L’Université de la ville de demain invite les candidats et candidates à l’élection présidentielle à penser l’avenir de l’urbain français. À droite comme à gauche, les envies d’une ville plus agréable et désirable existent. Toutefois, la question de la pollution liée aux véhicules divise encore vivement l’échiquier politique.
À quelques heures de son départ pour Brest et le One Ocean Summit, Yannick Jadot a peu de temps devant lui. Avant son déplacement, le candidat écologiste à l’élection présidentielle fait un bref passage dans le grand amphithéâtre de la Maison de l’Océan, dans le cinquième arrondissement de Paris. L’Université de la ville de demain l’invite, à l’instar de ses concurrents, à donner ce matin-là sa vision sur l’avenir des zones urbaines et périurbaines pour le prochain quinquennat.
Le programme annonçait la venue de plusieurs d’entre eux, parmi lesquels Marine Le Pen, Éric Zemmour et Christiane Taubira. Finalement, seul Fabien Roussel, candidat du PCF est présent aux côtés de Jadot. Quelques porte-paroles sont également de la partie. Xavier Bertrand, président (LR) de la région Hauts-de-France, représente Valérie Pécresse pendant qu’Hervé Juvin, conseiller régional (RN) des Pays de la Loire, remplace Marine Le Pen. Nicolas Mayer-Rossignol et Olivier Klein, maires de Rouen et de Clichy-sous-Bois, remplacent respectivement Anne Hidalgo et le non-candidat Emmanuel Macron.
Ville de demain, « ville de riches? »
À 9h20 précises, la directrice de cabinet de Yannick Jadot fait interrompre le discours d’introduction d’Axel Dauchez, directeur de Make.org. En ouverture de la matinée, l’homme d’affaires livrait les résultats de la dernière consultation citoyenne organisée autour des attentes des Français sur la vie en ville. Mais celui qui veut devenir « le président du climat » ne doit pas rater son train. À peine le temps d’évoquer l’envie des 40.000 personnes interrogées de voir davantage de nature se mêler au bitume que l’entrepreneur quinquagénaire doit céder le pupitre. Qu’à cela ne tienne, il reprendra son exposé après le vert pressé.
En quelques secondes, Dauchez cède sa place à Jadot, qui rappelle qu’il n’a pas bousculé le programme, simplement fait respecter les horaires. L’imbroglio passé, le candidat EELV entre dans le vif du sujet. « Est-ce que les villes les plus dynamiques sont condamnées à être des villes de riches? », lance-t-il devant un auditoire attentif.
Favoriser l’accessibilité au logement, en particulier pour les classes moyennes et populaires, fait consensus parmi les personnalités présentes. Chacun le rappelle lors de son passage au pupitre. « Il y a une urgence absolue », alerte même Xavier Bertrand. « Nous sommes au bord d’une crise grave pour des millions de Français : habiter, se chauffer, se nourrir, se déplacer », abonde Hervé Juvin lorsque vient son tour de parole.
Le socialiste Nicolas Mayer-Rossignol, estime que la ville de demain doit être « abordable, inclusive et accessible ». Pour le maire de Rouen, il est nécessaire de construire de nouveaux logements destinés aux « 1,7 million de Français qui sont aujourd’hui en attente d’un HLM ».
Ville de demain : « les métropoles sont des monstres »
Face à ce besoin, Yannick Jadot propose de construire annuellement 150.000 habitations sur l’ensemble du quinquennat. Nicolas Mayer-Rossignol indique qu’Anne Hidalgo porte la même mesure dans son programme. Fabien Roussel lui, fait monter ce chiffre à 200.000 alors que Xavier Betrand affirme que Valérie Pécresse en promet 500.000 sur cinq ans. De son côté, Olivier Klein parle plutôt de démolir et construire « 100.000 logements et [de rénover] de 140.000 logements sociaux ».
Le conseiller environnement de Marine Le Pen affirme quant à lui que le Rassemblement National peut « facilement imaginer 200 à 250.000 rénovations par an ». Ces prévisions se veulent plus ambitieuses que les dynamiques actuelles. Selon l’Union sociale pour l’habitat, 150.000 logements ont été réhabilités en 2018. Yannick Jadot, lui, affirme vouloir investir 10 milliards d’euros dans un vaste plan de rénovation de l’immobilier ancien. Le candidat écologiste y voit une façon partielle de sortir de la dépendance énergétique, et « en particulier du gaz russe ».
Fabien Roussel, quant à lui, envisage la construction de nouveaux logements sous le prisme de la « démétropolisation ». Le quinquagénaire dynamique à la chevelure faussement décoiffée prône une meilleure répartition des Français sur le territoire, au profit des zones moins peuplées. « Les métropoles sont des monstres qui concentrent les pouvoirs et les richesses », fustige le conseiller municipal de Saint-Amand-les-Eaux (Hauts-de-France). Pour accompagner cette politique, Fabien Roussel propose d’inciter financièrement les travailleurs, « notamment les jeunes médecins ». Plus mesuré, Olivier Klein pense aux « 51% de ruraux se sentant abandonnés ». Afin de dynamiser les villages ruraux, le maire de Clichy-sous-Bois évoque une enveloppe de 3 milliards d’euros destinée aux 1.600 « petites villes de demain », dans lesquelles vivent moins de 20.000 habitants.
Le repeuplement des zones rurales est également un thème cher à Eric Zemmour. Le 28 janvier dernier, le candidat d’extrême droite proposait de verser 10.000 par foyer à la naissance d’un « enfant français » à la campagne, comme le rapporte Le Parisien.
« Sans taper sur les classes populaires »
Yannick Jadot voit dans cette politique de construction un moyen permettant « à celles et ceux qui sont toute la journée dans la ville d’y habiter ». Candidats et représentants s’accordent aussi sur l’importance d’avoir une « ville désirable ». Pour Nicolas Mayer-Rossignol, cela passe par la lutte contre la pollution et la « renaturation ». « Il existe une technologie extrêmement évoluée pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, pour réduire le CO2 dans la ville, ça s’appelle un arbre », lance-t-il, faisant allusion à une interview que l’ancien vice-président américain Al Gore avait donné au New York Times en septembre 2019.
Yannick Jadot partage l’envie de faire revenir des éléments de nature dans « des villes qui sont parfois terriblement minérales ». Hervé Juvin, lui, met en garde sur les travers de l’étalement urbain. « Il ne faut pas qu’une zone pavillonnaire sur des terres cultivables », dit le conseiller régional des Pays-de-la-Loire.
Si droite comme gauche partagent des envies de végétal et de rénovation, les dissensions se cristallisent autour des zones à faibles émissions (ZFE). Beaucoup y voient une entrave à la liberté de circulation des Françaises et des Français. Fabien Roussel est fortement opposé aux ZFE. « Je veux lutter contre la pollution de l’air sans taper sur les classes populaires », martèle le candidat communiste. « Dix millions d’automobilistes risquent d’être assignés à résidence parce qu’ils ont des voitures polluantes », ajoute-t-il.
Xavier Bertrand craint même des « levées de boucliers » de celles et ceux « à qui on a dit, il y a dix ou vingt ans, d’acheter de préférence des véhicules diesel français ». Ce dernier va jusqu’à qualifier les responsables de la mise en place des ZFE de « dingues ». En revanche, comme Nicolas Mayer-Rossignol, Yannick Jadot estime que les ZFE sont essentielles pour « repenser notre capacité à respirer en ville ». Et finalement, après avoir brièvement répondu aux questions des journalistes, l’écologiste est parti, à l’heure, prendre son train.