L’ours polaire est devenu le symbole de la fonte de la banquise arctique. Si le changement climatique va de plus en plus menacer sa survie, le principal danger qu’il doit affronter aujourd’hui est l’homme.
Plusieurs études scientifiques évoquent un accroissement des rencontres et conflits entre êtres humains et ours polaires. En cause : la faim. Les ours polaires s’approchent des villages à la recherche désespérée de nourriture, comme en témoigne une étude parue dans la revue Oryx, le journal international de la conservation. L’extension des zones urbanisées favorise le contact entre l’ours polaire et l’homme. « Souvent on dit un peu vite qu’à cause du réchauffement climatique les ours polaires affamés se rapprochent des humains, confirme Farid Benhammou, géographe chercheur associé au laboratoire Ruralités de l’université de Poitiers. Mais on oublie de dire qu’en fait ce sont les humains qui se sont rapprochés des ours. »
La menace des énergies fossiles en Arctique
Selon Farid Benhammou, l’amplification de la présence humaine s’explique par la hausse de l’exploitation des ressources naturelles en Arctique. La région attise notamment les convoitises des entreprises de production d’énergies carbonées. Farid Benhammou explique : « Les humains vont notamment occuper les territoires des ours blancs dans des zones de l’Arctique russe. Là-bas, de plus en plus d’infrastructures servent à l’exploitation gazière. De plus, les hommes réactivent d’anciennes bases militaires ou en créent pour des raisons de sécurité, de stratégie ou de navigation ».
Selon une étude de l’Institut de géophysique américain (USGS), la région arctique renfermerait 13% des ressources mondiales non découvertes de pétrole et 30 % de celles de gaz naturel. Par ailleurs, ces exploitations génèrent des pollutions qui engendrent une pollution des eaux et des perturbations sonores potentiellement mortelles pour les mammifères marins, dont font partie les ours polaires.
L’ours blanc encore relativement préservé
La population d’ours polaires est estimée à 26.000 individus par l’Environment and Natural Resources. Aujourd’hui, l’ours polaire n’est pas l’espèce la plus menacée d’extinction à court terme en Arctique. En effet, la zone où vit la majorité d’entre eux reste relativement préservée. Des images satellites prises par le Centre national américain de données des couverts de neige et de glace (National Snow and Ice Data Center – NSIDC) indiquent que la fonte de la banquise à l’extrême nord du Canada est moins rapide que dans d’autres zones du globe.
Rémy Marion, conférencier, réalisateur, auteur et spécialiste des régions polaires, indique que cette zone géographique est propice aux ours parce que « la banquise y est un peu plus pérenne, et s’y renouvelle régulièrement ». « C’est dans l’archipel nord canadien que se trouvent les deux tiers de la population mondiale d’ours blancs », ajoute le conférencier. En effet, selon le Comité administratif sur l’ours blanc, le Canada abriterait près de 16.000 ours blancs.
Mais le changement climatique pourrait tout changer
À moyen terme, le réchauffement climatique finira par atteindre cette zone. À ce moment-là, la fonte des glaces deviendra la principale cause de disparition des ours polaires. Dans le pire scénario du rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère paru en 2019, la banquise arctique pourrait totalement fondre d’ici 2100.
Dans ces projections, la survie des ours polaires serait menacée à l’horizon 2100. Une étude parue dans la revue scientifique Nature Climate Change confirme ce risque de disparition d’ici la fin du siècle si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’évoluer selon la tendance actuelle. D’après le rapport du GIEC sur la cryosphère, chaque décennie entre 1979 et 2018, la banquise a perdu 13% de sa surface au mois de septembre, lorsqu’elle atteint son minimum.
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La banquise, territoire de chasse
La banquise constitue à la fois le lieu de repos, de reproduction et de chasse de l’ours polaire. Du fait de la fonte progressive des glaces, la période de chasse des ours polaires se réduit chaque année. De ce fait, son jeûne se prolonge. En fait, la fonte des glaces rend difficile, voire impossible, la chasse aux phoques pour les ours polaires. Or, les phoques constituent la principale source de nourriture de ces ursidés. La disparition totale de la banquise serait donc fatale pour l’ours polaire.
Comme l’explique une étude parue dans la revue scientifique Sciences, les ours polaires dépendent de la banquise pour chasser et garder le ventre plein. Pour respirer, les phoques surgissent de trous dans l’eau de mer gelée. Là, les ours leur tendent une embuscade, les saisissent et les mangent. Le WWF estime qu’un ours polaire adulte a besoin de 50 à 60 phoques par an pour vivre. Or, le jeûne imposé fait décliner leur état de santé et diminue les taux de reproduction.
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En temps de famine, un autre risque plane sur les individus les plus jeunes. Le quotidien russe anglophone The Moscow Times fait état d’une hausse des cas de cannibalisme chez les ours polaires adultes affamés. Si les femelles restent protectrices avec leur progéniture, ce n’est pas toujours le cas des mâles. « Le cannibalisme de l’ours polaire se produit le plus souvent lorsqu’un ours mâle mal nourri attaque une femelle, mangeant son petit », déclare Ilya Mordvintsev, chercheur principal à l’Institut d’écologie et d’évolution Severtsov, au média russe. « Alors que le cannibalisme fait partie intégrante du comportement naturel des ours polaires, sa fréquence a fortement augmenté ces dernières années », poursuit le scientifique.
L’ours polaire, la face émergée de l’iceberg
Des voix s’élèvent pour rappeler que la situation de l’Arctique ne peut se résumer à celle de l’ours polaire. « Il ne faut pas que l’ours blanc masque le reste des problèmes. La situation de l’Arctique est très compliquée. Ses différentes zones ne sont pas toutes touchées de la même manière par le réchauffement climatique, on ne peut parler avec unicité de la répartition de la population d’ours polaires », assure Rémy Marion.
« Il faut vraiment que l’ours polaire, animal emblématique, soit une tête de gondole pour parler des différents problèmes qui touchent l’Arctique. D’autres espèces indispensables à l’écosystème y sont menacées », poursuit Rémy Marion. Il évoque notamment la situation des lemmings, de petits rongeurs vivants dans l’archipel arctique.
Selon le site du gouvernement canadien, la population de phoques du Groenland de l’Atlantique Nord-Ouest, avoisinerait les 7,4 millions d’individus. Or, un phoque consomme en moyenne 2 à 5 kg de poissons par jour.La disparition de l’ours polaire entraînerait une surpopulation de phoques, ce qui bouleverserait tout l’écosystème marin arctique. La meilleure façon de protéger l’ours polaire et l’ensemble de l’écosystème arctique reste donc d’interdire l’extraction minière en Arctique et de diminuer les émissions mondiales de gaz à effet de serre.