Faire les bons choix de consommation sans se faire avoir par un marketing plein de greenwashing n’est pas toujours aisé. C’est pour cela que Pierre Rouvière signe avec Barnabé Crespin-Pommier « Écolo, mon cul ! », un ouvrage destiné à démêler le vrai du faux de 14 dilemmes écologiques du quotidien. À cette occasion, Natura Sciences s’est entretenu avec le jeune ingénieur en éco-conception, qui pointe un regard acéré et sarcastique sur notre société, le marketing et notre rapport aux messages écologiques.
À un moment donné, ils en ont eu assez que l’on se fasse berner. En cette période où la lutte contre le dérèglement climatique devient une question de survie, nombreuses sont les marques à promettre monts, merveilles et bienfaits écologiques. Un verdissement de logo par-ci, une promesse de recyclabilité par-là, et hop la magie du marketing fait oublier l’impact environnemental d’un produit. Face à ce constat, Pierre Rouvière, jeune ingénieur conseil en éco-conception de 28 ans clame sur Instagram : « Écolo, mon cul ! ».
Depuis 2020, le jeune homme pointe du doigt et tourne en ridicule le greenwashing des marques. L’objectif : révéler ce qui se cache derrière les belles promesses destinées à enfumer les consommateurs. Cette année, l’ingénieur devient auteur et co-signe, avec l’écrivain Barnabé Crespin-Pommier, son premier ouvrage « Écolo, mon cul ! 14 dilemmes quotidiens pour aller au-delà du bullshit écologique » (Ed. Eyrolles, 19 €).
Dans un style direct mêlant conseils avisés, sarcasme et dérision, les deux comparses aident le lecteur à y voir plus clair sur des hésitations que chacun peut vivre au quotidien. Une tomate française est-elle toujours meilleure que son équivalent marocain ? Une cup est-elle forcément plus écologique qu’un tampon ? La voiture est-elle systématiquement plus vertueuse lorsqu’elle est électrique ? À l’occasion de cette parution, Natura Sciences s’est entretenu avec Pierre Rouvière, qui est revenu sur les mécanismes sociaux qui ouvrent la porte à l’écoblanchiment.
Natura Sciences : Vous dites au début de l’ouvrage que la société se trouve actuellement « en état de sidération ». Est-ce cette situation qui rend possible le fait de se faire avoir par le greenwashing et des messages publicitaires trompeurs ?
Pierre Rouvière : L’état de sidération est lié au paradoxe profond que provoque notre modèle de société. Nous sommes constamment confrontés à des injonctions contradictoires à la fois de la part des marques, des entreprises, des politiques. On l’a notamment vu au moment du Covid où l’on nous disait « allez travailler mais restez chez vous ». Lorsqu’il s’agit d’écologie, c’est pareil. Par exemple, on nous dit qu’il faut de la sobriété, mais en même temps on va prôner la croissance. Il y a plein de sujets où l’on dit tout et son contraire.
Donc à la fin, il est légitime de se demander ce que l’on doit faire. Et s’ajoute à cela le fait que certaines marques vont voir l’environnement non pas comme une nécessité mais comme un segment de marché. Elles vont chercher à vendre un produit en s’adressant à un auditoire qui a envie de faire mieux, et elles vont profiter de ça pour faire passer des messages contradictoires, trompeurs. Toi, tu as l’impression de bien faire, et tu te rends compte qu’en fait, tu ne le fais pas forcément. C’est là que l’on se retrouve dans du greenwashing. Et à la fin, on est perdus.
Au début de votre livre, vous dites que pour débusquer le greenwashing, il faut « une dose de bonne volonté ». Mais à l’époque des réseaux sociaux, où le marketing est roi, est-ce suffisant ?
Pour ne pas se faire avoir, il est essentiel de s’informer correctement et ne pas se faire anesthésier par les messages balancés par la pub. Il faut également être au clair sur certains termes. Par exemple, lorsqu’une marque présente un produit comme étant biodégradable, il faut avoir à l’esprit que la biodégradabilité c’est une propriété intrinsèque de la matière. Ce n’est, en aucun cas la caractérisation d’un bienfait environnemental. Il y a des petits réflexes à avoir pour ne pas se laisser berner.
Quand on compare des produits, il y a des remarques qui relèvent du bon sens. Lorsque l’on se dit que dans certains cas, une tomate marocaine est préférable à son équivalent français, la conclusion c’est que la meilleure tomate est de saison et pousse pas très loin de chez soi. Pas besoin de passer par l’analyse du cycle de vie de la tomate pour expliquer qu’il vaut mieux manger local et de saison.
D’un point de vue sémantique, y a-t-il des mots ou des expressions qui renvoient au greenwashing et qui doivent immédiatement nous mettre la puce à l’oreille ?
Il y en a plein. Il faut toujours se demander ce que cachent certains termes. Par exemple, lorsque l’on dit qu’un produit est recyclable, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela ne signifie pas forcément qu’il sera recyclé en bout de chaîne. Il faut aussi se demander quels sont les enjeux liés aux produits que nous achetons. Le fait qu’un emballage soit recyclable rend-il vraiment le produit meilleur ? Il est nécessaire que les consommateurs fassent de l’investigation. C’est en creusant soi-même que l’on apprend des choses.
