L’IPBES publie la première évaluation mondiale intergouvernementale sur l’état de la biodiversité et des services écosystémiques. Elle est formelle : près d’un million d’espèces sont menacées d’extinction. Lumière.
Le résumé approuvé lors de la 7ème session plénière de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui s’est réunie du 29 Avril au 4 mai 2019 à Paris, dresse un triste constat de l’état de la vie sur la Terre. L’Homme a transformé la surface de la Terre à tel point qu’il menace grandement la biodiversité mondiale. Les experts estiment que 75 % du milieu terrestre est « sévèrement altéré » à ce jour par les activités humaines. Ces dernières altèrent aussi sévèrement 66% du milieu marin. L’agriculture et l’élevage occupent plus d’un tiers de la surface terrestre du monde et utilisent près de 75 % des ressources en eau douce. L’Homme a détruit 87% des zones humides présentes au 18e siècle.
Des destructions de biodiversité à tous les niveaux
Déforestation, pesticides en agriculture, artificialisation des sols, surpêche, émissions de CO2, pollution par les plastiques… l’Homme dégrade la nature et les écosystèmes à tous les niveaux. « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais, alerte le président de l’IPBES, Sir Robert Watson. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier. »
La course à la destruction se poursuit. L’humanité extrait environ 60 milliards de tonnes de ressources non renouvelables dans le monde chaque année. En hausse de près de 100% depuis 1980. Les experts estiment que le taux d’extinction des espèces est « sans précédent » et qu’il « s’accélère ». Ils appellent à des « changements transformateurs » pour « restaurer et protéger la nature » et dépasser les « intérêts particuliers« .
Un million d’espèces menacées d’extinction
L’IPBES évalue à 8 millions le nombre total d’espèces animales et végétales sur la Terre (y compris 5,5 millions d’espèces d’insectes). Jusqu’à un million d’entre elles sont menacées d’extinction. Une bonne partie pourrait disparaître au cours des prochaines décennies. Il s’agit d’une première dans l’histoire de l’humanité. Près de 500 000 espèces terrestres présentent un habitat insuffisant pour leur survie à long terme. Il faut restaurer leur habitat. Depuis 1900, l’abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué en moyenne d’au moins 20 %.
Au total, plus de 40 % des espèces d’amphibiens et environ 10% des insectes sont menacées d’extinction. C’est aussi le cas de près de 33 % des récifs coralliens, des requins, et plus de 33 % des mammifères marins. Environ 10% des espèces d’insectes sont menacées d’extinction. Le nombre d’espèces exotiques envahissantes a augmenté de 70% depuis 1970 dans les 21 pays ayant des dossiers détaillés. 55 % : zone océanique exploitée par la pêche industrielle. « Cette perte est la conséquence directe de l’activité humaine et constitue une menace directe pour le bien-être de l’humanité dans toutes les régions du monde », explique le professeur Josef Settele, co-présidant de l’évaluation.
Des liens forts entre biodiversité et changement climatique
Les auteurs ont étudié les causes principales de cette crise de la biodiversité. Ils en retiennent cinq. Par ordre d’importance décroissante : les changements d’usage des terres et de la mer, l’exploitation directe de certains organismes, le changement climatique, la pollution et les espèces exotiques envahissantes.
Le changement climatique fait déjà de nombreux dégâts. 47 % des mammifères terrestres non volants et 23 % des oiseaux menacés ont probablement vu leur répartition affectée par l’impact du changement climatique. « Le changement climatique a déjà un impact sur la nature, depuis le niveau des écosystèmes jusqu’à celui de la diversité génétique – impact qui devrait augmenter au cours des décennies à venir et, dans certains cas, surpasser l’impact dû au changement d’usage des terres et de la mer et des autres facteurs de pression« , estime l’IPBES. « Les causes du changement climatique et de la perte de biodiversité ont beaucoup en commun, et ce rapport prouve que nous ne pouvons sauver le climat que si nous sauvons également la nature.« , prévient pour sa part Laurence Tubiana, directrice générale de laFondation européenne pour le climat (ECF).
Quelles solutions à la crise de la biodiversité ?
Les auteurs du rapport ont examiné six scénarios stratégiques très différents regroupant diverses options politiques et approches. En dehors des scénarios comprenant un changement transformateur, les tendances négatives pour la nature, les fonctions des écosystèmes, et de nombreuses contributions de la nature aux populations continueront jusqu’en 2050 et au-delà. Les changements transformateurs supposent des remaniements radicaux des trajectoires actuelles. Ils devront avoir lieu dans les domaines de l’économie, de la société, de la politique et de la technologie.
Il s’agit de s’attaquer aux causes profondes et interconnectées. « Les principaux facteurs indirects comprennent l’augmentation de la population et de la consommation par habitant ; l’innovation technologique, dont les dommages causés à la nature ont diminué dans certains cas tandis qu’ils ont augmenté dans d’autres; et, de manière critique, les questions de gouvernance et de responsabilité. », analyse le professeur Brondízio, également co-président de l’évaluation. Le rapport souligne l’importance, entre autres, d’adopter une gestion intégrée et des approches intersectorielles. Elle doivent prendre en compte les compromis entre la production alimentaire et celle de l’énergie, les infrastructures, la gestion de l’eau douce et des zones côtières, ainsi que la conservation de la biodiversité. Le rapport identifie l’évolution des systèmes financiers et économiques mondiaux comme un élément clé des politiques futures plus durables.
145 experts issus de 50 pays ont élaboré ce rapport au cours des trois dernières années. 310 autres experts ont apporté des contributions additionnelles. Le rapport évalue les changements au cours des 50 dernières années. Il étudie la relation entre les trajectoires de développement économique et leurs impacts sur la nature. Basé sur une revue d’environ 15 000 références scientifiques, il s’appuie aussi sur les savoirs autochtones et locaux.
Auteur : Matthieu Combe, journaliste du webzine Natura-sciences.com