La narratrice de Triple zéro, premier roman de Madeleine Watts, publié en France en juin dernier, travaille dans un centre d’appels d’urgence. Alors qu’une vague de chaleur étouffe l’Australie, elle est confrontée aux conséquences directes de la crise climatique.
« La nuit, je ne dormais pas. La chaleur augmentait dans la soirée, les vieilles briques de la maison l’absorbaient et, dès le crépuscule, l’air de ma chambre s’alourdissait et palpitait comme dans un four. Ouvrir les fenêtres ne servait à rien ». Le cadre dans lequel évolue l’héroïne de Triple Zéro (traduit de l’anglais par Brice Matthieussent. Rue de l’échiquier, 2022, 304 pages), premier roman de l’autrice australienne Madeleine Watts ressemble à s’y méprendre à la France, frappée par un nouvel épisode caniculaire depuis quelques jours.
Pourtant, c’est bien d’une Australie contemporaine que décrit la romancière. Un pays continent, lui aussi secoué par les conséquences de la crise climatique. Des canicules, aux inondations violentes en passant par les catastrophes naturelles extrêmes. Son héroïne, une étudiante en littérature, travaille comme standardiste au sein d’un service d’urgence. Durant l’été, elle reçoit des appels de tout le pays, lui indiquant les incendies et autres orages qui frappent de plus en plus fréquemment le pays. AvecTriple Zéro, publié en France en juin dernier, Madeleine Watts signe un roman d’apprentissage brûlant, sur fond de réchauffement climatique.
L’urgence climatique n’a jamais été aussi palpable
De l’âpreté que la fumée laisse dans la gorge à la douceur des embruns de l’océan sur la peau, l’autrice mobilise tous les sens. Ainsi, la vague de chaleur qui étouffe l’Australie nous saisit. Enveloppés dans cet été caniculaire, nous sommes d’autant plus frappés par les conséquences directes du dérèglement climatique décrites. En cela, Triple Zéro n’est pas un roman d’apprentissage classique qui se déroulerait dans un monde dystopique. Il s’appuie sur la réalité brûlante des choses et nous interpelle.
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En imaginant une protagoniste qui travaille dans un centre d’appels d’urgence, Madeleine Watts articule bouleversements individuels et collectifs. Au bout de la ligne, c’est tout le pays qui souffre de la crise climatique. « Quelque part dans la campagne, l’incendie a commencé, écrit-elle. Les premiers appels paniqués sont arrivés vers dix heures et demie […] Départs de feu. Départs de feu. Départs de feu. La cabane brûle ». Son héroïne —sans nom tout au long du roman — est le réceptacle des témoignages d’alerte. Une collègue lui rappelle, amère : « La terre [va] se dessécher, le sol [tremblera]. Et ces sales connards, tout ce qui les intéresse c’est la bière et le foot ».
Mutilation de la Terre et mutilation des corps
Tout au long de son roman, Madeleine Watts construit un parallèle subtil entre le sort réservé aux femmes et à la Terre. Les enseignements de l’écoféminisme empreignent ainsi Triple Zéro. Né dans les années 1960 aux Etats-Unis, ce mouvement lutte contre notre modèle sociétal actuel, notamment à l’origine de l’exploitation de la Terre et des femmes. Watts laisse ainsi entendre que les hommes perpétuent envers les femmes une violence, jadis perpétuée au moment de la colonisation. Sa narratrice parle ainsi des « dangers auxquels s’exposent les filles qui deviennent des femmes dans un pays où la terre n’est pas aisément domptée ».
Dans Triple Zéro, le corps de l’héroïne est malmené, écorché, agressé, bousculé. Dans le même temps, il fait l’expérience d’un monde qui brûle. Constamment, Watts dessine des liens entre ces deux expériences. « L’océan saigna dans la Terre », écrit-elle pour évoquer une inondation sans précédent. Les corps comme la terre sont fragiles, vulnérables, et surtout, sur la brèche. Watts nous indique que la catastrophe est en cours. À en croire l’exergue de l’ouvrage « Cassandre : Qui s’en soucie ? L’avenir est en route. » (Eschyle, Agamemnon), elle semble même inévitable.