Face aux menaces du dérèglement climatique, des initiatives émergent à travers le pays pour maintenir la biodiversité des forêts françaises. Des actions qui s’inscrivent dans le cadre d’une gestion durable et équilibrée des ressources forestières.
Gardiennes d’écosystèmes fragiles, parfois menacées, les forêts abritent plusieurs milliers d’espèces végétales et animales. Dans les forêts de France métropolitaine, le service statistique du ministère de l’Agriculture (Agreste) recense ainsi pas moins de 138 essences d’arbres, 73 espèces de mammifères et 120 espèces d’oiseaux. En plus, il recense près de 30 000 espèces de champignons et autant d’insectes. L’Office National des Forêts (ONF) a créé depuis le début des années 80 un réseau de 250 réserves biologiques à travers l’hexagone et dans les territoires d’outre-mer. Une cinquantaine de projets sont en cours d’instruction. Mais entre-temps, un danger nouveau se fait de plus en plus menaçant pour la biodiversité des forêts : le réchauffement climatique. Ce dernier affecte particulièrement les milieux et leurs habitants.
Selon l’ONF, 300.000 hectares de forêts publiques métropolitaines “subissent des dépérissements importants et un taux de mortalité inédit” depuis 2018. Ces trois dernières années, la mort prématurée des arbres en France s’expliquerait notamment par “des sécheresses estivales très marquées”, souligne Brigitte Musch, généticienne à l’ONF. “Il est inquiétant de voir tous ces arbres mourir. Aujourd’hui, quand on regarde une forêt, elle est “mitée”, c’est-à-dire qu’il y a des arbres morts et des arbres vivants. C’est bon signe, car cela signifie qu’il a des arbres capables de résister pour différentes raisons au changement climatique. […] Naturellement, des arbres peuvent migrer, à travers le pollen ou par les graines. Mais aujourd’hui, la vitesse du changement climatique est telle qu’on ne peut pas espérer une migration des espèces d’arbres du sud de la France vers le Nord. Le réchauffement est 10 fois plus rapide que la capacité d’adaptation des espèces.”
Mettre la gestion forestière au service de la biodiversité.
Face à cette menace grandissante, plusieurs initiatives voient le jour pour mettre la gestion forestière au service de la biodiversité. Dans le massif du Grand Colombier, entre l’Ain et la Savoie, une partie de la forêt d’Arvière a été mise sous cloche afin de protéger ses espèces végétales et animales. En 2017, une réserve biologique intégrale (RBI), baptisée RBI de la Griffe du diable, a ainsi été créée sur 100 hectares. Les premières observations des scientifiques ont déjà permis d’identifier plusieurs espèces d’insectes qu’ils pensaient disparues du département. Et même une espèce de coléoptères non répertoriée sur la planète.
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“La présence de cette RBI, qui est située au cœur d’un Espace naturel sensible (ENS) du département de l’Ain, permet de montrer comment un site évolue en étant préservé de tout usage, et c’est très rare !”, se réjouit Véronique Baude, vice-présidente du département. En Poitou-Charentes, un espace de 2 600 hectares dans la forêt domaniale de Chizé, entre les Deux-Sèvres et la Charente-Maritime, a été classé en RBI en 2006. La grande diversité de la faune et de la flore a attiré les scientifiques du CNRS et de Zoodyssée. Ils y ont respectivement installé un laboratoire et une station de mesure de la qualité de l’air. En plus, les professionnels de l’Ifrée y réalisent des actions d’éducation à l’environnement.
La gestion durable des forêts, enjeu désormais clairement identifié
La compréhension du rôle vital des forêts a incité le Conseil départemental de l’Essonne à acquérir le Bois de Monfils. Cette parcelle de 225 hectares de forêt se situe dans le Gâtinais. Sur cette surface, environ deux tiers (148 hectares) obtiendra le classement d’espaces naturels sensibles (ENS). Le tiers restant (77 hectares) servira de réserves forestières pour compenser l’empreinte environnementale de futurs projets d’aménagements départementaux, comme la construction de routes. “Ce massif qui s’intègre dans un réseau d’espaces boisés sur le plateau de Mennecy-Champcueil et abrite plusieurs mares, rus et fossés, doit notamment contribuer à limiter les inondations dans ce secteur”, ajoute le département.
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Cet engouement pour la préservation des forêts est également perceptible dans le cadre du plan France Relance. Ce dernier a retenu un projet de restauration de rigoles dans la forêt de Fausses Reposes, à Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine). Le but : creuser les rigoles qui se comblent au fil du temps pour reconnecter les mares entre elles. Elles permettront ainsi l’acheminement continu d’eau en forêt. “Ces cours d’eau sont des réservoirs de biodiversité. Ils permettent notamment la reproduction des amphibiens, c’est crucial de les entretenir”, explique Kevin Blanchon, technicien à l’association Espaces qui porte le projet.
De plus en plus d’expérimentations pour l’ONF
Pour garantir la gestion durable de la forêt, les gestionnaires des forêts privées et publiques multiplient également les expérimentations spécifiques. C’est par exemple le cas de la mise en place d’îlots de vieux bois par l’ONF. Ce bois mort ou vieillissant constitue un refuge et une source de nourriture pour de nombreux insectes, oiseaux et champignons. Au global, le vieux bois héberge un quart de la biodiversité forestière. Pour cette raison, l’ONF a décidé d’augmenter sa part à 11,6 % de la surface boisée, contre les 3 % imposés par la loi.
“Il y a 220 forestiers naturalistes à l’ONF. Depuis 2014, ils constituent un réseau qui a pour objectif de renforcer la connaissance de la biodiversité dans les forêts publiques, souligne Régine Touffait, secrétaire générale de la direction forêts et risques naturels à l’ONF. Ils sont répartis en six spécialités pour couvrir l’ensemble de la biodiversité forestière : herpétofaune, avifaune, entomologie, habitats-flore, mammifères et mycologie. […] Plus on connaît la biodiversité, mieux on la protège.” En 2019, le réseau entomologie a ainsi découvert deux nouvelles espèces dans le monde et neuf en France. Un travail qui permet ensuite aux gestionnaires forestiers de mieux prendre en compte la richesse des espèces dans leurs pratiques. “En 2019, l’ONF a également abandonné l’utilisation de tout produit phytopharmaceutique en forêt”, ajoute Régine Touffait.
Concilier l’ensemble des utilisations de la forêt
Pour le secteur forestier, le défi consiste à concilier tous les enjeux liés à la gestion durable des forêts, dans le contexte du changement climatique. Il s’agit notamment de maintenir la biodiversité, accueillir le public et fournir du bois dans le même temps. Si la demande sociétale en bois croît régulièrement, dans la construction et l’ameublement en particulier, il est nécessaire de veiller à une exploitation responsable des forêts du pays. Et éviter l’importation de bois au bilan carbone et économique lourd. L’importation ne s’inscrit pas dans le sens d’une transition écologique concrète et efficace.