Au premier tour de l’élection présidentielle brésilienne du 2 octobre 2022, le président sortant Jair Bolsonaro arrive en deuxième position, à 43%, derrière Luiz Inácio Lula da Silva à 48%. Alors que le deuxième tour aura lieu le 30 octobre prochain, Natura Sciences revient sur le bilan environnemental de Bolsonaro, marqué par un déboisement en hausse et une guerre sans merci menée contre les organisations de conservation de la nature.

Lorsque Jair Bolsonaro arrive au pouvoir le 1er janvier 2019 au Brésil, le pays est endigué dans une déforestation persistante. Depuis 2012, les taux de déboisements s’affichent déjà comme des records. Instantanément, le candidat du Parti social-libéral (PSL) impose sa radicalité et son climato-scepticisme. Les taux de déboisements et la déforestation s’aggravent soudainement. En cause : la politique de libération économique appliquée par le gouvernement de Jair Bolsonaro.
Un déboisement alimenté par l’expansion agricole
Entre 2004 et 2012, le niveau de déforestation diminue sur le territoire. Des mesures telles que la surveillance par satellite, l’expansion des zones protégées en Amazonie ou la restriction d’un crédit rural pour les agriculteurs permettent de freiner progressivement le déboisement du bassin tropical. Mais ces solutions sont abandonnées par le nouveau code forestier en 2012. Jair Bolsonaro ne les réinvestit pas. « C’est un gouvernement qui a mis fin à tout système de contrôle de l’Amazonie, détaille Glauber Sezerino, sociologue et co-président de l’association Autres Brésils. Tous les mécanismes de vigilance autour de la déforestation ont été peu à peu détruits sous le gouvernement Bolsonaro ».
Face à une déforestation de plus en plus accentuée – entre « +10 et +15% chaque année », selon Glauber Sezerino, le président favorise le développement de l’agro-industrie et de l’agro-business. Cela entraîne le recul des forêts brésiliennes au profit de l’expansion des sols agricoles. La production de bovins au Brésil et le pâturage constituent alors « la cause principale de déforestation », selon le sociologue, tout comme l’importation de matières premières telles que le soja, le bois, le cacao et le café. Ces activités économiques s’accompagnent d’incendies de forêts, eux-mêmes provoqués chaque année par la politique de déboisement de Jair Bolsonaro. Ces feux s’expliquent également par le réchauffement climatique.
Au total, la perte de végétation native s’accentue. Jusqu’à 13 235 km2 ont été détruits entre août 2020 et juillet 2021. Cela constitue une superficie plus large que celle de l’Île-de-France. En janvier 2022, ce déboisement massif a atteint un nouveau stade. L’Institut national de recherches spatiales (INPE) est chargé d’étudier la déforestation au Brésil. Il alerte sur la destruction de près de 430 km², soit cinq fois plus que janvier 2021. Et les conséquences se mesurent déjà dans l’atmosphère. « 2021 est l’année où l’Amazonie a rejeté davantage de carbone qu’elle n’en a absorbé », alerte Glauber Sezerino.
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Une opposition forte aux défenseurs de la nature
S’inscrit alors une lutte sans merci contre les défenseurs de l’environnement. Via ses prises de parole, Jair Bolsonaro rejette la faute de la destruction de l’Amazonie sur les ONG elles-mêmes. « Il essaye de noyer les problèmes en justifiant les feux de forêts par les actions menées par les activistes comme Greenpeace, rapporte Glauber Sezerino. En parallèle, ses accusations s’accompagnent de la destruction globale et complète des institutions qui sont censées sauvegarder l’environnement ». Depuis le début de son mandat, le gouvernement Bolsonaro diminue le nombre de fonctionnaires et le budget accordé à certains organismes environnementaux, tels que l’Institut brésilien de l’environnement. Le président va encore plus loin, et licencie, en 2019, le directeur de l’INPE. Selon Jair Bolsonaro, les chiffres divulgués par cet organisme auraient été « truqués » et nuisent à sa politique.
Cette « hantise des mouvements environnementaux », comme le souligne le sociologue, mène à une mise sous surveillance des ONG internationales. Parmi elles, Greenpeace dénonce un « écocide », provoqué par les importations de matières premières « dont la production a contribué à la déforestation ». Pour sensibiliser et dénoncer la politique de Bolsonaro, celles-ci n’hésitent pas à faire du plaidoyer international. Elles multiplient les campagnes, telles que la défense des peuples autochtones contre les orpailleurs, longuement défendus par le leader brésilien.
