Les sanctions commerciales envers la Russie demandent à l’Union Européenne de revoir sa dépendance à l’égard des approvisionnements en gaz russe. L’AIE a présenté, ce jeudi 3 mars, un plan en dix points à la Commission européenne visant à réduire les importations de gaz en provenance de Russie. Ces mesures, soucieuses de respecter le Green Deal européen, seraient applicables dans les prochains mois.
Une stratégie établie dans l’urgence. Malgré les ambitions « zéro carbone » de l’Union Européenne (UE), la guerre en Ukraine impose un nouveau défi. Comment réduire les importations provenant de Russie alors que l’UE s’avère dépendante de son gaz ? Pour résoudre cette problématique d’ordre géopolitique, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a présenté ses stratégies à l’UE. Un plan en dix points rapporte comment l’UE pourrait réduire de plus d’un tiers les approvisionnements russes. Et ce, tout en contribuant également à la baisse d’émissions carbone. Le rapport a été présenté ce jeudi 3 mars par Fatih Birol, directeur de l’AIE, durant un point de presse. Barbara Pompili, ministre française de la Transition Écologique, et Kadri Simson, commissaire européen à l’Énergie , soulevaient les difficultés auxquelles devra faire face l’UE dans les prochaines saisons, ainsi que les issues à déterminer en urgence.
Ces dix mesures ont été remises à Barbara Pompili qui préside actuellement l’Union Européenne. Accompagnées d’options supplémentaires, celles-ci visent aussi à contribuer aux ambitions du Green Deal européen. « L’utilisation par la Russie de ses ressources en gaz naturel comme arme économique et politique montre que l’Europe doit agir rapidement pour être prête à faire face à une incertitude considérable sur l’approvisionnement en gaz russe l’hiver prochain », a déclaré Fatih Birol. Il ajoute à cela que des alternatives doivent se trouver et se décider « à court terme ». Si l’on se réfère aux derniers chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’UE a importé 155 milliards de mètres cubes de gaz naturel de Russie. Soit environ 45% des importations de gaz de l’UE et près de 40% de sa consommation totale de gaz.
Remplacer le gaz russe par des sources alternatives
Afin de réduire toute dépendance de la Russie, l’UE n’a pas d’autre choix que de diversifier ses contrats d’approvisionnements. L’AIE a alors suggéré à l’UE de ne pas renouveler les contrats d’importation conclus avec Gazprom, industrie gazière russe. Leur expiration est programmée pour fin 2022. Quelques jours auparavant, l’Allemagne avait annoncé suspendre tout projet avec gazoduc sous-marin Nord Stream 2.
Cette rupture implique le recours à d’autres sources alternatives. L’UE pourrait par exemple solliciter d’autres pipelines, provenant notamment d’Azerbaïdjan ou de Norvège. Selon l’AIE, cette initiative pourrait « augmenter au cours de la prochaine année jusqu’à 10 milliards de mètres cubes » . Mais seulement si les plafonds de production sont revus à la hausse. Après étude d’impact, il apparaît que ces deux grandes mesures permettraient l’approvisionnement d’environ 30 milliards de mètres cubes de gaz non russe supplémentaires.
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Accélérer le déploiement de l’énergie nucléaire et renouvelable
L’urgence de la situation requiert, selon l’AIE, une accélération du déploiement des énergies renouvelables. Afin d’augmenter la production d’électricité de l’UE, les experts soulignent la nécessité d’un « effort politique », visant à bâtir de nouveaux projets et intensifier ceux en cours. L’Agence met particulièrement l’accent sur l’éolien et le photovoltaïque. En 2022, ces sources d’énergie « devraient augmenter la production de l’UE de 15% par rapport à 2021 ». Pour y parvenir, l’UE devrait avancer des dates d’achèvement de projet. Mais aussi renforcer les capacités administratives, notamment en « s’attaquant aux retards liés à l’obtention de permis ». Ce déploiement à grande échelle pourrait alors, selon l’AIE, réduire les factures des consommateurs et aussi la consommation de 6 milliards de mètres cubes.
