Dès le 1er octobre prochain, il n’y aura plus de « steak végétal ». Il sera interdit de donner une dénomination liée à un produit carné aux produits d’origine végétale. Plusieurs fédérations agricoles et du monde de l’élevage saluent une « avancée » pour « éviter toute tromperie du consommateur ». Élodie Vieille-Blanchard, docteure en sciences sociales, dénonce pour sa part une « manipulation grossière » des lobbies de la viande.

Dès octobre prochain, finis les « steaks végétaux » et les « saucisses de lentilles », selon un décret paru le 30 juin au Journal Officiel. Il transpose la loi « Transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires » adoptée en mai 2020. Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire interdit ainsi les dénominations liées aux produits carnés et souvent utilisées pour désigner les produits contenant des protéines végétales. Elles seront réservées uniquement aux produits carnés ou contenant une faible part de protéines végétales. Selon le Gouvernement, il serait question de renforcer la transparence sur les produits alimentaires et agricoles pour le consommateur.
Dans un communiqué, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), les fédérations nationales ovines, porcines, des producteurs de lait et des éleveurs de chèvres, ainsi que les Jeunes agriculteurs et les Aviculteurs de France se réjouissent d’une « avancée ». « La France effectue un nouveau pas décisif dans la transparence de l’information », précisent-ils. Si la fin de ces appellations ne concerne pour l’instant que le territoire français, ces acteurs demandent à l’État de « porter le dossier à Bruxelles » afin qu’il en soit de même pour tous les produits importés de l’Union européenne. En face, les défenseurs de l’environnement craignent le déclin du développement de produits d’origine végétale.
« Veggie », « alternatif »… des étiquettes compréhensibles pour le consommateur
Comme la France, les gouvernements du Pays-Bas et d’Australie ont souhaité interdire ce type d’appellations désignant les produits contenant des protéines végétales L’argument avancé : les consommateurs trouveraient « déroutants » les termes tels que « veggie » ou « alternatif » . L’argument parait pour le moins douteux.« D’après des enquêtes de consommation, notamment à l’étranger, il n’y a aucune confusion pour l’acheteur », affirme pourtant Élodie Vieille-Blanchard, doctorante en sciences sociales, spécialisée dans les domaines du climat et de l’alimentation, par ailleurs présidente de l’Association Végétarienne de France.
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Ces enquêtes indépendantes ont cependant souligné la clarté de ce type d’appellation (qui signifie l’absence de viande) pour le consommateur. « 96 % des plus de 22 000 membres du Radar Test Panel comprennent qu’une saucisse végétarienne signifie qu’elle est sans viande », indique par exemple une étude néerlandaise.
En Australie, seulement 4 % des consommateurs interrogés ont acheté « par inadvertance » un produit à base de plantes en raison « d’une confusion avec les étiquettes« , selon une étude de l’Institute for Sustainable Futures publiée en mars 2022. Mais parmi eux, 67 % ont indiqué être « pressés ou distraits » pendant l’achat, et n’avaient « pas lu l’étiquette du produit ».
Des risques d’incompréhension en cas de nouvelle appellation
À l’inverse, une appellation différente nuirait à la compréhension du consommateur. « Si l’on vous dit ‘merguez végétale’, vous savez ce que vous mangez, continue Élodie Vieille-Blanchard. Mais si l’on vous parle au contraire de ‘cylindre végétal’, vous n’allez pas l’acheter car vous ne comprenez pas l’appellation ».
Comme la spécialiste, l’Observatoire national de l’alimentation végétale (Onav) s’inquiète de ce changement d’appellation. « Ces dénominations donnent des informations précieuses, notamment gustatives, ou relatives au mode de cuisson et de préparation de ces aliments, avance-t-il. Donner d’autres dénominations à ces produits serait perturbant pour le consommateur« .
L’Onav rappelle également que la nature végétale des produits reste « recherché et motivant » pour l’acte d’achat. Par conséquent, l’Observatoire demande à ce que les termes “steaks”, “saucisses”, “nuggets” et “aiguillettes”, puissent être « utilisés par tous les industriels qui le souhaitent« .
Steak végétal : un marché porteur d’espoir
Au-delà du comportement du consommateur, l’industrie du végétal risque d’être impactée par cette loi. « Cela va pousser ces entreprises à changer de marketing, d’adopter un packaging. En finir avec ces dénominations nuirait à la vente de produits végétaux », ajoute Élodie Vieille-Blanchard. Pour elle, il n’est pas question de « clarté » de la part du gouvernement, mais plutôt de « freiner le développement des produits végétaux » au profit des lobbies de la viande.
Cette interdiction de dénominations pour les produits d’origine végétale entrera en vigueur en octobre prochain. Et ce, alors que le secteur européen a augmenté de 49% en deux ans selon le rapport 2021 “Plant-based Food Sector”. La France a même connu un taux de croissance de 90% parmi toutes les catégories végétales dans les supermarchés discounts.
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Un rapport de Bloomberg Intelligence paru en août 2021 intitulé « Plant-based food poised for explosive growth » prévoit pour sa part un marché mondial en croissance pour les substituts à base de plantes. Il pourrait passer de « 29,4 milliards de dollars en 2020 à 162 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie ». Une trajectoire menacée par les « intérêts économiques de la filière viande » selon l’Onav.
Une mauvaise idée pour contrer le réchauffement climatique
Mais le premier impacté par la fin du steak végétal serait….le climat ! « [Le décret] risque d’entraver et de retarder le développement de la filière végétale en France ainsi que la transition vers des alimentations plus saines et durables à plus forte composante végétale », renchérit l’Onav. Alors que les experts du climat recommandent de remplacer les produits d’élevage par des protéines végétales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’alimentation française resterait « encore beaucoup trop carnée », selon les recherches d’Élodie Vieille-Blanchard.
« Un certain nombre d’études préconisent de réduire notre consommation de viande, relève-t-elle. Mais il y a plein de dispositifs fiscaux ou de subventions qui freinent le développement de l’alimentation végétale ». L’experte cite notamment l’exemple de la PAC, qu’elle considère contraire à la transition pour une alimentation plus végétale .
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L’experte estime que la France ne cherche pas du tout à favoriser l’alimentation végétale. Elle considère ainsi que le gouvernement ne mène pas « une politique sérieuse » pour lutter contre le dérèglement climatique. « Ce système ne veut pas du tout aller vers une alimentation plus végétale. Pourtant on aurait tous à y gagner », se désole l’experte. Le collectif de fédérations agricoles défend quant à lui un décret évitant toute « tromperie du consommateur ». Un argument contesté par le monde végétarien. « Des enquêtes de consommation démontrent qu’il n’y a aucune tromperie. C’est une manipulation grossière de la part des lobbies de la viande », répond Elodie Vieille-Blanchard.
Sollicitée par téléphone, la FNSEA ne s’est finalement pas manifestée pour approfondir ce point.