est exprimée à ce sujet lors de la COP 26, cette molécule chimique est responsable d’environ 30 % du réchauffement de la planète depuis la révolution industrielle.
Une taxe comme celle suggérée par Jacinda Ardern serait la première de ce type au monde. Pourtant, cette proposition de loi visant à lutter contre le réchauffement climatique ne fait pas l’unanimité. L’ONG Greenpeace considère même qu’il s’agit de « greenwashing ». C’est également le cas au sein de la communauté scientifique. Cathy Clerbaux, directrice de recherche au CNRS et chercheuse en physique de l’atmosphère, revient sur les points importants à connaître pour comprendre les enjeux du méthane.
Natura Sciences : Lorsque l’on parle de méthane, on pense souvent aux pets et rots de vaches, et encore plus à la suite de la proposition de loi faite en Nouvelle-Zélande. Mais sont-ils une si grosse source d’émission ?
Cathy Clerbaux : Le bétail représente environ 20 % du méthane émis sur Terre, donc quasiment un cinquième. Ce n’est pas négligeable. Cela étant, les émissions de méthane par les ruminants dépendent d’énormément de facteurs, par exemple de l’alimentation des bêtes.
Quelles sont les principales sources d’émission de méthane ?
Il y a d’abord une série de sources naturelles qui contribuent à hauteur de 40 % environ des émissions de méthane. Parmi elles, il y a notamment les zones humides, comme les marais. Puis, il y a les sources liées à l’activité humaine. Celles-ci sont responsables à 60 % des émissions de CH4. Il s’agit par exemple de la culture du riz, des ordures laissées à l’air libre et entreposées, de l’élevage – surtout des vaches. Les fuites sont aussi des sources importantes d’émanations de méthane. En cause : les pipelines dans lesquels sont transportés le gaz.
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Dans ce contexte, pensez-vous qu’il est judicieux de taxer les émissions de méthane produites par les élevages bovins ?
C’est sûr qu’avec une taxe sur les vaches, les éleveurs seraient amenés à s’affranchir d’une partie de leurs élevages. Il y aurait donc moins de vaches et donc moins de méthane émis. Pareil pour la culture du riz. Il y a des manières de cultiver pour émettre moins de gaz que les méthodes actuelles [limiter le niveau de l’eau à plus ou moins 6 centimètres en-dessous du niveau du sol, soit des niveaux bien inférieurs à ce qui est pratiqué, NDLR].
Honnêtement, il serait plus rationnel de se pencher sur la réduction des fuites de méthane qui se produisent tout au long du transport du gaz. À l’échelle du globe, il faudrait limiter les fuites le long des pipelines. Il y en a vraiment beaucoup. Je travaille sur des satellites qui permettent de les repérer.
Pourquoi ne pas se servir de ces satellites pour repérer précisément les zones d’où proviennent toutes les émanations de méthane ?
En fait, c’est très compliqué. Pour repérer une forte émanation à proximité d’un lieu, il faudrait avoir des capteurs absolument partout. Or, ce n’est pas le cas actuellement. Il y a par exemple des capteurs de méthane au milieu de Paris qui vont nous permettre d’avoir juste un quota pour cette ville mais rien ne permet de dire que telle émanation de méthane vient de tel élevage ou décharge. Il faut savoir que le méthane a une durée de vie d’environ dix ans, et une fois émis, il se déplace très vite. Le gaz rejeté par exemple au-dessus de Paris, est en quatre semaines au-dessus de la Chine et a fait le tour du globe en six semaines.
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Ainsi, le satellite permet de voir en continu les émissions de gaz, sur des échelles géographiques importantes. Mais il nous permet tout de même de repérer assez précisément les fuites sur les pipelines. En effet, ces ouvrages se situent principalement dans des périmètres où il n’y a rien d’autre, à part ces tuyaux et un fond qui ne bouge pas.
Pensez-vous que nous pouvons espérer une réduction du méthane émis à l’avenir ?
Ces dernières années, les politiques se rendent compte que le méthane est un enjeu, et qu’il faut le surveiller. Lors de la COP 26 en 2021, 80 pays se sont même engagés à émettre 30 % de méthane en moins d’ici 2030. Mais cette prise de conscience ne s’est pas faite qu’au niveau politique. Les chercheurs s’alarment également de plus en plus quant aux effets néfastes du méthane sur notre planète. Alors les avancées scientifiques vont plus vite. Plusieurs satellites de plus en plus précis ont été lancés récemment. Nous n’en sommes pas encore à pouvoir déterminer des chiffres précis au-dessus de certaines zones. Mais les progrès sont déjà énormes, il y a trois, quatre ans il n’y avait rien à ce niveau là.