Connaissez-vous les bactéries « hydrocarbonoclastes » ? Derrière ce nom à rallonge se cache en réalité des bactéries capables d’éliminer les hydrocarbures, ou le pétrole, déversé par nos marées noires. Les chercheurs de l’Université de Tsukuba ont étudié l’une de ces bactéries afin d’en apprendre davantage sur ses habitudes alimentaires. Ils ont ainsi pu clarifier les mécanismes impliqués dans la biodégradation des hydrocarbures.

Avec plus de 750 millions de litres de pétrole déversés dans le Golfe du Mexique en 2010, la marée noire du Deepwater Horizon a été l’une des plus importantes au monde. Durant cet incident, les chercheurs ont pu observer le travail de bactéries dites « hydrocarbonoclastes ». L’une d’elle, l’Alcanivorax borkumensis, ou “dévoreuse d’alcanes”, a particulièrement retenu l’attention des chercheurs de l’Université de Tsukuba. L’équipe de scientifiques s’est alors spécifiquement intéressée aux biofilms formés par ces bactéries.
Mieux comprendre l’impact des biofilms sur les hydrocarbures
Les résultats de leurs recherches, dévoilées en août 2023 dans le magazine Science, permettent de mieux comprendre la manière dont le biofilm d’Alcanivorax borkumensis intervient dans le processus de dégradation des hydrocarbures. L’Institut Pasteur définit les biofilms comme des “structures hétérogènes constituées par des populations bactériennes englobées dans une matrice extracellulaire, fixées sur des surfaces naturelles ou artificielles”. En d’autres mots, un biofilm est une colonie de bactéries entourées d’une couche protectrice adhérant à une surface.
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Durant leurs expériences, les chercheurs ont observé en temps réel le comportement des bactéries autour de gouttelettes de pétrole. Selon l’étude, ces gouttelettes mesurent environ la moitié du diamètre d’un cheveu, soit 35 micromètres. Après avoir laissé les bactéries en contact avec le pétrole, les scientifiques ont constaté la formation de deux biofilms d’Alcanivorax borkumensis différents.
Après un jour de contact, les bactéries forment un “biofilm sphérique (SB)” autour de la gouttelette. Au fur et à mesure que le biofilm consomme cette gouttelette, elle garde sa forme sphérique. “En revanche, les bactéries prélevées au bout de 5 jours peuvent se développer dans des biofilms fins […] qui finit éventuellement par déformer et puis tubuler l’interface des gouttelettes, ce que nous appelons des biofilms dendritiques (DB)” poursuit l’étude. La forme ainsi obtenue est comparable à celle des pétales d’un chrysanthème sauvage organisés autour de la gouttelette de pétrole. Le biofilm dendritique déforme la gouttelette afin de faciliter sa consommation. Ainsi, des bactéries habituées au pétrole parviennent à le consommer plus efficacement grâce à l’optimisation de la structure du biofilm.
Une organisation trois fois plus efficace pour éliminer les hydrocarbures
Selon l’étude, avec un biofilm sphérique, les bactéries consomment 90% de leur gouttelette de pétrole en environ 72 heures. Les bactéries ayant formé des biofilms dendritiques, n’avaient quant à elles besoin que d’une vingtaine d’heures pour arriver à ce résultat. Pour comprendre d’où venait cette différence, les chercheurs se sont penchés sur le rythme de consommation individuel des bactéries. “La bonne entente entre nos modèles analytiques et nos données nous a permis d’estimer le rythme de consommation individuel de pétrole des cellules du biofilm sphérique et du biofilm dendritique comme étant de 0.7 et 0.8 femtolitre par heure, soit de 0.7 et 0.8×10 −15 litre/heure, respectivement” expliquent les chercheurs.
L’efficacité des biofilms dendritiques provient donc de sa structure. Selon les chercheurs, c’est la surface interfaciale, c’est-à-dire en contact avec la gouttelette de pétrole, plus importante avec la structure dendritique qui est responsable de cette différence. Grâce à cet espace supplémentaire, davantage de bactéries ont accès au pétrole. Elles le consomment alors plus rapidement.
Des bactéries détruites par les dispersants chimiques
D’après l’étude, les biofilms dendritiques ont la capacité de déformer les gouttelettes de pétrole et d’augmenter leur traînée hydrodynamique. Ainsi, les frottements entre l’eau et les gouttelettes de pétrole s’accentuent. Selon les chercheurs, cela pourrait aider la formation d’agrégats entre la matière organique et le pétrole, aussi connue sous le nom de “neige marine pétrolière”. Ces agrégats “ont été identifiés comme un mécanisme par lequel de grandes quantités de pétrole partiellement biodégradé étaient transportées vers le plancher océanique suivant le désastre de Deepwater Horizon” témoigne l’étude.
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Toutefois, les chercheurs ont aussi montré que les dispersants d’hydrocarbures, ou surfactants, peuvent avoir un effet nocif sur l’Alcanivorax borkumensis. Utilisés pour décomposer le pétrole des marées noires, ils entraînent une diminution du nombre de bactéries. En dessous d’un nombre critique de cellules, le biofilm se dissipe. “Pour tester cette hypothèse, nous avons infusé des surfactants dans un dispositif contenant des biofilms dendritiques. […] Après un décalage d’environ quatre heures, le biofilm s’est brusquement retiré et les gouttelettes déformées sont redevenues sphériques” expliquent les chercheurs.
“Bien que nous ayons découvert que l’ajout de dispersants d’hydrocarbures, de composition similaire à des mixtures disponibles dans le commerce, entraîne le détachement rapide du biofilm de la gouttelette de pétrole, de nombreux facteurs, comme la concentration du dispersant ; la composition, la température et la pression du pétrole ; et la concentration en nutriments affectent probablement la biodégradation” tempère toutefois l’étude. Des études plus poussées restent donc encore nécessaires pour continuer d’améliorer les techniques d’élimination du pétrole lors des marées noires.
Un mécanisme bien huilé
Si les chercheurs se sont particulièrement intéressés à l’Alcanivorax borkumensis, c’est pour sa grande efficacité sur de nombreux hydrocarbures. La bactérie fait partie du groupe des « bactéries hydrocarbonoclastes obligatoires (OHCB)” qui survit en consommant des hydrocarbures. Normalement minoritaires dans nos océans, celles-ci se multiplient rapidement lors d’incident pétroliers.
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Pour “dévorer” le pétrole, l’Alcanivorax borkumensis métabolise des hydrocarbures. Ce procédé permet à la bactérie de transformer ces hydrocarbures en énergie. Cela peut par exemple être comparé à la même manière dont l’Homme transforment sa nourriture en énergie. Seule contrainte : l’Alcanivorax borkumensis a également besoin d’oxygène pour métaboliser les hydrocarbures. À la fin de ce processus, la bactérie rejette du dioxyde de carbone et de l’eau.