Véritable révélation pendant la pandémie, le vélo s’est imposé dans le quotidien des Français. Face à ce succès, le Club des villes et territoires cyclables et marchables, ainsi que des élus nationaux, souhaitent favoriser davantage la place du vélo dans l’espace public. Un rapport parlementaire remis au Premier ministre par le député Guillaume Gouffier-Cha (LREM), préconise 63 propositions pour développer une filière économique française autour du vélo. Le but : l’imposer comme un moyen de transports à part entière. Enquête sur la renaissance du vélo, qui doit essentiellement son succès à la pandémie de Covid-19.
Byke your way, 17ème arrondissement de Paris. Au fond du magasin, trois vélos sont en cours de réparation. Ici, les rénovations sur des bicyclettes d’occasion dépassent les ventes, stables depuis quelques mois. « En ce moment avec l’hiver, c’est une période creuse », rapporte Milan, l’un des trois techniciens cyclistes de l’atelier. Pourtant, presque deux ans auparavant, la situation était différente. Car en 2020, lorsque la pandémie paralysait le pays, la demande de vélos s’est fortement accrue.
« Il y a eu une véritable euphorie, se souvient Simon Capdeboscq, directeur filiales des magasins Cyclable. Il y avait des files d’attente devant les magasins de vélo, ce qui n’est jamais arrivé dans nos points de vente à Paris« . En France, la filière vélo s’est véritablement affirmée ces deux dernières années. Selon l’Union sports et cycles, cette dernière a connu une augmentation de 25%. En centre-ville, on comptait 31% de passagers supplémentaires en 2021 par rapport à 2019.
Chez les actifs, le vélo a la côte
Certaines enseignes ont dû s’adapter à cette croissance fulgurante. Au cours de cette période, les demandes de vélos neufs et de réparations ont également explosé. « On a dû refuser des vélos faute de places et d’ateliers », continue Simon Capdeboscq. Les enseignes Cyclable avaient pu absorber 25% de la demande, alors que cette dernière s’avérait « nettement plus élevée ». Grâce au déploiement du coup de Pouce Vélo, instauré par le Ministère de la transition écologique d’avril 2020 à mars 2021, la marque a développé des ateliers de services, sous le nom de « Cyclables services », allant de la réparation à la vente de vélos d’occasion. « Tout centraliser a permis de réduire les délais de 1 à 2 semaines au lieu de 2 mois d’attente pour le client », explique Simon Capdebosq.
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Avoir son propre moyen de locomotion séduit désormais de nouveaux actifs, souvent par lassitude des transports en commun. Quitte aussi à délaisser les abonnements aux vélos en libre service des métropoles. « La problématique des vélib’, c’est que c’est un peu la loterie, témoigne Jérémie, 31 ans, manager en restauration à Paris. Quand il est tard et que tu souhaites prendre un vélib’ pour rentrer chez toi, soit il n’y a pas de station de libre, soit les vélos sont dans un sale état ». Le jeune homme a récemment récupéré un vieux vélo pour le remettre à neuf et se déplacer au quotidien.
De son côté, Pierre, 26 ans, étudiant à Gennevilliers, confirme le côté pratique de ce mode de déplacement. « En temps de pandémie, il est plus intéressant de rouler à vélo que d’être serré dans les transports ». Habitué de la petite reine, Pierre l’utilise quotidiennement pour chacun de ses déplacements. Pour lui, les avantages sont nombreux. « Je me sens libre de mes mouvements, d’aller où je veux sans dépendre des horaires de bus », détaille l’étudiant. Rapidité, sensation de liberté, le vélo permet aussi d’allier transport et loisir selon Simon Capdeboscq. « Les gens voulaient à tout prix éviter les transports en commun. Ils ont souhaité profiter de son usage rural pour se faire plaisir le week-end, lorsque les commerces étaient fermés ».
Un manque d’aménagements contraignant
Pourtant, des complications surviennent sur certains trajets. Le manque de pistes cyclables à divers passages urbains inquiète souvent les usagers. « Mes parents habitent Rennes, et les pistes cyclables sont moins sécurisées. Elles sont discontinues et les cyclistes croisent trop de voitures », regrette Marie, 22 ans, étudiante apprentie en aménagement paysager à Dijon. Mais cela ne la dissuade pas pour autant d’enfourcher son vélo pour se rendre à l’université. La jeune femme fait ses quinze minutes de trajet avec un vélo non électrique. « Je n’ai pas beaucoup de distance, autant mêler l’utile à l’agréable », justifie-t-elle.
À Paris, les pistes cyclables et les rues uniquement piétonnes se multiplient. Pourtant, trop de passages resteraient encore dangereux pour les usagers. « Quand je vais en stage, c’est l’enfer, raconte Pierre. Le trajet n’est pas adapté. Je circule sur des grands boulevards où l’on rencontre fréquemment des camions. Cela peut devenir vraiment dangereux ». De son côté, Jérémie perçoit également un manque d’aménagement pour se rendre sur son lieu de travail. « J’ai pu voir certains accidents, comme une porte de voiture qui s’ouvre alors qu’un vélo arrive », précise le trentenaire.