Mais ce n’est pas le seul levier. Il faut également encadrer les leviers politiques et réglementaires. Le problème c’est qu’aujourd’hui, lorsqu’il y a des cas de greenwashing, on va déposer une plainte auprès de l’ARPP [l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, NDLR]. Or, ce consortium est composé de grands pontes de la communication. C’est un peu les accusés qui sont à la fois juges et bourreaux. Il faudrait qu’il y ait un organisme indépendant qui permette de réguler tout cela.
De manière générale, doit-on considérer que plus un produit est pratique, utile ou fait gagner du temps, plus il est potentiellement anti-écologique ?
Lorsque l’on fait de l’évaluation environnementale, on ne considère pas le produit en tant que tel, mais la fonction qu’il remplit et le service qu’il rend. Évaluer un produit revient à se demander quel est le besoin qu’il y a derrière. Donc, lorsque nous nous trouvons dans une situation d’achat, nous devons systématiquement nous demander si nous avons réellement besoin de l’objet que l’on s’apprête à acquérir. Si le besoin est avéré, il faut prendre sa petite trousse à outils anti-greenwashing pour se demander si l’on est en train d’opter pour la meilleure solution.
Typiquement, la voiture est un exemple emblématique. On peut se demander comment nous en sommes arrivés à une civilisation de la bagnole, spécialement pensée pour la bagnole. Une société dans laquelle les trois quarts des gens ont leur voiture individuelle. On a besoin d’une voiture pour tout. Nos villes sont conçues en fonction de la voiture. C’est un petit peu moins le cas en Europe qu’aux États-Unis, mais quand même. À la campagne, il est pratiquement impossible de vivre sans voiture.
Toutefois, lorsque l’on dit dans le livre que « la voiture la plus éco-réaliste, c’est le vélo », cela n’est pas vrai dans l’intégralité des cas. Si une personne vit à la campagne à 80 kilomètres de son travail, difficile de se passer de l’auto. Force est de constater que dans la majorité des situations, le problème est la voiture en ville. À Paris, la majeure partie des déplacements d’un arrondissement à un autre peut très bien être fait en transports en commun ou à bicyclette.
En clair, les préoccupations environnementales permettent de se poser des questions plus larges sur la société dans laquelle on vit. C’est là que l’on retrouve la notion de complexité [telle qu’Edgar Morin la conceptualise, NDLR]. Il y a plein d’interrelations entre les domaines de compétences. Ce qui influe sur l’impact environnemental a trait à la sociologie, à l’anthropologie, à l’urbanisme.
Le greenwashing trouve-t-il ses fondations dans nos désirs et dans l’idée d’une vie idéale que nous fantasmons ?
C’est évident. L’objectif du marketing est de vendre des produits. Pour le faire, les publicitaires n’hésitent pas à s’adresser à nos désirs les plus primaires. Que cela soit pour un segment de marché très sensible à l’environnement ou pas, l’objectif reste le même. Le marketing vend un idéal de vie et une société rêvée. C’est flagrant notamment dans la publicité pour les voitures. Ces pubs s’adressent aux mâles européens qui ont de la thune à claquer. Dans 80% des pubs pour les SUV, c’est un homme qui se trouve derrière le volant. Ce marketing vend une société hétéronormée dans laquelle la femme fait aussi partie du produit que l’on achète.
Quel message voudriez-vous que les lecteurs retiennent de votre démarche ?
J’aimerais que les personnes qui découvrent le livre apprécient la complexité du problème. Qu’ils soient lucides sur le fait qu’il n’y a pas de solution simple. Le problème n’est pas simple. Et toutes les personnes qui vont essayer de simplifier ces enjeux à outrance peuvent engendrer des répercussions contre-productives. C’est pour cela qu’il ne faut pas se focaliser uniquement sur les émissions de gaz à effet de serre, mais considérer l’ensemble des indicateurs. La raison : il peut y avoir des doubles-effets négatifs qui vont, in fine, avoir un impact sur le climat.
En ce moment, les politiques parlent beaucoup des écogestes, en particulier avec les problèmes d’approvisionnements énergétiques. Mais il ne faut pas confondre la sobriété imposée – cela s’appelle la pauvreté -, à une sobriété réfléchie et pensée collectivement. J’espère que les gens qui liront ce livre réaliseront qu’il y a plein de leviers à actionner. Il y en a énormément à l’échelle individuelle, mais il y en a davantage à l’échelle collective.
Et il ne faut pas non plus que la population soit réduite uniquement à son rôle de consommatrice. Nous ne sommes pas là uniquement pour recevoir. Tout consommateur est aussi un citoyen, qui a un pouvoir d’action à l’échelle politique. Il ne faut pas aussi oublier le levier économique. Nous pouvons choisir où mettre notre argent. Nous devons trouver des solutions ensemble. Sans cela, nous ne nous en sortirons jamais.