Mais les énergies renouvelables ne semblent pas suffire pour produire davantage d’électricité. Les espoirs de l’AIE reposent également sur le nucléaire et la bioénergie. « L’énergie nucléaire est la plus grande source d’électricité à faibles émissions dans l’UE », affirme le rapport. Un écho aux annonces d’Emmanuel Macron à Belfort le 10 février dernier, à la centrale de General Electric. Mais pouvoir assurer une hausse de la production, il faudra nécessairement un report des fermetures de réacteurs prévues pour fin 2022 et 2023. Le retour des centrales mises hors service pour raison d’opérations de sécurité, serait également à prévoir. Le fonctionnement sûr de ces centrales pourrait « réduire la demande de gaz de l’UE de près de 1 milliard de mètres cubes par mois », selon l’AIE.
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Améliorer la résilience et amortir le prix du gaz
Améliorer la résilience du marché européen marque une priorité indispensable pour l’UE. « Il n’y a aucun risque sur la fourniture du gaz, mais nous devons renforcer notre résilience et réduire drastiquement notre dépendance au gaz russe », a averti Barbara Pompili lors du point presse donné jeudi 3 mars. Mais, là aussi, des difficultés s’imposent. La hausse de la demande de gaz pour les prochains hivers entraînera notamment une « flambée des prix », compte tenu des tensions géopolitiques actuelles.
C’est pourquoi l’AIE recommande l’introduction d’obligations minimales en matière de stockage de gaz pour les opérateurs commerciaux. « Notre analyse suggère que des niveaux de remplissage d’au moins 90% de la capacité de stockage de travail d’ici le 1er octobre soient nécessaires pour fournir un tampon adéquat au marché européen du gaz pendant la saison de chauffage », indique le rapport. Les niveaux de stockage étant épuisés à ce jour, l’AIE préconise une injection de gaz supérieure de 18 milliards de mètres cubes par rapport à 2021.
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En parallèle, la hausse du prix du gaz s’inscrit également comme l’une des dix priorités européennes. Afin d’éviter une flambée des prix, l’AIE invite l’UE à réfléchir à des mesures fiscales temporaires. L’objectif : augmenter le taux sur les bénéfices exceptionnels des compagnies d’électricité. Les recettes fiscales seraient redistribuées aux consommateurs d’électricité pour compenser partiellement les factures d’énergie les plus élevées. Une taxe de ce type a déjà été mise en œuvre en Italie et en Roumanie. Cette réduction des factures d’énergie pourrait mettre à disposition « jusqu’à 200 milliards d’euros ». Cette somme amortirait les impacts sur les groupes vulnérables, selon l’AIE.
Baisser les températures de chauffage
D’autres alternatives parmi les dix mesures présentées par l’AIE permettraient de réduire la dépendance en gaz russe de l’UE. Par exemple, la révision des besoins en chauffage. L’Agence recommande de baisser le thermostat de 1°C pour réduire la demande de gaz d’environ 10 milliards de mètres cubes par an. Dans la même optique, l’augmentation des rénovations des bâtiments et l’installation de pompes à chaleur plutôt que des chaudières à gaz permettraient, selon le rapport, d’améliorer l’efficacité énergétique et réduire la demande de gaz.
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Ces moyens pourraient engendrer, notamment pour les entreprises, une réglementation sur les températures de chauffage dans les bureaux. Le développement de moyens durables pour gérer les besoins de flexibilité des systèmes électriques fait partie des stratégies de l’AIE. Mais cela doit inciter l’UE à intensifier ses efforts de décarbonation des sources. « Les gaz à faible teneur en carbone d’origine nationale (…) pourraient constituer une partie importante de la solution », propose l’AIE. Mais cette initiative demande un « effort de démonstration et de déploiement important ».
Ces dix mesures feront l’objet d’une attention particulière des membres de l’UE. « Dans le cadre de ce plan, mon administration travaille sur un ensemble de mesures visant à assurer la robustesse de notre système énergétique » a déclaré Barbara Pompili. Elles feront certainement écho aux propositions de l’AIE ». Dès la semaine prochaine, « la Commission proposera une voie permettant à l’Europe de devenir indépendante du gaz russe dès que possible », a quant à elle promis Kadri Simson. Cette dernière a mentionné « un moment décisif » pour l’Union européenne.