Repenser les déplacements des spectateurs et spectatrices, le chauffage des salles obscures et même la provenance du pop-corn proposé aux cinéphiles … Les cinémas français entament leur mue afin de diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre, sur le modèle de salles pionnières telles que le futur Utopia de Pont-Sainte-Marie ou le Cinémanivel de Redon.
« Quand j’ai commencé à parler de toilettes sèches, même mon équipe s’est montrée sceptique », sourit Anne Faucon. Pourtant, d’ici quelques mois, le cinéma du réseau Utopia qu’elle s’apprête à inaugurer à Pont-Sainte-Marie, non loin de Troyes, sera bien équipé de toilettes sèches, mais aussi d’une chaufferie biomasse et d’une ossature bois, remplie à la paille. Construit avec des matériaux bio sourcés, pensé pour une optimisation énergétique, une gestion raisonnée de l’eau, notamment grâce à la valorisation des eaux usées, il deviendra ainsi le premier cinéma à énergie positive de France.
Un éco-ciné précurseur
« Je voulais construire une salle en cohésion avec les valeurs que nous défendons dans nos ciné-débats, où il est régulièrement question de la transition écologique », explique Anne Faucon qui pose ce 25 février la première botte de paille de ce projet. La gérante a souhaité rester dans le budget moyen d’un projet classique (moins de 3 millions d’euros), afin d’inciter d’autres cinémas à suivre cette démarche : « Nous tenions à contenir les coûts de construction, quitte à rogner nos dépenses notamment sur une enseigne ou une devanture imposante, pour prouver qu’il est possible d’être plus écologique sans pour autant être plus cher ».
Parmi les salles de cinéma françaises cet éco-ciné demeure, pour l’instant, un précurseur. « Je pense que bon nombre d’exploitants et exploitantes n’ont pas conscience de leur impact sur l’environnement », constate Juliette Vigoureux, pilote du projet cinéma du Plan de transformation de l’économie française du think tank The Shift project. « Dans l’imaginaire collectif, les salles de cinéma sont des lieux dans le noir, isolés. On pourrait penser que leur impact est négligeable », abonde Arnaud Boileau, assistant de direction du cinéma Le capitole à Suresnes, et auteur d’un mémoire de fin d’étude consacré à la transition environnementale des salles de cinéma. Pourtant, dans un rapport publié en novembre dernier, The Shift project estime que les salles de cinéma françaises émettent 1,1 tonne d’équivalent CO2 (CO2eq) par an.
Transports, énergie, confiserie … des leviers pour diminuer les émissions de GES
À l’image du cinéma Utopia de Pont-Sainte-Marie, quelques salles françaises agissent déjà pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Premier levier d’action : les transports. « Nous avons déterminé que 88,4% des émissions de CO2 des salles sont liées aux déplacements des spectateurs et spectatrices. Les salles de cinéma ont un vrai rôle à jouer dans la façon dont nous envisageons nos mobilités », constate Juliette Vigoureux. Anne Faucon précise : « Tous nos cinémas sont implantés en centre-ville ; de cette manière, les gens peuvent venir en transports en commun ou à vélo ». Des tarifs incitatifs pour les cinéphiles qui se rendent dans les salles grâce à des transports en commun sont une piste de réflexion par ailleurs énoncée par The Shift project.
« Il est également important que les salles optimisent les flux de températures afin de réduire leurs dépenses énergétiques », souligne Juliette Vigoureux. L’énergie représente 3,7% des émissions de GES des cinémas français. Éteindre la climatisation la nuit, ne pas chauffer de salles vides entre les projections ou même penser à l’orientation des bâtiments par rapport au soleil permettrait ainsi de limiter l’impact carbone des salles obscures. « Les cinémas se basent souvent sur les standards américains. Nous avons décidé de construire un bâtiment plus petit, avec un hall moins grand, pour moins chauffer et moins climatiser », explique Anne Faucon, qui a également opté pour des projecteurs à LED, moins gourmands en énergie.
Bien souvent associé aux expéditions dans les salles obscures, les traditionnels pop-corn ne sont pas en reste. The Shift project estime à 50 000 tonnes CO2eq le poids des émissions dues à la vente de confiseries dans les cinémas français en 2019. Bouteilles en plastique, pop-corn importé des États-Unis … « Une partie des salles réalise une forte part de son chiffre d’affaires grâce à ces ventes. Les supprimer serait un énorme manque à gagner », rappelle Arnaud Boileau.
Une alternative pourrait venir de Redon, à 70 kilomètres au sud de Rennes, où le Cinémanivel, lauréat du prix CNC de la salle innovante en 2018, se distingue grâce à une restauration locale, de saison avec des options végétariennes. « Nous faisons des efforts sur le comptoir confiseries en intégrant des boissons bio, locales -qui n’ont pas encore autant de succès que les confiseries habituelles- et en réfléchissant à un pop-corn local », ajoute Maëlig Cozic-Sava, directeur du cinéma aux sept salles, sur les rives de la Vilaine. Une initiative adoptée également par le cinéma MK2 Nation à Paris qui propose également depuis 2019 des produits issus de circuits courts.
Des initiatives encore timides mais encourageantes
Bien qu’optimiste, Arnaud Boileau déplore : « Quelques cinémas ont entamé des actions pour réduire leurs émissions mais il y a encore trop peu de projets moteurs ». « Ces derniers temps, notre capacité d’initiative est entamée par la gestion sanitaire au jour le jour », ajoute Maëlig Cozic-Sava.
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Depuis juin, le Centre du cinéma et de l’image animée semble toutefois inciter les cinémas à l’action, comme l’indique son programme éponyme. Parmi les objectifs affichés à l’horizon 2023 afin de limiter l’impact de l’industrie cinématographique sur l’environnement : « Accompagner l’amélioration des dépenses énergétiques par la rénovation thermique des […] salles de cinéma », alors que les salles sont encore aujourd’hui faiblement soumises à des réglementations environnementales. Une nouvelle encourageante, saluée par The Shift project : « En proposant une expérience sociale collective à son public, la salle de cinéma peut être un média de sensibilisation, de promotion et d’accompagnement à la transition environnementale ».