Dans un contexte de sécheresse précoce qui met à rude épreuve les sols et les nappes phréatiques, une vieille méthode fait de nouveau parler d’elle : la recharge maîtrisée. Marie Pettenati, hydrogéologue et géochimiste au BRGM explique la technique et ses enjeux.
La France fait face à une période de sécheresse hivernale après un été 2022 brûlant et record. L’assèchement des sols et l’absence de précipitations pendant 32 jours en début d’année ont mis à mal l’état des nappes phréatiques. Selon la Banque nationale des prélèvements quantitatifs en eau (BNPE), sur les près de 6 milliards de mètres cubes d’eaux souterraines prélevées en France en 2020, 61% nous alimentent en eau potable. Loin devant les 25% utilisés pour l’irrigation et les 14% dans l’industrie et l’énergie.
Recharger pour mieux préserver la qualité de l’eau
Ainsi, préserver les nappes phréatiques relève d’un enjeu majeur. Y injecter de l’eau pour les réalimenter est envisageable, et ce grâce à la technique, presque ancestrale, de la recharge maîtrisée. En effet, la technique est ancienne. « Elle date même d’il y a plusieurs siècles. On l’utilise depuis des décennies dans des pays qui subissent des problèmes de manque d’eau. C’est le cas en Californie, en Australie et en Israël », précise Marie Pettenati, hydrogéologue et géochimiste au BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières). « La recharge maîtrisée des aquifères est une action qui vise à introduire de l’eau, de différentes sources, comme de l’eau de pluie, d’orage ou de rivière, dans une nappe phréatique souterraine. Le tout par concentration d’eau dans un bassin d’infiltration », explique-t-elle.
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Cette technique permet de recharger une nappe d’eau souterraine, suite à une surexploitation ou une sécheresse, ou pour améliorer la qualité de l’eau d’une nappe qui serait initialement dégradée. « La recharge maîtrisée permet également d’éviter la subsidence de terrain [l’affaissement progressif de la surface de la croûte terrestre, ndlr]. Autrement dit, lorsque les nappes sont trop exploitées, on observe des effondrements de terrain. Le fait de recharger les nappes, c’est donc prévenir ce type de problèmes », ajoute Marie Pettenati.
La question du stockage de l’eau
Comme pour les méga-bassines, cette technique pose la question sensible du stockage de l’eau. Notamment à l’heure où les besoins augmentent et la ressource diminue en raison du dérèglement climatique. Mais Marie Pettenati l’assure : avec cette technique la priorité des chercheurs est la « sobriété des usages ». Elle précise : « La recharge s’inscrit dans une logique de transition écologique. Car il ne s’agit pas d’un système fermé. Autrement dit, de manière naturelle, les nappes s’écoulent et vont alimenter les cours d’eau. Cette eau va ensuite retourner dans la mer. Donc, avec la recharge maîtrisée, nous allons juste ralentir ce cycle pour retenir l’eau le temps qu’il faut pour réhabiliter une nappe ».
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L’hydrogéologue du BRGM insiste :« Nous sommes dans une démarche qui peut s’inscrire sur le long terme, en prenant en compte la crise climatique. Cette technique doit se faire en parallèle avec d’autres solutions sur les territoires ». Sobriété donc, réduction des usages intensifs, ou encore implémentation de solutions fondées sur la nature. « Comme la renaturation des cours d’eau ou encore des pratiques agroécologiques », insiste-t-elle. Elle ajoute : « Il est temps que les acteurs se mettent autour d’une table pour discuter des options les plus pertinentes à mettre en place localement ».
Une expérimentation en Haute-Garonne
En Haute-Garonne, près de Cazères, a été lancé le 11 mars 2023 un projet de recharge maîtrisée des nappes phréatiques nommé « R’Garonne ». « Il s’agit d’un projet du BRGM qui vise à comprendre quel est le meilleur moyen de réinfiltrer de l’eau pour soutenir le débit naturel de la Garonne », explique Marie Pettenati. Il s’agit là du premier test du genre pour un fleuve. La région Occitanie, qui fait face à une forte sécheresse, s’est donc emparée de cette technique.
Mais le coût de son utilisation est tout de même conséquent. « Cela dépend évidemment de la surface, et du lieu. Mais nous sommes dans l’ordre du million d’euros », affirme l’hydrogéologue. D’ailleurs, cette expérimentation à caractère scientifique et technique doit coûter 1,87 million d’euros et durer quatre ans, avec les soutiens de l’Agence de l’Eau, de la Région Occitanie et du Conseil Départemental de Haute-Garonne. Si les résultats s’avèrent concluants, une phase opérationnelle de réalimentation permanente sera alors engagée. Et d’autres projets pourraient voir le jour dans la région et en France.