Face au dérèglement climatique et à la diminution de l’enneigement, plusieurs stations de ski tentent de s’adapter. Elles développent de la neige dite « de culture », dont la production est souvent pointée du doigt pour ses besoins en eau. Mais qu’en est-il de son coût énergétique ? Natura Sciences s’est rendu dans deux stations françaises – Les Saisies et Orcières Merlette 1850 – afin de mieux comprendre comment se cultive artificiellement cet or blanc.

Le soleil se lève et les pistes n’accueillent encore aucun skieur dans la station des Saisies (Savoie). Pourtant, l’équipe de nivoculteurs de la station dont fait partie Pierre Mauger est à pied d’œuvre. Leur mission est de coordonner l’action des canons à neige et d’assurer ainsi un enneigement satisfaisant à l’ouverture du domaine. “Pour que de la neige naturelle tombe, il faut de l’eau, une température en dessous de 0°C et des poussières dans l’air, rappelle le nivoculteur. Pour produire de la neige de culture [de façon artificielle grâce aux enneigeurs, ndlr], il faut de l’eau, de l’air comprimé et de l’électricité.”
Dans la salle des machines située en bas de la station, un vrombissement se fait entendre. Des compresseurs tassent l’air prélevé à l’extérieur à 9 bars, avant de l’envoyer dans un réseau dédié qui alimente l’ensemble des enneigeurs du domaine. La salle comprend aussi trois pompes à eau d’un débit de 90 m3/heure. “S’il n’y a qu’une seule boucle d’air comprimé dans tout le domaine, il y a cinq secteurs pour le réseau d’eau, précise Pierre Mauger. Chaque secteur du réseau d’eau comprend une salle des machines avec des pompes qui alimentent ses enneigeurs.”
Une consommation d’électricité variable
Aux Saisies, la consommation électrique liée à la production de neige, bien qu’en baisse, reste conséquente. Elle s’élevait à 1.308 mégawattheures (MWh) sur la saison 2018-2019, 950 MWh sur la saison 2021-2022. “La consommation électrique dépend de l’installation et notamment du nombre de pompes et de compresseurs », explique Michaël Tessard, directeur de la régie exploitant le domaine skiable des Saisies.
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Est-il possible de baisser encore cette consommation électrique et quelle part représentent les enneigeurs dans la consommation totale de la station? “Le plus énergivore, c’est le compresseur d’air, développe Michaël Tessard. Désormais, des pompes à eau à débit variable remplacent les pompes à débit fixe. En clair, la quantité d’eau pompée s’adapte automatiquement à la demande des seuls enneigeurs en fonctionnement.” Suivant les années, la consommation électrique liée à l’enneigement représente entre 20 et 30% de la consommation totale de la station, devant les bâtiments (10 à 15%), mais loin derrière les remontées mécaniques (60 à 70%).
Si la consommation énergétique des enneigeurs a sensiblement diminué au cours des dernières années, l’électricité demeure une ressource indispensable au bon fonctionnement des canons à neige. La consommation d’électricité liée à l’enneigement artificiel varie en fonction du type de système utilisé – par pompage ou gravité -, des canons, ou encore des conditions météorologiques d’utilisation. Il dépend aussi d’autres paramètres, notamment de leur altitude, leur orientation géographique ou encore leurs conditions météorologiques.
À Orcières, un système par gravité moins énergivore
À quelque 200 km de là, à Orcières, Jean-Eric Salet, également nivoculteur, s’attèle à la tâche dans la chambre des vannes de la station. Dans la station d’Orcières Merlette 1850, le réseau de neige de culture couvre 60 % du domaine. Il consomme moins d’énergie qu’aux Saisies, car le système de production de neige est un circuit par gravité “sans pompes, ni surpresseurs », se félicite l’homme, résident de la station depuis des dizaines d’années.
La station d’Orcières compte une centaine d’enneigeurs. “Un enneigeur consomme aux alentours de 20 kilowattheures. Sur une saison, sa consommation d’électricité est variable, en fonction du volume d’eau à utiliser. Mais on essaie de faire en sorte qu’elle soit la plus faible possible”, justifie Jean-Eric Salet, tout en vérifiant le bon fonctionnement de la salle de supervision. “Plus il fait froid, idéalement -8°/-10°C, plus l’enneigeur fabrique de la neige. À l’inverse, au-dessus de -3°C, il produit moins et consomme autant. On fait attention à cela : on ne produit pas lorsqu’il fait plus chaud que -3°C”.
En même temps, il montre sur son smartphone une application qui lui permet de suivre en direct la pression, le débit et la consommation électrique des enneigeurs. “Un enneigeur fonctionne en moyenne 200 heures par an, ce qui nous donne au total des consommations électriques aux alentours de 500 à 600 MWh sur une saison”, partage-t-il.
Des militants écologistes s’en prennent aux canons à neige
Le recours à la neige de culture reste un enjeu énergétique et environnemental complexe tant du point de vue des ressources en eau, que concernant la consommation d’électricité. Quoiqu’il en soit, les enneigeurs ne constituent pas une solution magique face au changement climatique. Dès lors que la température dépasse les -2°C, il devient impossible de produire de la neige de culture. L’anticipation des évolutions climatiques à venir devient donc capitale pour les stations qui veulent assurer un enneigement suffisant.
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Cette culture de l’or blanc est de plus en plus pointée du doigt par les militants écologistes. Depuis la nuit de Noël, trois attaques ont eu lieu sur des canons à neige dans les Alpes du Nord. Après la station des Gets et celle de Verbier, c’est à la Clusaz que des militants s’en sont pris aux appareils producteurs de neige, dans la nuit du 6 au 7 janvier. Câbles d’alimentation sectionnés et enneigeurs taggés en rouge de la phrase “Pas de ski sans neige”, l’action a été revendiquée par des défenseurs de l’environnement. Dans un courriel adressé à Reporterre, ils expliquent qu’ils souhaitent ainsi « interpeller sur l’état de certaines stations, telle que La Clusaz, ne vivant que grâce à la neige artificielle ».
Julie Marie et Matthieu Combe