Économiste, Maxime Combes est co-auteur de l’enquête « Un pognon de dingue, mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie », publié ce vendredi 6 mai. Il y révèle les aides versées aux grands groupes privés, sans conditions, notamment en termes d’exigences environnementales.
Dans son ouvrage Un pognon de dingue, mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie (ed. Seuil), co-écrit avec Olivier Petitjean, Maxime Combes lève le voile sur les aides versées aux entreprises pendant la pandémie. Il explique notamment que cette période a permis aux grandes entreprises privées de recevoir des aides massives de l’état sans conditions, notamment en termes d’exemplarité environnementale.
Pour l’économiste, cette période est révélatrice d’une tendance plus générale de la politique d’Emmanuel Macron. Pour lui, elle favorise les intérêts des grands groupes privés plutôt que d’imaginer avec eux une réelle transition écologique.
Natura Sciences : Comment avez-vous commencé à enquêter sur les aides publiques versées aux entreprises ?
Maxime Combes : En mars 2020, le gouvernement a décidé de débloquer des quantités massives d’argent public pour palier aux fermetures d’activités économiques. Au même moment, des grands groupes versaient des dividendes record à leurs actionnaires. Sur Twitter, j’ai décidé de pointer cette incohérence en reprenant la formule de David Dufresne « Allo Place Beauvau ». Je l’ai appliqué non pas aux violences policières mais aux entreprises. J’ai alors été confronté à l’absence totale de transparence sur les versements et les conditions de versement de ces aides publiques.
Avec Olivier Petitjean, de l’Observatoire des multinationales, nous avons ensuite démontré que 100% des grands groupes français ont reçu des aides publiques pendant la pandémie, contrairement à ce qu’ils soutenaient. Un an plus tard, nous avons publié un nouveau rapport à l’occasion d’un nouveau versement annuel des dividendes. C’est ainsi que Le Seuil nous a proposé de rassembler nos données dans un livre.
Vous expliquez que le gouvernement n’a pas assorti ces aides d’obligations, notamment en matière environnementale. Une occasion manquée selon vous ?
Maxime Combes : C’est du gâchis, clairement. Bercy et l’Élysée avaient l’occasion de conditionner les aides aux entreprises – notamment en matière de réduction d’émission de CO2.Cela aurait permis, à la fois, de soutenir les entreprises et de planifier leur reconversion écologique.
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Or, certains ont argué que cela aurait été un coup de grâce aux entreprises dans une période compliquée. Au contraire, la solution insoutenable est de préserver le statu quo. Le grand objectif d’intérêt public est de limiter le réchauffement climatique et donc de réduire les émissions de GES. Mais Bercy et l’Élysée ont plutôt fait en sorte que l’appareil productif français du « monde d’après » soit semblable en tout point à celui du monde d’avant.
Comment expliquer que le gouvernement n’ait pas saisi cette opportunité ?
Maxime Combes : Dans notre ouvrage, nous évoquons les grands groupes et les lobbies, qui ont invité les pouvoirs publics à relâcher les contraintes écologiques au moment de la pandémie. Mais c’est surtout le fait des orientations politiques même d’Emmanuel Macron et de son gouvernement. Ils considèrent que ce n’est pas nécessairement une reconversion industrielle réfléchie collectivement ou des notions de sobriété énergétique qui doivent prédominer. Mais plutôt la confiance dans des sauts technologiques qui nous sauveraient de la crise climatique et de la perte de biodiversité.
Par exemple, dans le domaine agricole, c’est penser que la solution réside dans le numérique, la robotique et la génétique. Comme le montre très bien le plan France 2030, façonné par des entreprises privées, la planification d’Emmanuel Macron n’est pas à la hauteur des enjeux écologiques. On ne peut pas annoncer que le prochain quinquennat sera écologique.
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Quelles recommandations formulez-vous ?
Maxime Combes : Les aides aux entreprises sont bien trop massives, pas efficaces, problématiques. On pourrait exiger qu’elles soient abandonnées. Mais on peut aussi considérer qu’elles sont là, que les acteurs privés en ont besoin pour vivre, sont dépendants de l’argent public. Donc faisons-en les leviers de la transformation de notre économie.
Depuis l’automne dernier, nous animons une commission d’enquête parlementaire et citoyenne autour d’un livre blanc de recommandations sur la conditionnalité des aides aux entreprises. Il y a des choses extrêmement simples à penser. Premièrement, il faut considérer qu’une entreprise qui touche des aides publiques ne doit pas verser de dividendes. Deuxièmement, elle ne doit pas supprimer des emplois. Troisièmement, il faudrait imaginer une série de conditions autour de la réduction des GES, à court et moyen terme. Finalement, il serait question de conditions en matière d’égalité femmes, hommes.