Malgré la planification écologique promise par Emmanuel Macron, l’écologie sera-t-elle vraiment l’une des priorités du quinquennat ? Natura Sciences est allé à la rencontre de sept anciens ministres de l’Écologie pour comprendre les freins et leviers de leur ministère et leur prise en compte par Matignon. Au menu : jeux de pouvoir, lobbies et planification écologique.

Véritable ambition ou vaste fumisterie ? La planification écologique est la promesse de dernière minute d’Emmanuel Macron avant sa réélection en avril dernier. La Première ministre Elisabeth Borne doit s’assurer de la mise en œuvre de la planification écologique. Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires ainsi qu’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique devront participer à cet effort. Celui de faire passer l’écologie d’une préoccupation majeure, notamment chez les jeunes, à une lutte commune.
Barbara Pompili vient de quitter le Ministère de la Transition écologique. Elle a occupé la fonction entre 2020 et 2022. Aujourd’hui, les contrats sont signés pour Amélie de Montchalin et Agnès Pannier-Runacher. Mais ils sont souvent de courtes durées pour les ministres de l’Écologie. Le Ministère de l’Écologie, créé en 1971 sous Georges Pompidou et surnommé « le ministère de l’impossible » par Robert Poujade, n’est pas de tout repos. Une fois le bleu de travail enfilé, le locataire de l’hôtel de Roquelaure doit s’atteler à la tâche. Et les coups sont monnaie courante pour ceux qui défendent l’environnement. Les déceptions aussi.
Natura Sciences est allé à la rencontre de sept anciens ministres de l’Écologie et de l’Environnement. Ils témoignent de leur vision sur le rôle du ministre de l’Écologie au sein du gouvernement. Ils racontent aussi les contraintes qu’ils ont rencontrées. Les ministres donnent également leur avis sur cette fameuse planification écologique.
Un rôle « d’agrégateur »
Au sein du gouvernement, le ministre de l’Écologie ne pèse pas vraiment. Mais alors quel est son rôle ? Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie de 2010 à 2012 sous Nicolas Sarkozy, répond à cette question. « Je pense que le rôle de ministre de l’ Écologie est de mobiliser, ce qu’on a fait avec le Grenelle de l’environnement, au-delà de lui-même, au-delà de son administration et de son parti. En fait, c’est un rôle d’agrégateur de toutes les énergies positives pour pouvoir faire bouger les choses. Mais on ne peut rien faire seul quand on est ministre de l’Écologie. Il faut trouver des alliés », explique-t-elle.
Jean-Louis Borloo, également ministre de l’Écologie sous Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2010, nous donne sa vision du poste. Selon lui, le ministre de l’écologie est le « tiers de confiance de tous les acteurs de la société. De tous et toutes« . Le tout pour « un projet commun et partagé qui s’appelle le respect, le respect des ressources, le respect des hommes et des femmes », ajoute-t-il.
Des contraintes internes
En interne, le ministre de l’écologie est souvent bousculé dans les tractations. « On avale des couleuvres », témoigne Yves Cochet, ministre de l’écologie entre 2001 et 2002. « De vraies victoires pour l’environnement nous n’en avons pas eues. Je ne suis pas fier de ce que j’ai fait », regrette-t-il. « Nous sommes seuls au gouvernement car nous sommes les uniques représentants écolo de Matignon », détaille-t-il.
« Les contraintes de ministre de l’Écologie sont multiples », explique Justine Reix, journaliste pour le média Vice et autrice du livre La poudre aux yeux : enquête sur le Ministère de l’Écologie. « Petit chiffre très clair : l’écologie représente 10% du budget alloué aux Ministères, contre 21% pour l’éducation nationale par exemple », analyse-t-elle. Elle poursuit : « Le budget n’est pas la seule contrainte que doivent supporter les ministres de l’Écologie. On pourrait penser que les ministres s’aident, mais ce n’est pas du tout le cas. Les pires ennemis du Ministère de la Transition Écologique sont le plus souvent l’Agriculture et la Finance. » Brice Lalonde, ministre de l’Environnement de 1991 à 1992 le concède : « J’allais chasser avec Michel Charasse – alors ministre du Budget – pour qu’il me fasse des ristournes dans le budget. Des magouilles ? J’étais obligé de faire ça pour être avantagé. »
Le Ministère de l’Agriculture et celui de la Transition écologique ne marchent pas main dans la main. Ce second est souvent contraint de s’effacer ou de suivre le même chemin. Les néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeilles que le gouvernement Castex a réintroduit par dérogation jusqu’en 2023 en sont un exemple. Le ministère de la Transition écologique a dans un premier temps lutté contre ces insecticides pour ensuite introduire une dérogation pour les planteurs de betterave sous Barbara Pompili. La dernière ministre de l’Écologie du premier quinquennat d’Emmanuel Macron porte pourtant aujourd’hui un regard positif sur l’affaire. « Paradoxalement cette affaire est une fierté. Car dès l’année prochaine, les néonicotinoïdes ce sera fini », se réjouit-elle.
