Diffusé ce mercredi 15 juin sur France 2, Des ordures et des hommes, est une véritable immersion auprès des éboueurs de la Ville de Paris. Ces derniers sont confrontés quotidiennement à la pollution et au gaspillage alimentaire en ville. Parmi eux, Aïcha Hamdoune a trouvé sa place dans les rangs de « la fonctionnelle », une unité d’intervention spéciale.
3000 tonnes. C’est la quantité de déchets charriée chaque jour dans Paris, des bouteilles en verres s’amassant après une soirée sur les quais de Seine, aux invendus d’un grand marché en passant par les stigmates d’une manifestation de plusieurs milliers de personnes. Les éboueurs de « la fonctionnelle », unité d’intervention spéciale de la Ville de Paris veillent à garder la capitale propre, à toute heure du jour et surtout de la nuit.
Dans Des ordures et des hommes, diffusé ce mercredi 15 juin dans l’émission Infrarouge sur France 2, Mireille Dumas et Damien Vercaener suivent ces hommes et ces femmes de l’ombre. Leur documentaire permet de mesurer la quantité colossale de déchets produits en continu par les habitants, ou les personnes en transit dans la ville. Il rend surtout hommage aux éboueurs, dont le travail répétitif, parfois démoralisant et la plupart du temps invisible, limite la pollution. Parmi eux, Aïcha Hamdoune est entrée dans la profession en 2014. Cinq ans plus tard, elle figurait parmi les premières femmes à intégrer « la fonctionnelle ». Une grande fierté.
Natura Sciences : Comment avez-vous intégré « la fonctionnelle » de la Ville de Paris ?
Aïcha Hamdoune : Je suis éboueur de la Ville de Paris depuis 2014, après qu’une parent d’élève de la classe de ma fille m’a soufflé l’idée. Pour moi à ce moment, les éboueurs n’étaient pas de grands travailleurs. Je voyais Paris tout le temps sale et les éboueurs prendre un café à huit heures du matin. Maintenant que j’ai intégré la profession, j’ai compris que le plus gros du travail s’effectue bien avant huit heures, quand tout Paris est endormi. En ce moment je travaille environ de cinq heures à midi. Lorsque Paris se réveille pour aller travailler, les éboueurs ont nettoyé la ville et peuvent enfin souffler un peu.
Pour ce qui est de « la fonctionnelle », j’ai pu l’intégrer en rencontrant sa directrice. En 2019, j’intervenais régulièrement près des campements de migrants à Porte de la Chapelle et côtoyais ses services. Elle m’a invitée à rejoindre « la fonctionnelle » qui s’ouvrait alors aux femmes. Comme tous les métiers traditionnellement masculins, la féminisation se fait lentement. Désormais, il y a une réelle volonté politique dans ce sens.
En quoi consiste votre travail auprès de cette unité ?
Nous intervenons a posteriori de tous les grands évènements dans Paris. Nous sommes appelés sur les défilés, les manifestations, les grèves. Récemment, avec mon équipe, nous avons nettoyé une fanzone dans le quartier de Nation. Avant, j’intervenais également après les marchés afin de remettre les lieux en ordre. En période estivale, nous sommes énormément réquisitionnés sur les berges. Il faut le voir pour le croire ! L’après-midi, Paris a cette image de carte postale. Mais après les soirées bien arrosées nous ramassons des centaines de kilos de bouteilles en verre.
J’étais loin d’imaginer ce qui m’attendait. À mes débuts, j’ai souvent été démoralisée, découragée. Il m’arrivait de nettoyer une rue et que tous mes efforts soient détruits quelques minutes plus tard. Il suffit d’une personne distraite qui jette son emballage alors que la poubelle est à côté… Désormais, je sais que c’est un éternel recommencement.
La crise climatique prenant de plus en plus de place dans le débat public, constatez vous un changement des comportements vis-à-vis de la gestion des déchets ?
Pas du tout ! On nous rabâche que c’est la dernière ligne droite pour sauver la planète, qu’il faut penser à trier nos emballages, en produire moins. Sur le terrain, ce n’est pas ce que je constate. Les emballages ont changé certes. Nous trouvons moins de couverts en plastique mais nous trouvons des couverts en bambou, en carton. Les emballages sont là, les gens consomment. Sur les berges, en ville, c’est la même chose.
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Il y a aussi toujours des invendus sur les marchés, du gaspillage. Il y a toutefois de plus en plus d’associations qui viennent parce qu’il y a une misère sociale croissante. Les invendus vont moins à la poubelle parce que les gens ont pris conscience que d’autres avaient faim à côté.
Avez-vous l’impression que votre métier est suffisamment reconnu ?
Parce que je suis une femme au sein d’une profession très masculine, j’ai l‘impression d’être davantage considérée, reconnue et remerciée. Toutefois, on se bat encore aujourd’hui pour préserver nos acquis sociaux, obtenus à force de luttes. Pendant la pandémie, les Français ont applaudi les éboueurs dans toute la France puisque nous étions en première ligne. Juste après, on nous a retiré des jours de congés payés.
La pénibilité de notre travail n’est pas reconnue alors que notre espérance de vie est inférieure à la moyenne de celle des Français. Le gouvernement est complètement déconnecté de la réalité du terrain, se contente d’appliquer des directives européennes. Nous nous battons contre un rouleau compresseur.