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Des mesures pour améliorer les pistes cyclables et leur stationnement
Pour lutter contre ces problèmes de sécurité et favoriser davantage les déplacements décarbonés, le Club des villes et territoires cyclables et marchables a formulé, lors d’une conférence de presse, et en présence d’élus nationaux, des propositions pour les élections à venir. « Les collectivités envisagent un aménagement différent de l’espace public, a déclaré Françoise Rossignol, présidente du Club. L’idée est de renverser la hiérarchie en mettant vélo et marche au sommet de la pyramide des déplacements, place occupée aujourd’hui par la voiture ». Ces propositions ont par ailleurs été défendues à l’occasion du vote de la loi Climat et Résilience, en juillet 2021.
Parmi les propositions, la construction d’infrastructures supplémentaires pour sécuriser les déplacements à vélo sur tout le territoire français. « L’idée serait de passer de 50 millions à 500 millions d’euros comme c’est le cas dans les pays européens les plus avancés », rappelle Françoise Rossignol en s’appuyant des solutions mises en avant par le député Guillaume Gouffier-Cha, co-président du Club des élus nationaux pour le vélo et député du Val de Marne (LREM). Les aménagements supplémentaires concerneraient autant les pistes cyclables que les places de stationnement, elles-aussi manquant parfois à l’appel. « J’ai envie de me rendre à mon lieu d’apprentissage, mais je ne peux pas, déplore Marie. Aux alentours, il n’y a rien pour attacher mon vélo alors que mon travail se situe en zone d’activités, à Brest ».
Ainsi, si les aménagements temporaires semblent « démotiver l’usage de la voiture » comme l’évoque Françoise Rossignol, les infrastructures manquent encore au goût des cyclistes. « On est sur la bonne voie, affirme cependant Simon Capdeboscq. Des villes, comme Strasbourg ou Paris, deviennent de plus en plus cyclables mais il faut sécuriser les pistes en centre-ville, notamment avec les vélos cargo ». Ce modèle de vélo est l’un des plus demandés en période de pandémie, par les familles, écoles et municipalités. Jérémie, quant à lui, suppose que le vélo deviendra, à l’avenir, le premier moyen de déplacement en centre-ville. « La voiture va disparaitre du paysage urbain. Mais pas dans des petites et moyennes villes car il y a une mauvaise offre des transports en commun ».
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« Tout est fait pour décourager l’utilisation de la voiture »
« Tout est fait pour décourager l’utilisation de la voiture à Paris », confirme à son tour Milan, de l’enseigne Byke your way. La limitation à 30 km/h, les 600 rues fermées pour les voitures, les places de parking retirées, le stationnement payant des deux roues… Personnellement, je trouve que ce sont de très bonnes résolutions. Le vélo, notamment électrique, reste le plus rapide pour se déplacer. La voiture n’a plus aucun sens ». Souhaitant poursuivre dans cette voie de découragement automobile, le Club des villes et territoires cyclables et marchables soutient fortement la limitation de vitesse à 30kmh dans les villes et villages. « Le 30 km/h devrait être, pour nous, le standard de la circulation en ville pour la sécurité mais également pour un apaisement global, pour protéger les marcheurs et réduire le bruit », détaille la présidente du club.
En plus ce ces mesures, le Club souhaite « agir massivement sur les trajets domicile-travail« , tout en favorisant le forfait mobilités durable, un dispositif financier pour leurs déplacements domicile-travail. « Le comité plaide pour qu’il soit obligatoire pour les employeurs et pour augmenter son plafond à 600 euros afin qu’il devienne incitatif et significatif« , indique Françoise Rossignol.
Éduquer à la pratique du vélo
Le savoir rouler à vélo marque la dernière priorité du club. Programme déjà existant pour les enfants de 6 à 11 ans, le but est de « remettre en selle de nombreuses personnes ». La priorité s’adresse notamment aux quartiers politiques de la ville, où « les obstacles culturels sont plus importants, notamment en ce qui concerne le vélo » selon Françoise Rossignol. Le Club plaide alors pour l’apport de moyens financiers aux collectivités pour généraliser cette formation à l’échelle nationale.
Le vélo, « éduquer à sa pratique »
Cette mesure répondrait à une autre inquiétude d’ordre sécuritaire. La maîtrise du vélo pour tous sur la voie publique apparaît nécessaire pour les habitués du vélo, constatant un plus grand nombre d’usagers en zone urbaine et péri-urbaine. « À Dijon, j’ai eu quelques accroches avec d’autres cyclistes car certains ne respectent pas le sens de circulation, signale Marie. On part du principe qu’un vélo n’est pas un vrai moyen de locomotion et privilégié pour la détente. Peut-être est-ce la raison d’une négligence sur certaines conduites à vélo, de jour comme de nuit ».
Comme Marie, Pierre constate un non respect du code de la route, tendant à fragiliser davantage la sécurité publique. « Je pense que beaucoup de gens ont découvert le vélo avec la Covid, alors qu’ils ne maitrisent pas ses fondamentaux. Il faudrait éduquer à sa pratique. Actuellement, cela devient un vrai danger pour les piétons, les autres cyclistes, et les automobilistes ». Les propositions détaillées par le Club seront portées dans le cadre des prochaines élections présidentielles et législatives. La FUB et Vélo & Territoires, deux associations partenaires, se joignent à cette démarche.