Dans un nouveau rapport dévoilé ce vendredi 8 juillet, l’IPBES appelle à protéger durablement la faune et flore pour maintenir le bien-être humain. Ces dernières années, la menace d’extinction de la biodiversité et des écosystèmes s’est intensifiée.
Après les experts du climat, c’est au tour des experts de la biodiversité de sonner l’alerte. Le réchauffement climatique et l’activité humaine mettent en péril la nature, pourtant essentielle aux humains. Dans son rapport « Utilisation durable des espèces sauvages » dévoilé ce vendredi, la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) pose un constat général. Ces dernières décennies, la crise de la biodiversité s’est intensifiée, menaçant directement une grande variété d’espèces sauvages telles que les plantes (dont les algues), les champignons et les animaux, terrestres et marins. Un chiffre phare ressort. Au total, l’Humanité dépend de 50.000 espèces sauvages pour sa survie. Elles valent aussi bien pour l’alimentation, que l’énergie, les matériaux, la médecine, les loisirs, et d’autres besoins humains.
Mais le constat ne s’arrête pas là. Comme un second Giec, l’IPBES a travaillé sur cette étude pendant quatre ans avec 85 experts scientifiques (ainsi que 200 auteurs collaborateurs). Son rapport explore et analyse l’utilisation des espèces sauvages dans le monde. La plateforme intergouvernementale appelle à utiliser ces espèces de façon plus durable. C’est-à-dire de façon à maintenir le bien-être humain tout en préservant les écosystèmes.
Des populations dépendantes, selon l’IPBES
Les espèces sauvages n’affichent pas toutes un bilan éclatant, loin s’en faut. Un peu plus de 10.000 d’entre elles ont été étudiées par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Et seulement 34% d’entre elles sont exploitées de manière « durable ».
À ce jour, les experts comptent un million d’espèces de plantes et d’animaux menacées d’extinction. La plupart des populations rurales restent contraintes d’utiliser de manière non durable certaines espèces pour assurer leur survie. « Les populations rurales des pays en développement [soit environ 45% de la population mondiale, ndlr] sont les plus exposées au risque d’une utilisation non durable. L’absence d’alternatives complémentaires les contraint souvent à exploiter davantage les espèces sauvages déjà en danger », a déclaré Jean-Marc Fromentin, coprésident de l’évaluation.
Au total, 70% des individus vivant en dessous du seuil de pauvreté dépendent directement des espèces sauvages. « Une personne sur cinq dépend des plantes sauvages, des algues et des champignons pour son alimentation et ses revenus. 2,4 milliards de personnes dépendent du bois de chauffage pour cuisiner. Environ 90 % des 120 millions de personnes travaillant dans les pêcheries de capture vivent de la pêche à petite échelle », a détaillé Maria Emery, co-présidente du rapport. Elle souligne que l’utilisation régulière de ces espèces reste importante sur l’entièreté du globe. « Du poisson que nous mangeons aux médicaments, en passant par les cosmétiques, la décoration et les loisirs, l’utilisation des espèces sauvages est beaucoup plus répandue que la plupart des gens ne le réalisent ».
La biodiversité menacée par une surexploitation des espèces
« L’utilisation des espèces sauvages a augmenté, mais la durabilité de l’utilisation a varié », souligne l’IPBES. Si 50.000 espèces assurent la survie de l’Homme, une grande partie s’avère menacée par des pratiques humaines. Parmi ces pratiques, la cueillette, l’exploitation forestière ou le prélèvement d’animaux terrestres nécessitent une utilisation spécifique des espèces animales et végétales. Mais l’augmentation des besoins humains contribue à les surexploiter. C’est notamment le cas de la pêche, où « 34% des stocks de poissons sauvages marins se retrouvent surexploités », a affirmé Jean-Marc Fromentin. En plus de cette donnée, l’expert rajoute que 66% de ces poissons sont exploités « dans les limites de la durabilité biologique ».
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Les scientifiques dénoncent particulièrement la surexploitation. Pour cause, celle-ci constitue « l’une des principales menaces pour la survie de nombreuses espèces terrestres et aquatiques à l’état sauvage », a soulevé John Donaldson, également co-auteur du rapport de l’IPBES. L’expert préconise alors d’inverser les tendances de l’utilisation dite non durable pour obtenir « de meilleurs résultats pour les espèces sauvages et les personnes qui en dépendent ». Chaque année, au cours de ces dernières décennies, 90 millions de tonnes de poissons sauvages sont capturés pour l’alimentation humaine et les pratiques d’aquaculture et d’élevage. Cela vaut également pour les raies et requins. 449 espèces se retrouvent menacées, soit 37,5% des espèces identifiées.
