Le Gouvernement veut accélérer les projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires sur des sites nucléaires existants. Le ministère de la Transition énergétique défend dur comme fer le projet de loi. Mais du côté des ONG anti-nucléaires, le temps est plutôt au branle-bas de combat.
Le 22 septembre à Saint-Nazaire, Emmanuel Macron a affirmé vouloir accélérer la construction des nouveaux réacteurs nucléaires. Devant le premier parc d’éoliennes offshore de France, il a invité à lancer « dès maintenant le programme pour ne pas perdre de temps ».
Le ministère de la Transition énergétique défend dur comme fer le projet de loi dédié à l’accélération du nucléaire civil. Le texte veut instaurer des simplifications administratives pour accélérer les projets nucléaires qui s’implantent à proximité de sites nucléaires existants. Le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher espère ainsi « réduire de plusieurs années les délais de construction de ces réacteurs nucléaires ».
À Belfort en février dernier, Emmanuel Macron annonçait la construction d’au moins six réacteurs EPR 2 à l’horizon 2040 et d’études pour huit supplémentaires. L’EPR 2 est une version « optimisée » du réacteur nucléaire EPR (ou réacteur pressurisé européen), voulue plus simple et moins chère à construire que ce dernier.
Un premier réacteur EPR 2 à l’horizon 2035 ?
Mais pour accélérer la construction, il faut simplifier, assure le Gouvernement. La première simplification défendue par le projet de loi veut faire du décret d’autorisation de création de l’installation une véritable autorisation administrative unique. Cela permettrait d’avoir « un seul et unique texte avec une seule et unique participation du public, et une seule et unique procédure contentieuse éventuelle », explique le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher. Le ministère de la Transition énergétique espère ainsi que « la partie procédurale d’autorisation dure moins de 5 ans ». L’objectif : mettre le premier coup de pioche du premier EPR 2 avant la fin du quinquennat, soit avant mai 2027. Le coulage de la plaque de béton qui servirait de socle au réacteur nucléaire devrait intervenir autour de 2027 – 2028. Et le programme entrevoit la mise en service commerciale du premier EPR 2 entre 2035 et 2036.
Greenpeace s’insurge face à ces promesses. « S’ils sont effectivement construits un jour, les nouveaux réacteurs arriveront au mieux dans une vingtaine d’années, estime Pauline Boyer, chargée de campagne Transition énergétique et nucléaire à Greenpeace France. Faire croire que leur mise en service pourrait être plus rapide que prévue n’est pas sérieux et répond à des objectifs politiciens. » Le Réseau Sortir du nucléaire qui a lancé une pétition pour refuser ces nouveaux réacteurs ne croit pas plus à ce calendrier. « Le fiasco de l’EPR de Flamanville, toujours pas démarré et cumulant 11 années de retard, des malfaçons innombrables et des coûts multipliés par 6, n’est certainement pas dû à la réglementation environnementale ! Espérer reproduire cette expérience en six exemplaires sans retard ni surcoût, et en allant plus vite que prévu, relève d’un aveuglément irresponsable. »
Mais au ministère de la Transition énergétique, on assure que l’EPR 2 ne reproduira pas les mêmes difficultés que la première version. Une délégation interministérielle au nouveau nucléaire sera d’ailleurs prochainement créée. Elle aura pour but de superviser le bon déroulé du programme.
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Simplifier les procédures de protection de l’environnement ?
Le projet de loi veut aussi autoriser un certain nombre de chantiers et de travaux annexes à l’installation au plus vite. Ils pourraient commencer avant toute autorisation administrative et alors que la participation du public est en cours. Il ne s’agit toutefois pas de commencer à construire le réacteur, mais de réaliser des travaux préparatoires. Au cours du quinquennat, il s’agirait par exemple de construire des bâtiments auxiliaires pour accueillir les futurs personnels et parkings. Il s’agirait aussi de réaliser les travaux de terrassement et de préparation du terrain.
