Une étude parue aujourd’hui dans la revue scientifique Nature montre que les océans se mélangent beaucoup moins que prévu sous l’effet du changement climatique. Jean-Baptiste Sallée, auteur principal de l’étude, nous explique ces résultats et leurs implications.
L’océan joue un rôle central et fondamental de thermostat planétaire atténuant le réchauffement climatique. Mais selon une nouvelle étude menée par des chercheurs du CNRS, de Sorbonne Université, et de l’Ifremer, dans le cadre d’une collaboration internationale, ce rôle est menacé. Jean-Baptiste Sallée, auteur principal de l’étude parue aujourd’hui dans Nature et chercheur CNRS au Laboratoire d’Océanographie et du Climat (LOCEAN), nous explique ces résultats et leurs implications.
Natura Sciences : L’océan joue un rôle central dans le climat et un rôle clé dans le changement climatique actuel. Sur quelle fonction porte votre étude ?
Jean-Baptiste Sallée : Il faut d’abord rappeler que l’océan agit comme une pompe à chaleur et à carbone. Il s’avère que 90 % de l’excès d’énergie associé au changement climatique se trouve stocké dans les océans. L’atmosphère ne stocke qu’environ 1% de cet excès, le reste est absorbé par la cryosphère et les terres émergées. Par ailleurs, l’océan absorbe près d’un quart des émissions de carbone humaines. Par ces effets, l’océan constitue un tampon au changement climatique. Il agit comme un thermostat du climat qui nous permet de vivre un changement moins abrupte.
Pour jouer ce rôle de tampon, les eaux de surface sont séparées des eaux profondes par une couche particulière, une sorte de barrière que l’on appelle la « pycnocline« . Il s’agit d’une zone de changement de densité rapide de l’eau qui agit comme une barrière à la circulation verticale de l’eau. La profondeur de cette barrière dépend des régions et des saisons. Mais pour vous donner un ordre de grandeur, elle se situe entre 50 et cent mètres de profondeur aux pôles.
La couche de surface est mélangée par les vents, et absorbe de plus en plus de chaleur sous l’effet du réchauffement climatique. Pour que l’océan joue un rôle d’atténuation du changement climatique, il faut que cette chaleur soit transmise dans l’océan profond, loin de l’atmosphère. Mais cette barrière entre océan de surface et océan profond devient de plus en plus difficile à franchir. Notre étude analyse à quel point la structure fondamentale de l’océan est en train de changer et pourrait modifier cette capacité qu’a l’océan à faire communiquer sa couche de surface et les profondeurs.
Vous parlez d’un découplage entre les eaux de surface et les eaux profondes, qu’est-ce que cela signifie?
On assiste à une sorte de découplage entre la couche de surface et les eaux profondes, un peu à la manière d’une couche d’eau sur de l’huile. La pycnocline s’intensifie. Cela veut dire que les caractéristiques des eaux de surface et des eaux profondes diffèrent de plus en plus. Ce découplage s’observe sur l’ensemble du globe, mais pour des raisons légèrement différentes en fonction des régions. La densité est contrôlée principalement par la température sur l’ensemble du globe, sauf aux hautes latitudes, proches des pôles. Là, c’est plutôt la salinité qui contrôle la densité.
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Mais le résultat est le même. Les eaux de surfaces se réchauffent et la salinité diminue aux pôles sous l’effet de l’intensification des précipitations et de la fonte des glaciers. Le résultat? Les eaux les eaux de surface sont de plus en plus légères. Cela cause une déstabilisation de l’océan en rendant la communication entre la couche de surface et les profondeurs beaucoup plus difficile.
Est-ce que ces résultats vous surprennent?
On s’attendait à ce que la couche de surface devienne de plus en plus légère. Ce qui est étonnant, c’est la rapidité avec laquelle ce découplage a lieu depuis 50 ans. On estime que la différence de densité augmente à un taux de 9% par décennie sur les 50 dernières années par rapport à la normale, en absence de réchauffement climatique. Ce taux est à peu près équivalent sur l’ensemble du globe. Il est surtout six fois supérieur aux estimations passées.
L’étude montre que cette barrière s’intensifie mais aussi qu’elle devient de plus en plus profonde sous l’effet de l’intensification des vents. L’épaississement de la couche de surface atteint entre 5 et 10 mètres par décennie.
Quels peuvent être les effets sur les océans?
Je n’ai pas la réponse à cette question. La structure fondamentale de l’océan change rapidement. On peut imaginer une diminution du stockage de chaleur et de carbone par les océans. Mais cette étude ne permet pas encore de quantifier cet impact et la rétroaction positive sur le climat.
Le fait d’avoir une couche de surface plus profonde limite l’accès à la lumière pour le phytoplancton. Ce dernier se mélange sur l’ensemble de la couche de surface. Plus il se mélange profondément, moins il passe de temps dans les premiers mètres de l’océan, là où il est le plus éclairé. Cet effet reste à quantifier, mais cela pourrait avoir un effet négatif sur la croissance du phytoplancton qui est le premier maillon de la chaîne alimentaire dans l’océan.
Que peut-on faire pour empêcher cette uniformisation des océans?
Pour empêcher cela, la seule chose à faire est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Propos recueillis par Matthieu Combe