Pour remédier aux atteintes à la biodiversité, l’IPBES prône alors la réduction de la pêche illégale, tout en soutenant la pêche à petite échelle. Elle recommande également de supprimer les subventions financières « néfastes » et de créer « de manière proactive » des institutions transfrontalières efficaces.
Exploitation forestière en Asie et en Afrique
En plus de la surexploitation animale, la biodiversité reste largement menacée par l’exploitation forestière. Avec la cueillette et la chasse, elle pourrait toucher 12% des espèces d’arbres sauvages selon l’IPBES. Ces pratiques menacent par ailleurs plusieurs groupes de plantes, comme les cactus, les cycas et les orchidées. Au total, 1.341 espèces de mammifères sauvages pourraient décliner à cause de ces pressions.
Pour contrer cette tendance, les experts de la biodiversité préconisent « la gestion et la certification des forêts pour des usages multiples ». Ces derniers incluraient la réduction des déchets dans la fabrication des produits du bois via des innovations technologiques mais surtout la reconnaissance des peuples autochtones et des communautés locales .
Toutefois, les experts observent quelques améliorations. « L’exploitation illégale des forêts a diminué dans certaines parties des Amériques tropicales, ainsi que dans certaines parties des régions tropicales et montagneuses d’Asie, grâce à une meilleure surveillance et à des collaborations transfrontalières », souligne le rapport.Elle continue néanmoins d’augmenter, avec le commerce illégal, dans d’autres régions du monde. Notamment en Asie du Sud-Est, l’Asie du Nord-Est et certaines régions d’Afrique.
Les peuples autochtones, garants de la biodiversité
Le rapport de l’IPBES confirme les affirmations de nombreuses associations environnementales. Les peuples autochtones, grâce à leurs connaissances de la nature, permettent le maintien de la biodiversité. Ceux-ci gèrent la pêche, la cueillette et d’autres utilisations d’espèces sauvages sur « plus de 38 millions de km2 de terres, soit environ 40% des zones terrestres conservées dans 87 pays », résume un communiqué. « Ces pratiques et ces cultures sont diverses, mais il existe des valeurs communes, notamment l’obligation d’engager la nature avec respect, de rendre la pareille pour ce qui est pris, d’éviter le gaspillage, de gérer les récoltes et d’assurer une distribution juste et équitable des avantages tirés des espèces sauvages pour le bien-être de la communauté », a déclaré Maria Emery, elle-aussi co-auteur du rapport.
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Selon les observations de l’IPBES, l’utilisation durable des espèces se montre plus favorable au sein de politiques sécurisant les droits fonciers et l’accès équitable aux terres. « Il est essentiel de garantir une utilisation durable et un partage juste et équitable de ses avantages. En particulier pour les populations les plus vulnérables et les communautés qui sont les gardiens de la nature. L’utilisation durable peut constituer une forte incitation à la conservation et à la vie en harmonie avec la nature », a réagi Inger Andersen, directrice exécutive au Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
Le commerce illégal fait obstacle à une utilisation durable des espèces
Enfin, le rapport alerte sur le commerce illégal des espèces sauvages, conduisant le plus souvent à une utilisation non durable. Selon l’étude, plus de 1.000 espèces d’oiseaux, reptiles, poissons et mammifères font l’objet d’un commerce légal ou illégal. « Si les espèces commercialisées comme animaux de compagnie représentent moins de 1% du commerce global des espèces sauvages, le nombre d’individus commercialisés se compte quant à lui en millions », précise le rapport.
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Le commerce illégal d’espèces sauvages représente à lui seul la troisième catégorie la plus importante de l’ensemble du commerce illégal. Et ce, derrière le trafic de drogues et le trafic d’armes. Les auteurs du rapport estiment que ce type de commerce s’élève entre 69 et 199 milliards de dollars. Les commerces illégaux de bois et de poissons constitueraient les deux commerces illégaux les plus lucratifs.
De manière générale, le commerce des espèces sauvages génère une pression importante sur les espèces sauvages. La principale raison est l’absence de réglementation « efficace » tout au long des chaînes d’approvisionnement, explique l’IPBES. Cette pression nuit à leur durabilité, et conduit à l’effondrement des populations sauvages.
Le rapport constitue un élément clé pour orienter les futures actions à mettre en place, face à une biodiversité menacée par le changement climatique, l’augmentation de la demande et les progrès technologiques. Il convient à présent à la 19ème Conférence mondiale sur la vie sauvage de prendre les décisions qui s’imposent sur la protection des espèces. Celle-ci se tiendra à Panama en novembre prochain.