Les défenseurs de l’environnement estiment que le Conseil Environnement du 28 juin représente la dernière chance pour la Présidence française de faire avancer l’action climatique en Europe. Plusieurs réformes continuent de diviser les États membres au sein du Parlement.
Depuis que la France préside le Conseil de l’Union européenne (UE), Emmanuel Macron a promis un accord entre les 27 sur l’ensemble des quatorze législations du paquet climat « Fit for 55 ». Ce texte essentiel doit tenir les ambitions du Green Deal européen, visant la neutralité carbone en 2050. Mais le Parlement n’a pas validé quelques réformes visant à réduire les émissions carbone de 55% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Il reste désormais moins de dix jours pour que la France se pose en médiateur, en élevant les ambitions climatique.
Des sujets énergétiques et climatiques seront au centre des discussions lors du Conseil européen des 23 et 24 juin. Un Conseil environnement se tiendra également le 28 juin prochain. Mais la guerre en Ukraine fait barrage aux réformes attendues et a rabattu les cartes de la présidence française. « La guerre en Ukraine a marqué un tournant pour la transition énergétique de l’UE », affirme Lucie Mattera, responsable de la politique européenne du think thank E3G, au cours d’une conférence de presse.
Rappelant la dépendance de l’Europe aux énergies fossiles, le conflit demande un surcroît d’efforts pour garantir l’indépendance énergétique de l’UE. Le plan RepowerEU, adopté par la Commission européenne en mai dernier, y travaille. Mais, alors que RepowerEU n’est pas inscrit dans les législations, la France reste également confrontée à quatre grandes négociations difficiles avec les États membres.
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Création d’un fond social pour le climat
Les anciens échanges au sein du Parlement ont fait émerger la proposition d’un « fonds social pour le climat ». Ce fond est indispensable au développement d’un marché carbone sur le carburant et le chauffage afin d’accompagner les plus modestes et dépendants aux énergies fossiles dans la transition écologique. « Le parlement a pris une position claire, très favorable pour lutter contre les inégalités sociales. La ligne rouge pour la marché carbone pour le carburant et le chauffage doit être le fonds social pour le climat », indique Neil Makaroff, responsable des politiques européennes au Réseau Action Climat France.
Mais au Conseil de l’Environnement, tout se complique. Certains pays comme l’Allemagne s’opposent à cette redistribution financière. Selon le Réseau Action Climat, le chancelier Olaf Scholz y serait réticent pour raisons budgétaires. « La France devra les convaincre de mettre en place cette solidarité européenne », insiste des ONG réunis ce mardi lors d’une conférence de presse à Paris. Car sans cet accord, le paquet climat pourrait être « remis en cause ».
La France constitue un frein pour la vente de véhicules hybrides neufs pour 2035
La fin de vente des voitures essences, diesel et hybrides neuves met tout le monde d’accord. Pour autant, son délai reste sujet de divergences. La Commission européenne a fixé la date de 2035. Cependant, Emmanuel Macron a déterminé une exception pour les voitures hybrides jusqu’en 2040, en recevant le 12 juillet dernier les constructeurs automobiles à l’Elysée.
« Cette exception risque d’être coûteuse pour le climat parce que l’on sait que le cycle de vie d’un véhicule est d’environ 15 ans sur les routes européennes », a complété Neil Makaroff. Repousser sa date augmente le risque d’apercevoir des voitures hybrides sur les routes européennes après 2050. Soit l’année pour laquelle l’UE ambitionne d’atteindre la neutralité carbone. « 2035 est vraiment la date limite si l’on veut maintenir nos objectifs climatiques », insiste le responsable des politiques européennes. Contrairement à la France, la Belgique, le Danemark, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède visent la fin de ces véhicules pour l’année 2030.
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La France constituerait ainsi « un frein » , tant d’un point de vue climatique qu’industriel. Un rapport de la CFDT Métallurgie et de la Fondation pour la Nature et l’Homme démontre que seule la transformation du secteur vers le véhicule à faibles émissions d’ici à 2035 permettrait d’« enrayer le déclin du secteur et de créer de nouveaux emplois ». En décrochage au niveau mondial, le secteur automobile se retrouve dans une position délicate. Il risque alors de perdre des emplois supplémentaires (déjà 100.000 emplois de moins depuis 2018). Elle pourrait également subir un retard contraignant face aux importations chinoises et américaines. « Il revient maintenant aux États membres de se décider », a déclaré Neil Makaroff lors d’une conférence de presse ce lundi.
