L’obésité concerne environ 8,5 millions de patients de tous âges en France. Pour autant, les causes de l’obésité diffèrent chez enfants et adultes. La professeure Béatrice Dubern, pédiatre spécialisée en nutrition, revient sur les causes de l’obésité infantile, essentiellement déclenchée par des facteurs génétiques. Entretien.

En 2017, une étude révélée par la revue scientifique britannique The Lancet prédisait que le nombre d’enfants en situation d’obésité dépasserait celui en insuffisance pondérale en 2022. Quel constat fait-on en France aujourd’hui ? Natura Sciences s’est entretenu avec la professeure Béatrice Dubern, pédiatre spécialisée nutrition et gastroentérologie à l’Hôpital Armand Trousseau APHP à Paris, et chercheuse à l’Inserm. Si l’experte ne remarque pas d’évolution inquiétante en France, elle met cependant en lumière les causes de l’obésité infantile, très différentes de celle de l’adulte.
Natura Sciences : Les derniers résultats de l’enquête Obépi-Roche estime que 17% de la population française est atteinte d’obésité. Les causes sont-elles identiques entre adultes et enfants ?
Pr Béatrice Dubern : Une grande part de la société a tendance à faire de l’adultomorphisme, c’est-à-dire considérer que l’obésité de l’enfant est la même que celle de l’adulte. Or, les mécanismes sont différents. Les facteurs génétiques jouent un rôle prédominant chez les plus jeunes. Ils déterminent à peu près 70 à 80% de leur poids. Chez l’adulte, l’impact de l’environnement regorge un peu plus d’importance, avec, par exemple, la consommation de médicaments. Mais chez l’enfant, on sait que c’est une prédisposition génétique. Des études montrent également des scores polygéniques (c’est-à-dire comment le risque d’une personne se compare à celui d’une autre, via sa constitution génétique, NDLR). Plus on cumule un nombre important de variants et de gènes influents à l’obésité, plus on dispose d’une trajectoire vers un excès de poids.

Où sont situés ces gênes ? Comment fonctionnent-ils ?
Ces gènes sont principalement observés dans une zone du cerveau qui s’appelle l’hypothalamus, impliqué dans le contrôle des fonctions cardiaques et respiratoires, mais aussi dans le contrôle du poids. Chaque individu est soumis à un système assez fin de régulation de la masse corporelle. L’enfant doit manger et dépenser un certain nombre de calories pour favoriser une croissance stable. Sa balance énergétique, c’est à dire l’équilibre entre ce que l’on mange et ce que l’on dépense, dépend d’un certain nombre d’hormones qui viennent notamment de la périphérie du tissu adipeux (un ensemble de cellules stockant les graisses, NDLR) où une hormone appelée leptine va être secrétée.
Si l’on prend trop de masse grasse suite à un excès, cette sécrétion augmente. La leptine circulante va augmenter dans le sang et informer l’hypothalamus de l’augmentation des stocks d’énergie. On connaît de mieux en mieux les gènes qui sont appliqués, ce qui nous permet de développer de nouveaux médicaments agissant contre l’obésité de l’enfant. Avant, seulement cinq gènes étaient identifiés. Maintenant, on en compte plus de 60. On est actuellement en train de revoir toute la physiologie de la pathologie avec ces nouvelles découvertes de gènes.
Avec cette prédisposition, l’enfant est en quelque sorte destiné à ce risque d’obésité ?
Exactement. Beaucoup de personnes ont du mal à l’accepter mais c’est malheureusement ce qui se passe. On le constate avec les enfants qui développent très tôt un problème de poids. Souvent, l’un de leurs deux parents a lui-même connu cette même pathologie étant plus jeune (l’étude Obépi-Roche démontre que 57% des enfants concernés ont un parent également exposé à l’obésité, NDLR). Cependant, il faut souligner que l’on parle beaucoup de l’obésité alors qu’il existe le même phénomène pour la maigreur. Des jeunes vont au contraire être prédisposés à un indice de masse corporelle (IMC) faible à cause de variants qui vont plutôt porter sur l’absence de prise de poids.