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La barrière du lobbying
Il est impossible de ne pas en parler. Les lobbies font parti des acteurs avec lesquels le ministre de l’écologie doit composer. Mais parfois le combat semble perdu d’avance et le ministre en poste doit faire marche arrière. « J’ai senti le poids des intérêts privés. Mais le rôle du ministre c’est de résister à ça », explique Michel Barnier ministre de l’environnement de 1993 à 1995.
« En ce qui concerne les lobbies du nucléaire, ce n’est pas compliqué, j’ai été confronté à eux dès le premier jour », se souvient Yves Cochet. Il avait refusé l’autorisation de dépassement du seuil autorisé de rejet des radionucléides, des atomes d’éléments radioactifs rejetés par les installations nucléaires. « J’ai dit à Jospin de ne pas me nommer si cela venait à arriver. Il m’a répondu qu’il réglerait ça plus tard », explique-t-il. Il ne l’a jamais fait selon l’ancien ministre.
Ministre de l’Écologie sous Jacques Chirac de 1995 à 1997, Corinne Lepage a également été chahutée par les lobbies du nucléaire. « Lors de ma prise de fonction ils ont tout fait pour que je dégage », se souvient-elle. Elle ajoute : « mais je devais faire mon travail de ministre. Je n’avais pas d’états d’âme à avoir ». L’avocate nous raconte l’affaire de l’ancien réacteur Superphénix alors situé dans la centrale nucléaire de Creys-Malville. En 1995 elle s’oppose au ministre de l’Industrie Franck Borotra et refuse de signer le décret d’autorisation de redémarrage du réacteur. Une prise de position qui met son poste de ministre en jeu puisque le Premier ministre de l’époque, Alain Juppé, est favorable au redémarrage du réacteur. « J’ai dit à Alain Juppé que je pouvais démissionner et qu’il pouvait nommer quelqu’un d’autre à ma place. Il est possible de faire ça quand on est ministre de l’Écologie, quitte à risquer sa peau », martèle-t-elle.
Une planification écologique qui pose question
Le Premier ministre, qui tranche lors de litiges entre ministères, pèse indéniablement dans les actions du ministre de l’Écologie. Avec le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, la Première Ministre Elisabeth Borne se charge directement de la planification écologique. Du moins sur le papier. Car cette formule ne fait pas encore consensus chez les ministres interrogés.
« Cette planification écologique est une avancée », estime Barbara Pompili. « Il ne faut pas oublier qu’elle est nécessaire pour les objectifs de long terme », dit-elle. Selon elle, dans un monde idéal « il n’y aurait pas de ministre de l’écologie », car l’écologie doit s’intégrer dans tous les secteurs du gouvernement. C’est un tout autre son de cloche pour Yves Cochet. « Cette planification écologique et énergétique va consister à convaincre les territoires d’accepter les EPR », craint-il. « On peut parler de Greenwashing avec cette planification écologique », regrette-t-il.
Alors que Jean-Luc Mélenchon compte sur une victoire de la NUPES aux législatives pour forcer la main à Emmanuel Macron à le nommer Premier ministre, il apparait que la réussite de la planification écologique nécessitera une équipe gouvernementale ambitieuse. Elle devra également entraîner l’ensemble de la société civile, des collectivités locales et des acteurs économiques. Les élections législatives des 12 et 19 juin prochains constituent un point de rendez-vous important pour juger de la place qui sera accordée à la planification écologique, ainsi que sa portée.
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