La réforme périlleuse du marché carbone
Mais la négociation la plus difficile sera sans nul doute celle du marché carbone européen. La réforme connaît depuis ces derniers mois plusieurs rebondissements. Le Parlement l’a rejeté une première fois au début du mois, avant d’adopter un compromis. Celui-ci prévoit l’élargissement du marché du CO2 à de nouveaux secteurs. Elle entrevoit également la suppression graduelle entre 2027 et 2032 des quotas d’émissions gratuits alloués aux entreprises. Ces mesures s’appliqueront à mesure qu’entrera en vigueur une taxe carbone sur les importations venant de pays tiers aux frontières de l’UE. Dans le même temps, le texte vise toujours à réduire les émissions des secteurs soumis au marché carbone. Soit de -63% d »ici à 2030, par rapport à 2005. Un objectif plus ambitieux que les -61% fixés par la Commission.
L’heure est alors aux négociations entre les États membres. Ces discussions s’annoncent difficiles. Pour cause : la fin des quotas gratuits de la réforme divise au sein du Conseil de l’Environnement. Leur remplacement par la taxe carbone aux frontières ne semble pas envisageable pour certains d’entre eux.
La France se montre pour sa part favorable à une fin des quotas gratuits, que les ONG nomment des « permis à polluer gratuits' ». Elle plaide également pour une mise en place de la taxe carbone efficace. Il convient alors pour le pays de mener à bien les débats, face aux lobbies de l’industrie. Jusqu’à présent, ces derniers plaidaient pour une fin en 2035 au lieu de 2030. La pression semblait telle que cette date ne figurait plus au sein des débats. Or, Bruxelles prévoit la disparition des quotas gratuits à mesure que seront taxées les importations de secteurs polluants. Parmi eux, l’acier, l’aluminium, le ciment, l’engrais, l’électricité sur base du prix du CO2 européen.
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Ces quotas montrent leur inefficacité si l’on regarde l’évolution des émissions au sein du secteur de l’industrie. Celles-ci stagnent depuis 2012, et n’atteignent pas en France les objectifs fixés par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). « Ces quotas gratuits sont des énormes cadeaux faits aux industriels, déplore Neil Makaroff. Ceux-ci couvrent 94% des émissions de l’industrie européenne ». Cette dernière ne paierait pas un centime du prix du CO2 fixé par le marché carbone européen. « Sur 80 euros la tonne de CO2, ce sont quasiment 40 milliards d’euros donnés aux industriels », précise le responsable politiques européennes du Réseau Action Climat. Une difficulté pour inciter les industriels à s’engager dans cette transition.
Des propositions « décevantes » pour la fin de la déforestation importée
La déforestation a fait l’objet de nombreuses pressions des États, ONG et peuples autochtones ces dernières années. L’Amazonie constitue une région clé sur le sujet. Pourtant, de nouveaux records ont été battus dans les cinq premiers mois de l’année 2022 en Amérique latine. Sur ce sujet longtemps débattu au sein de la Commission, les négociations s’achèvent au sein du Conseil de l’Europe. Les parlementaires devront alors présenter leurs positions pour exclure du marché les produits européens issus de la déforestation lors du Conseil de l’Environnement.
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Mais les textes déjà établis par l’UE ne satisfont pas les défenseurs de l’environnement. « Les négociations telles qu’elles sont aujourd’hui sont décevantes, parce que cette proposition, ce texte en état n’inclut pas les savanes et les prairies, se focalise sur uniquement les forêts, en laissant dehors des écosystèmes clés pour la biodiversité, comme le Cerrado et Pantanal », déplore Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France. Elle reproche également l’absence de mention de produits « susceptibles de détruire les écosystèmes », comme le caoutchouc, le maïs ou encore la volaille.
Malgré l’engagement de plus de 80 entreprises d’assurer la traçabilité de leurs produits commercialisés sur le marché européen, Véronique Andrieux demande à l’ensemble des sociétés concernées de fournir toutes les preuves d’absence de déforestation. « On demande à ce que la Commission puisse reporter sous la présidence tchèque [après la fin de la présidence française] de tirer l’ambition de ce texte vers le haut » pour aboutir à un « règlement ambitieux ». Un dossier encore loin d’être clos, alors que la France arrive à la fin de sa présidence. Après ce Conseil pour l’environnement, les échanges continueront dans les prochains mois.