Les peuples autochtones figurent quant à eux en première ligne des conséquences de la déforestation. « On constate qu’il y a une vraie volonté d’exterminer les mouvements autochtones, soutient-il. Le Brésil est le deuxième pays qui tue le plus de défenseurs de l’environnement ». Entre 2019 et 2020, le nombre de meurtres d’autochtones a augmenté de 61 %, passant de 113 à 183 décès. Ces autochtones continuent de déployer leur parole sur la scène internationale. Ils manifestent par exemple devant la Cour Suprême, en août 2021 et plaident leur cause à la COP26. « Les peuples autochtones sont parvenus à marquer cette image de Bolsonaro comme quelqu’un qui déboise et qui détruit l’environnement au Brésil, en faisant alliance avec des acteurs internationaux, des personnalités culturelles et artistiques », complète le sociologue.
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Une opinion publique fracturée
Cette négligence environnementale apparaît-elle comme un frein pour la réélection de Jair Bolsonaro ? « C’est complexe, admet Christophe Ventura, directeur de recherches de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Amérique latine. Beaucoup de Brésiliens sont favorables au modèle économique de Jair Bolsonaro ». Un tiers de la population (environ 220 millions d’habitants) dépend de l’agrobusiness au quotidien. Une activité alors essentielle au commerce extérieure du Brésil. La politique de Jair Bolsonaro peut cependant impacter l’importation de matières premières, car « de nombreux pays, comme les États-Unis ou les Pays-Bas, sont en train de revoir leur politique de commerce avec le Brésil », ajoute le sociologue. Ces pays savent que certains produits, dont la viande, contribuent à la déforestation ».
Alors, entre sauvegarde de la nature et croissance économique, les fractures s’opèrent. « Bien sûr, beaucoup de personnes restent mobilisées en faveur de la défense de l’environnement et se battent pour la sauvegarde de l’Amazonie et des cultures ancestrales indigènes, reconnaît Christophe Ventura. Mais il y a aussi un autre Brésil qui, lui, ne voit que dans cette déforestation la marche en avant et la modernité du Brésil ». Le chercheur rappelle cependant que les sondages donnent la victoire au candidat, et ex-président, Luiz Inácio Lula da Silva (dit Lula). « Cela peut laisser penser que son bilan environnemental lui est défavorable », reconnaît-il. En plus, il souligne que le point noir du mandat de Jair Bolsonaro a été sa politique de gestion de la Covid-19.
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Jair Bolsonaro change de discours en fin de mandat
Jai Bolsonaro assume pleinement sa politique environnementale. En privilégiant l’activité économique à la conservation de la biodiversité, il respecte son programme à la lettre. « Il suit ses promesses, confirme le co-président d’Autres Brésils. Il avait promis de développer l’activité économique et qu’aucun territoire autochtone ne serait homologué. Bolsonaro souhaitait aussi rompre le discours de la gauche focalisé sur la protection des forêts ».
Cependant, le discours du président commence à se transformer. Dès avril 2021, il emploie les termes « développement durable », une première durant son mandat. Puis, à l’occasion de la COP26, alors que ses homologues internationaux fixent l’absence de Jair Bolsonaro, son ministre de l’environnement, Joaquim Álvaro Pereira, annonce depuis Brasília le rehaussement des objectifs climatiques du Brésil. Le pays vise alors une réduction de 50% de ses émissions carbone pour 2030 au lieu des 43% initialement annoncés. En plus, il ambitionne d’atteindre la neutralité carbone pour 2050.
Mais ces engagements verbaux ne sont pas liés à une conscience soudaine de l’urgence climatique. Pour Christophe Ventura, l’élection de Joe Biden à la tête des États-Unis explique le revirement de Jair Bolsonaro. « Les élites commerciales, financières économiques brésiliennes dépendent beaucoup de leur rapport à l’agriculture et en partie au marché américain pour leur exportation. Il ne peut pas se permettre d’avoir de mauvaises relations avec Washington ». En perdant Donald Trump comme allié, le président brésilien devrait alors, selon le spécialiste, répondre à une « volonté d’alignement » avec la Maison Blanche. L’objectif serait alors de laisser une chance au Brésil d’entrer à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il serait également question de devenir un partenaire de l’OTAN.