Dans sa série documentaire « Vert de rage », le journaliste d’investigation Martin Boudot et ses équipes s’allient à des scientifiques locaux afin de démontrer le caractère polluant de quelques-unes des plus grosses industries mondiales. « L’uranium de la colère » et « Paraguay, les cultures empoisonnées » sont actuellement disponibles sur France.tv.
Uranium, pesticides, engrais phosphatés, Industrie textile ou du charbon. Depuis 2018, le journaliste d’investigation Martin Boudot arpente le monde sur les traces d’industries dangereusement polluantes. Dans son émission Vert de rage, conçue par une équipe de quatre journalistes, diffusée sur France Télévision et dans 25 pays étrangers, l’enquêteur récolte les preuves scientifiques des effets de ces industries sur l’environnement et la santé des êtres humains.
Diffusés la semaine dernière sur France 5 et disponibles en replay, L’uranium de la colère et Paraguay, les cultures empoisonnées démontrent, de manière efficace, l’impact de l’industrie de l’uranium puis des pesticides sur la santé et l’environnement de centaines de riverains. Grâce à une approche journalistique originale Martin Boudot et son équipe permettent surtout aux citoyens et citoyennes de s’emparer de leurs conclusions scientifiques pour appuyer leur combat auprès des autorités sanitaires et étatiques. La définition, selon Martin Boudot, d’un journalisme engagé, sans être pour autant militant.
Comment est né Vert de rage ?
Avant de travailler sur Vert de rage, j’ai eu la chance de participer à la réalisation de plusieurs numéros de Cash investigation à partir de 2012. Certains concernaient des sujets environnementaux. Par exemple, je me suis intéressé au green washing, me suis rendu sur les anciennes mines d’uranium d’Areva (ndlr : ancien nom d’Orano) au Gabon, me suis aussi intéressé à la question des pesticides.
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Durant ces enquêtes, j’ai remarqué que l’apport scientifique sur des questions environnementales était primordial. Il permet de parler de faits et non plus d’opinions sur de potentielles pollutions et expositions. J’ai ainsi voulu mettre en collaboration des scientifiques avec des journalistes pour investiguer conjointement.
Comment choisissez-vous les sujets de vos enquêtes ?
Vert de rage est diffusé dans 25 pays à travers le monde. Fréquemment, nous recevons des messages d’Indonésie, d’Afrique du Sud etc. de gens intéressés par notre démarche. De cette façon, nous nous sommes intéressés à la pollution dans une ville de Pologne après que des Polonaises ont vu notre documentaire sur le soja au Paraguay et nous ont contactés. Nous bénéficions de ce réseau de gens qui veulent avoir une plus large documentation scientifique sur la pollution dont ils sont victimes.
Par ailleurs, je consulte des revues scientifiques, des rapports d’organismes de contrôle, je suis attentif aux procès en cours… Notre obsession est d’apporter une pierre scientifique qui soit utile. Par exemple, nous n’avons pas travaillé à Fos-sur-mer parce que la pollution y est connue et très bien documentée.
Le concept de Vert de rage est de s’appuyer sur ses propres résultats scientifiques concernant les pollutions. Est-ce le signe que de telles données sont encore lacunaires voire inexistantes ?
Des données existent, même si elles ne sont pas toujours mises en avant par les autorités. Ils nous arrivent de nous appuyer, à la base de nos recherches, sur des études en open source.
Toutefois, nous nous intéressons beaucoup à des polluants émergents, comme le black carbon, dû à la mauvaise combustion dans l’air. Ou à des polluants chimiques qui sont en train d’être réglementés mais dont on connaît déjà les problèmes sanitaires ou environnementaux. Très souvent notre rôle est de combler un vide ou de pousser plus loin des études scientifiques existantes. Nous documentons, essayons d’avoir une utilité publique pour que nos investigations scientifiques puissent être reprises par les citoyens et les autorités sanitaires si elles le souhaitent.
Comment travaillez-vous avec les équipes de scientifiques locales ?
Toujours en parcourant les sites et les revues scientifiques, je m’informe du travail d’experts dans le monde. De cette manière j’ai découvert une étude réalisée par Docteure Stella Benítez, une pédiatre paraguayenne, en collaboration avec un laboratoire de génotoxicité d’Asunción. Elle s’est intéressée aux dommages génétiques sur des enfants vivant près de zones d’épandages de pesticides et les a comparés avec ceux d’autres enfants au même mode de vie mais qui vivent près d’une zone de culture bio. Toutefois, elle manquait de financement pour pouvoir augmenter l’ampleur de son étude.
Les analyses scientifiques constituent une part du budget de nos reportages. C’est de cette façon que nous réussissons à fournir des analyses scientifiques plus précises. Par ailleurs, nous réalisons nos sujets sur une année. Le temps de la science n’est pas celui du journalisme donc une enquête de temps long est indispensable.
Vous faites toujours l’effort du contradictoire mais vous vous confrontez à des industriels qui nient toute implication, voire vos résultats eux-mêmes…
Le principe du contradictoire demeure très important. Nous sommes dans une démarche journalistique engagée certes mais non militante. C’est important que tout le monde ait la parole, y compris ceux que nous mettons en cause. Au Paraguay par exemple, Monsanto nie non seulement la véracité de nos études mais surtout celle des études de l’OMS ! Ces grandes entreprises sont très difficiles à déstabiliser.
Toutefois, je suis persuadé que le temps donnera raison aux études scientifiques. Par exemple, plus les analyses et les études avancent, plus on se rend compte que le glyphosate est, a minima, une catastrophe pour la diversité et l’environnement. Je suis sûr que la règlementation va aller ans le sens de ce que nous soulevons. Simplement, souvent, les scientifiques sont en avance, sur la règlementation sanitaire et environnementale.