Pour accélérer, le projet de loi prévoit aussi des dérogations la Loi Littoral et à la sauvegarde des espèces protégées. En plus, il autorise des procédures de prise de possession d’urgence pour expropriations. La LPO dénonce ces simplifications en termes de protection de la nature. « Le passage en force sous de faux prétextes d’urgence à court terme n’est pas acceptable », estime son président Allain Bougrain Dubourg. Greenpeace dénonce pour sa part « la nature extrêmement dérogatoire du droit nucléaire » qui permet aux réacteurs nucléaires « d’échapper aux règles de protection de l’environnement, de droit de l’urbanisme ». « Pour aller plus vite, Macron souhaite-t-il donc bâcler les enquêtes publiques et les études d’impact ? », questionne le Réseau Sortir du nucléaire.
« Les simplifications qui sont prévues sont toujours des simplifications qui ont déjà été mises en œuvre pour les renouvelables avec ce principe, qui est qu’on traite de la même manière toutes les énergies décarbonées et donc qu’on ne fera pas de simplification pour le nucléaire, qu’on ne ferait pas pour d’autres types d’installations de production d’énergie bas carbone », assure pour sa part le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher.
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Un calendrier très chargé sur la question du nucléaire
Le texte est actuellement en consultation pour une semaine au conseil national de la transition écologique (CNTE). Il passera ensuite au Conseil d’Etat. L’objectif est d’avoir « un passage en Conseil des ministres dans le milieu du mois d’octobre », prévient le cabinet.
Beaucoup de choses vont se passer de façon concomitante, puis se succéder rapidement. Un premier débat national portera sur le choix du futur mix énergétique de la France. Cette « concertation nationale » aura lieu d’octobre à janvier, « dans chaque territoire, en associant citoyens, associations, élus, entreprises pour qu’ils s’approprient leur avenir énergétique », a assuré la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher mardi 20 septembre. Ce débat interrogera la place de l’ensemble des sources de production dans la stratégie énergétique future du pays. Il explorera les choix de mix énergétiques possibles vers la neutralité carbone en 2050. Et il s’intéressera à leurs implications en termes d’évolution des usages.
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En parallèle, le débat public « Nouveaux réacteurs nucléaires et projet Penly », organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) se tiendra du jeudi 27 octobre au lundi 27 février 2023. Il concernera la construction des six premiers réacteurs nucléaires EPR 2 annoncés par Emmanuel Macron en février dernier à Belfort. Et il portera sur le choix du site de la centrale de Penly. La centrale située au bord de la Manche est le premier choix pour accueillir les deux premiers réacteurs.
Des consultations et débats en trompe l’œil ?
Quelle valeur donner à de telles consultations ? Emmanuel Macron a annoncé le « lancement dès maintenant » d’un programme de construction de nouveaux réacteurs avant même d’attendre les conclusions du débat public consacré au déploiement de ce programme. « Ce faisant, il confirme son intention de tenir pour quantité négligeable les procédures délibératives censées précéder une telle décision officielle de construction, qu’il s’agisse du débat public sur les projets d’EPR à Penly ou du vote des parlementaires sur la future loi de programmation énergie-climat », dénonce le Réseau Sortir du nucléaire. Même son de cloche du côté de Greenpeace. « Cette proposition de loi piétine la consultation publique sur le mix énergétique de la France et la possibilité d’un débat démocratique autour de la relance du nucléaire », estime l’ONG.
Si le calendrier interroge, le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher se défend de vouloir ignorer les débats à venir. Avant le 1er juillet 2023, une nouvelle loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) doit voir le jour. Elle fixera les grands objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et de la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Les parlementaires devront donc débattre et décider des futures orientations énergétiques de la France au printemps 2023. « L’un des objectifs de ce débat public [organisé par la CNDP, ndlr], fort de tous les arguments qui seront entendus, est d’éclairer cette décision qui engagera la France pour les décennies à venir », prévient Michel Badré, président du débat public « Nouveaux réacteurs nucléaires et projet Penly ».