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Combien d’enfants sont touchés par l’obésité en France ?
Entre 5 et 6% d’enfants sont en situation d’obésité, contre environ 20% en surpoids. Ces chiffres proviennent de l’étude Obépi-Roche, relancée par la Ligue contre l’obésité. Mais ces données restent générales. Si l’on va plus loin, des discordances s’observent entre les régions. La prévalence est plus importante dans certains territoires, notamment dans les Hauts-de-France, la région PACA, et surtout en Outre-mer. Elle s’avère néanmoins moins évidente en Île-de-France.
Comment expliquer cette répartition ?
Les patients peuvent avoir des ancêtres qui ont vécu dans des conditions de vie difficiles, en Afrique ou d’autres régions du monde. Par cela, ils ont été en quelque sorte présélectionnés pour résister à des carences nutritionnelles. On observe aujourd’hui un changement d’environnement dans les îles, comme il y a en a eu France dans les années 90 avec la transition économique. Avec ce changement, cette prédisposition à l’excès de poids se révèle chez beaucoup d’enfants. On compte aussi plus de soucis métaboliques, comme du diabète. En revanche, ce phénomène s’observe moins en France métropolitaine.
Les restrictions sanitaires liées à la pandémie ont-t-elle impacté ces chiffres ?
Je reste très partagée sur ce point. D’abord parce qu’il n’existe pas de chiffre comparatif. Dans l’ensemble, je n’ai pas remarqué de prise de poids majeure dans mon expérience clinique. Avec mes collègues, nous avons l’impression que la pandémie n’a pas du tout aggravé les choses. Chez les personnes atteintes d’obésité, il n’y a pas eu de prise de poids inquiétante car elles ont redoublé d’attention. Les patients savaient qu’ils avaient davantage de risques à prendre du poids. Au contraire, cet excès a plutôt touché les patients qui n’en avaient pas, en raison d’un changement brutal de mode de vie. L’arrêt des activités sportives pendant le confinement a mené certains enfants à passer d’un IMC mince à un surpoids.
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L’étude publiée par The Lancet en 2017 prévoyait que le taux d’obésité infantile dépasserait le nombre d’enfants en insuffisance pondérale en Europe en 2022. Comment se situe la France en termes d’obésité infantile à l’échelle européenne ?
Nous ne sommes pas dans les plus mauvais, en particulier chez les filles (62% des enfants en situation d’obésité sont des garçons, contre 38% de filles, NDLR). La France figure parmi les pays avec le moins d’enfants obèses, là où l’Angleterre et l’Allemagne figurent parmi les moins bons élèves européens. Bien que beaucoup de personnes ne soient pas à l’aise avec cette idée, il existe des discordances au niveau des origines ethniques. Quand on regarde du côté des populations anciennement issues de migrations, on constate que les problèmes de poids sont beaucoup plus présents.
Pouvez-vous donner quelques exemples ?
Cela a par exemple été démontré en Allemagne avec les populations turcs. Cela dépend aussi de la répartition génétique dans les pays. En Angleterre, énormément d’individus viennent d’anciennes colonies britanniques, comme l’Inde ou le Pakistan. Nous ne pouvons pas comparer les pays européens entre eux, car les populations n’ont pas la même génétique.
Si l’on prend l’exemple des Inuits, ceux-ci sont plutôt minces, en raison d’une augmentation de la dépense énergétique. Cette dernière s’explique par la lutte contre les températures froides où ils vivent géographiquement. A contrario, les populations qui ont migré en Australie, où le climat est plus chaud, luttaient moins contre le froid. Cela diminue la dépense énergétique et entraîne le développement de l’obésité. Il y a peut-être finalement eu une adaptation de l’espèce humaine au cours des migrations et du milieu dans lequel on vit. L’environnement joue un rôle, mais il faut rappeler qu’il n’y a pas que ça.