En a-t-on fini avec les documentaires environnementaux réalisés depuis un hélicoptère parcourant la planète ? Les cinéastes semblent revoir leurs pratiques afin de faire coïncider sensibilisation, ambition cinématographique et respect de la planète. À l’image de Flore Vasseur, dont le documentaire « Bigger Than Us », est sélectionné aux César 2022.

Peut-on alerter sur la déforestation galopante en filmant l’Amazonie depuis un hélicoptère ? Est-il souhaitable de présenter une réserve naturelle en y dépêchant une équipe de tournage de l’autre bout du monde ? Peut-on accepter le financement de son documentaire écologiste par une organisation peu vertueuse ? En somme, est-ce que sensibiliser des milliers de spectatrices et spectateurs à la crise climatique et environnementale justifie d’user de moyens de production polluants ?
« Le meilleur moyen de réaliser un documentaire avec une empreinte carbone neutre reste de ne pas réaliser de documentaire du tout », ironise Alissa Aubenque, directrice des opérations auprès de l’association Écoprod, spécialisée dans le conseil environnemental à la production cinématographique. À défaut de cet extrême peu souhaitable, des cinéastes travaillent depuis quelques années à diminuer leur impact environnemental.
Un milieu de plus en plus sensible à son empreinte environnementale
« Plusieurs réalisateurs et réalisatrices ont déjà utilisé le Carbon clap [ndlr : outil de calcul de l’empreinte carbone d’un tournage, pensé par Ecoprod], témoigne Alissa Aubenque. Nous discutons de plus en plus avec de jeunes cinéastes sensibles à ces questions mais aussi des professionnels, dans le métier depuis plus longtemps, prêts à revoir leurs pratiques, la quantité de films qu’ils produisent. L’idée n’est pas non plus d’entraver la création ». Depuis 2015, la directrice des opérations constate que la prise de conscience environnementale infuse dans le monde du cinéma.
« J’apprends de film en film à faire mieux. Sensibiliser reste ma priorité mais je cherche à m’approcher du plus neutre et du plus juste possible, c’est une question de cohérence », explique Flore Vasseur, réalisatrice de « Bigger Than Us », documentaire consacré aux combats, notamment écologistes, de jeunes militantes et militante. « Cette démarche doit être évidente pour la réalisatrice mais aussi pour toute l’équipe, et notamment de la production », ajoute la documentariste dont le film figure parmi les nommés aux César 2022.
Les transports : bête noire des documentaires écologistes
« Vous sentez-vous coupable de prendre l’avion dans le cadre d’un documentaire environnemental ? » C’est en substance la question de Cyril Dion à Bella Lack et Vipulan Puvaneswaran, protagonistes de son documentaire « Animal ». Le long métrage également nommé aux César 2022, alerte sur la sixième extinction de masse. Alors que les adolescents s’apprêtent à prendre l’avion afin de rencontrer un scientifique, ils confient leur culpabilité au cinéaste.

« Avant la potentielle dégradation causée par un tournage dans un milieu naturel, l’impact principal des films documentaires est sans aucun doute les transports », explique Alissa Aubenque. Difficile en effet, de réaliser un documentaire sur un phénomène global comme la crise environnementale sans un tournage à l’étranger. Longtemps attaché à son hélicoptère et ses paysages « vus du ciel », le documentariste Yann Arthus Bertrand a récemment déclaré ne plus prendre l’avion pour les besoins de ses tournages et faire appel à des équipes locales, munies de drones.

Flore Vasseur témoigne de son expérience sur « Bigger Than Us » : « Les transports, constituent un poste émetteur de GES difficilement réductible. Déléguer le tournage à une équipe locale c’est réaliser un film totalement différent. Nous avons toutefois été attentifs à conserver une frugalité de moyens sur place. Nous sommes partis en petit comité avec de petites caméra. Nos interlocuteurs se sont sentis d’autant plus respectés ».
La compensation carbone en dernier recours
S’ils peuvent difficilement repenser totalement la question des transports, les documentaristes veillent à réduire les autres postes d’émissions de GES. « Ils peuvent mieux gérer les déchets, utiliser des équipements techniques plus modestes, note par exemple Alissa Aubenque. Dans tous les cas, ce sont des questions qu’il faut se poser avant même le début du tournage. Elles impactent toute la production ». Flore Vasseur explique avoir raisonné ainsi : « Dès le crowdfunding, nous avons pensé à des contreparties symboliques et non pas matérielles et polluantes. Sur le tournage Melati [ndlr : protagoniste de « Bigger Than Us »] a demandé qu’on élimine le plastique ».
Parallèlement, Flore Vasseur, de même que d’autres documentaristes, a opté pour la compensation carbone de son tournage. Sur la page de son crowdfunding, l’équipe d’ »Animal explique notamment : « Nous allons compenser l’empreinte carbone du tournage (voyages et matériel), ainsi que celui de la post-production et de la tournée d’avant-premières. Nous choisirons des projets de reforestation […] ». Une solution qui doit rester complémentaire, rappelle Alissa Aubenque : « Nous sensibilisons d’abord à comprendre, réduire son impact environnemental et, dans un second temps seulement à le compenser ».
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