Jusqu’au 30 septembre, le Festival de La Gacilly en Bretagne expose les photographies de Mélanie Wenger. À bord du navire Marion Dufresne, elle a exploré les Terres australes et antarctiques françaises, deuxième aire marine protégée la plus vaste au monde. Un moyen de sensibiliser le plus grand nombre à la crise climatique et la richesse des écosystèmes.


En 1772, Marc-Joseph Marion Dufresne, Julien Crozet puis Yves-Joseph de Kerguelen s’aventurent au beau milieu du Pacifique, sur la route des Indes. Ils découvrent une série d’archipels uniques, dotés d’une biodiversité sans commune mesure. Une faune et une flore foisonnantes, conservées dans l’écrin d’un océan agité et hostile à l’Homme. 250 ans plus tard, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), sont l’objet de nombreuses études scientifiques. Les chanceux pouvant fouler les îles de Kerguelen, Amsterdam, Saint-Paul et l’archipel Crozet demeurent toutefois peu nombreux, escortés par le Marion Dufresne.
En décembre dernier, la photographe Mélanie Wenger a pu embarquer à leurs côtés, à bord d’une rotation de ce navire ravitailleur. Elle expose les clichés de cette expédition unique à l’occasion du Festival photo de La Gacilly (Morbihan), qui s’ouvre ce mercredi et se poursuit jusqu’au 30 septembre. Une façon de présenter au grand public ces territoires français méconnus, deuxième plus grande aire marine protégée au monde, depuis février dernier.
Très peu de photographes ont accès aux TAAF. Qu’avez-vous ressenti en découvrant ces îles ?
C’est une émotion très forte. Dès que le Marion Dufresne passe les quarantièmes rugissants, l’océan s’énerve, on se retrouve dans une atmosphère très particulière. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux explorateurs qui sont arrivés là il y a 250 ans. Il s’agit de territoires peu arpentés puisque difficiles d’accès, mais grandioses. On se sent tout petit face à ses îles très inhospitalières, leur biodiversité foisonnante. Ici, la nature a tous ses droits.
Je travaille sur la protection des espèces et la conservation depuis une dizaine d’années. J’ai notamment travaillé autour du braconnage, du trafic d’ivoire, mais aussi des espèces de manchots. Cela faisait tout à fait sens de travailler sur les TAAF.
Quelles espèces animales avez-vous pu photographier sur les TAAF ?
Ces îles abritent des espèces foisonnantes et uniques. On y retrouve notamment la colonie de Ratmanoff. Avec près de 200 000 manchots, c’est une des plus grandes du monde. En décembre, ils pondent et restent au maximum sur les plages. Nous nous sommes retrouvés au milieu d’une étendue blanche, noire et jaune. C’est d’ailleurs extrêmement difficile à photographier parce qu’il est difficile d’identifier ce dont il s’agit.

Il y a aussi énormément d’espèces d’oiseaux comme des albatros. Il y a aussi des otaries, des éléphants de mer qui partent ensuite en Antarctique pour pécher…
Comment photographier la faune sauvage sans la mettre en danger ?
Ce sont des animaux qui ne sont absolument pas habitués à l’homme. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils n’en ont pas peur pour autant. Ils viennent involontairement au contact des humains. C’est toutefois un contact que l’on essaie d’éviter en tant que photographe mais aussi en tant que scientifique.
Je travaille sur les espèces menacées, comme les manchots d’Afrique, depuis plus d’une dizaine d’années. À cette occasion, j’ai développé des manières éthiques de photographier la faune. C’est notamment pour cette raison aussi que j’ai été choisie pour ce reportage. Je travaille par exemple le plus possible avec des focales très longues pour garder mes distances. Ou avec des pièges caméra, qui se déclenchent par le mouvement.
Et en ce qui concerne la flore ?
La réserve a mis en place un protocole de protection de la biodiversité locale. Pendant des années, les personnes qui se sont rendues sur les TAAF ont réintroduits non seulement des animaux, mais aussi des végétaux de manière intentionnelle ou non. Aujourd’hui, il s’agit de se débarrasser de toute espèce invasive. Certaines ont envahi l’espace et menacent les écosystèmes. Par exemple, les chats n’étaient pas présents avant la venue de l’Homme sur les TAAF.
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Au-delà du protocole d’élimination, il y a un protocole afin d’éviter de ramener de nouvelles espèces. Il y a ainsi des procédures de biosécurité complexes. Le Marion Dufresne et chacune des bases possèdent des sas de biosécurité. Dès que l’on descend du navire, on nettoie absolument tous les recoins de ce qu’on emporte avec soi, y compris le dessous des chaussures. Parce que l’on peut emporter et déposer des graines sans même le savoir.
Les TAAF sont la deuxième plus grande aire marine protégée au monde depuis février. Cela témoigne d’une certaine altérabilité ?
J’ai découvert plus que jamais la fragilité de la Terre. Ces îles cristallisent toutes les conséquences de la crise climatique. Je me suis notamment intéressée au plus grand glacier français. Oubliez la Savoie, il s’agit de la calotte glaciaire Cook, qui se trouve sur l’île de Kerguelen ! Cet immense glacier a toutefois perdu 40% de ses glaces ces dernières années. Le seul moyen de l’observer est de le survoler en hélicoptère pendant la rotation. On se rend alors compte que la calotte s’est retirée de plusieurs dizaines de mètres. Aujourd’hui, il reste du sable noir et l’eau qui s’écoule jusqu’à l’océan. C’est consternant.

Par ailleurs, les TAAF sont notamment en proie à des pollutions plastiques, alors même qu’il s’agit d’endroits inhabités. Dans le Pacifique, les mers sont agitées et les continents plastiques finissent par s’échouer sur les archipels. C’est surtout le cas sur les îles Éparses.
La photographie vous permet alors de sensibiliser le grand public …
La photographie est un vecteur de sensibilisation précieux. Peut-être plus encore aujourd’hui. Nous utilisons massivement les réseaux sociaux, qui s’appuient davantage sur les photos que sur le texte. C’est une occasion en or d’utiliser la photo pour parler des maux de notre planète et de ce que nous pouvons faire à notre échelle pour enrayer la crise actuelle.
Le Festival de La Gacilly attire près de 300 000 visiteurs chaque année. C’est le meilleur endroit où cette série pourrait être exposée. C’est une manière de toucher le grand public avec ces problématiques importantes.