En octobre dernier, le Palais de Beaux-arts de Lille lançait une exposition entièrement « écoconçue ». De même, la prise de conscience écologique semble progressivement atteindre les musées et centres d’art français. Les institutions muséales cheffes de file multiplient les mesures encourageantes mais encore balbutiantes et limitées.
Du 15 octobre au 14 février dernier, le Palais des Beaux-arts (PBA) de Lille accueillait une exposition d’un genre nouveau. Autour d’une immense rotonde, se dévoilait la très immersive Expérience Goya. Au-delà du contenu même de cette exposition, sa conception apparaît elle aussi singulière. En effet, le directeur du PBA, Bruno Girveau a déclaré vouloir présenter : « Une alternative aux modèles actuels de production ».
Exit les œuvres importées du monde entier ou les scénographies à usage unique. Le PBA a pensé cette exposition autour de deux tableaux emblématiques issus de sa collection permanente (Les jeunes et Les vieilles de Francisco de Goya), enrichis notamment par une quarantaine de prêts extérieurs provenant uniquement d’Europe. La scénographie de l’exposition pourra, elle, être réutilisée à 70%. Une démarche vertueuse que le PBA de Lille a concilié dans un « Guide pratique de l’écoconception« , à destination d’autres musées. En 2022, ces démarches restent toutefois minoritaires, et les institutions muséales cheffes de file peu nombreuses. Une tendance qui évolue, à petits pas.
Entre greenwashing et initiatives encore limitées
Signe d’un élan volontariste, les postes de responsables de la responsabilité sociétale des entreprises ou des organisations (RSE ou RSO) au sein des musées français se multiplient. Toutefois, Anaïs Roesch, contributrice du rapport Décarbonons la culture ! du think tank The Shift project, alerte quant à leur portée : « Tout dépend d’où ces responsables se situent dans l’organigramme. Lorsque le responsable RSE est rattaché à la communication, ça semble plus superficiel que s’il est attaché à la direction ». Matthieu Boncour, directeur de la communication et responsable RSE au Palais de Tokyo témoigne : « Les musées et les centres d’art s’engagent à travers leur programmation mais font peu concrètement. Lorsque l’on m’a recruté, j’ai pensé qu’il fallait envoyer un message fort en inscrivant ce poste dans l’organigramme ».
Les musées et centres d’art français peinent toutefois à amorcer un virage écologique franc. « Cette difficulté est révélatrice d’un manque de structuration du domaine qui ralentit les transformations », explique Anaïs Roesch. Malgré une bonne volonté affichée, les musées sont ainsi encore peu nombreux à réaliser un bilan carbone régulier, précieux allié dans la transition écologique. « Seuls le musée du Quai Branly et la Réunion des musées nationaux Grand palais ont publié leur bilan carbone sur la base ADEME », alertait en novembre The Shift project. « Notre métier est d’organiser des expositions, pas de faire des bilans carbone, donc nous ne sommes pas formés à ces sujets », explique Matthieu Boncour. « Nous espérons finaliser un référentiel pour 2022, en s’inspirant d’autres institutions, explique Sylvain Amic, directeur de la Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie. Les trente dernières années ont été celles d’un développement sans limite des musées. Il est temps de refermer cette parenthèse ».
Des premières actions autour du réemploi
Avant de bénéficier d’un calculateur carbone sectoriel opérationnel — évoqué par le ministère de la Culture dans un rapport du cycle des hautes études de la culture 2020-2021— les musées et centres d’art multiplient déjà les actions en faveur du réemploi. « Nous faisons en sorte que les personnes qui planifient les différentes expositions les pensent en commun. Notre exposition « Réclamer la Terre » reprend par exemple 85% de la scénographie de l’exposition précédente », explique Matthieu Boncour. Le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne est lui parvenu à réemployer treize fois le bois d’une scénographie.
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Au-delà du réemploi interne, des réserves des arts comme celles de Pantin en périphérie parisienne, permettent aux musées de faire don de socles et cimaises. « Les scénographes naviguent entre le monde du spectacle vivant et des musées et importent souvent leurs savoir-faire, explique Anaïs Roesch. De plus, la scénographie est quelque chose de très matériel, à l’intérieur de l’institution donc les musées s’en emparent plus facilement que la question de la mobilité sur laquelle ils ont l’impression d’avoir moins la main ».
Les transports : principale source d’émission de GES des musées
Comme calculé par l’ONG Julie’s Bicycle en 2021, la mobilité des visiteurs représente pourtant 74% des près de 70 millions de tonnes de CO2 émis chaque année dans le monde par le secteur des arts visuels. « De nombreux musées pensent que ce n’est pas leur problème et évacuent cette question », déplore Anaïs Roesch. La consultante précise : « Il est envisageable de travailler avec les élus locaux sur ce sujet. Mais les musées peuvent aussi proposer des bonus si les visiteurs viennent en transports en commun, limiter les places de parkings voitures, multiplier les places pour les vélos … ».
Au-delà du déplacement des visiteurs, le transport des œuvres participe également à gonfler le bilan carbone des musées et centres d’art. Ainsi, ces institutions sont poussées à repenser leurs expositions, afin de limiter les émissions de CO2 liées au conditionnement et au convoiement des œuvres. Sylvain Amic explique notamment : « Nous essayons de diminuer le nombre de déplacements d’œuvres internationales. Nous avons réalisé quatre grandes expositions impressionnistes entre 2010 et 2020. Nous sommes passés de 50% à 3% de prêts internationaux ». Anaïs Roesch confirme : « Les collections propres des musées regorgent d’œuvres internationales. Il est possible de valoriser ses propres collections plutôt que d’acheminer des œuvres ».
L’épineux sujet des mécènes
Le mécénat des musées commence lui aussi à être scruté dans le cadre de leur transition écologique. « La question est simple : dans quelle mesure peut-on être financé par des entreprises qui détruisent ce que l’on raconte dans nos expositions ? », interroge Anaïs Roesch. Des activistes de 350.org, puis de Greenpeace ont ainsi sommé, en décembre dernier, le musée du Louvre de rompre ses liens avec la Fondation TotalEnergies. « Les musées français sont encore réticent parce qu’ils ne sont pas encore à ce niveau de réflexion », explique Anaïs Roesch.
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Certains musées et centres d’art semblent décidés à ne plus dépendre de mécènes prospérant grâce aux énergies fossiles. « On pourrait demander à nos partenaires de nous communiquer leur bilan carbone afin de nous prononcer sur l’acceptabilité de leur contribution », explique Sylvain Amic. Pour sa part, si le Palais de Tokyo annonce ne plus recevoir de financements de Total depuis 2015, il a créé le programme « Palais durable », permettant à la Fondation Engie de « l’accompagner dans la transition écologique », explique Matthieu Boncour.
Impact carbone ou impact sur les consciences : difficile arbitrage
En parallèle de mesures parfois limitées en faveur de leur transition écologique, les musées et centres d’art français semblent bien plus avancés en ce qui concerne le contenu même de leurs expositions. « Même s’il faut nous fixer des limites d’émissions carbone, nous devons garder à l’esprit que l’art permet de penser le monde autrement. Nous avons la capacité d’accompagner un changement dans les consciences », s’enthousiasme Matthieu Boncour. Sylvain Amic abonde : « Les musées sont de puissants accompagnateurs du changement. C’est là où l’on forge les représentations sur la base d’informations sures et vérifiées. Nous devons amener le visiteur à se rendre compte de l’impact de la crise écologique ».