Classées « menacées » par l’UICN, les tortues marines sont soumises à une problématique de féminisation dans le Pacifique-Sud. La hausse des températures influence le sexe ratio de ces espèces, entraînant une forte diminution du nombre de mâles. Explications.
Marc Oremus est inquiet. Responsable du bureau WWF en Nouvelle-Calédonie, il remarque avec ses équipes que les jeunes tortues marines ne sont presque exclusivement que des femelles. Même si des données précises manquent encore, c’est pourtant une réalité observée sur les plages du Pacifique-Sud. C’est là que se trouve la Grande barrière de corail, elle-même impactée par le réchauffement des océans.
Là-bas, de nombreuses tortues ont conçu leur lieu de reproduction. Mais, déjà menacées par la pêche accidentelle ou la pollution plastique, ces espèces, dont six sur sept sont classées « menacées » ou « gravement menacées » par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), se voient concernées par une problématique de « féminisation » apparue ces vingt dernières années.
Une problématique qui prend de l’ampleur
« Comme beaucoup de reptiles, le sexe des tortues est défini selon la température au moment de la phase de développement dans l’œuf, explique Marc Oremus. Au moment de l’incubation, une température pivot détermine si la tortue deviendra un mâle ou une femelle ». Cette température pivot, qui correspond à environ 28°C chez les tortues marines, dépend d’une zone à l’autre. Une étude publiée dans le journal Global Change Biology en 2019 a évalué le sex-ratio et le lieu de ponte des tortues adultes et jeunes tortues. En sort le constat que certains sites, notamment au nord de la Grande barrière de corail, abritent énormément de femelles. « Pour les jeunes tortues, on a des pourcentages très élevés, au-dessus de 90% », note Marc Oremus.
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Le problème avait déjà été identifié chez les tortues adultes il y a une vingtaine d’années. Mais la proportion s’avérait moins importante, avec environ 60% de tortues femelles. Quant aux tortues plus âgées, les experts comptent un nombre de mâles plus élevé, sans pouvoir donner d’estimation exacte. « On voit qu’une tendance se dessine, souligne Marc Oremus. Plus on va vers des jeunes tortues, plus on voit de femelles ».
Et cette évolution provoque l’inquiétude d’une extinction. « Le phénomène était déjà engagé il y a 20 ans, mais il est en train de s’accentuer », alerte l’expert. Selon lui, si la hausse des températures annuelle reste à peine perceptible pour l’espèce humaine, la faune subit déjà des conséquences sur sa reproduction. »
Une adaptation difficile pour les tortues
Pour autant, ces tortues peuvent-elles s’adapter au changement climatique ? Présentes sur notre planète depuis des millions d’années, ces espèces ont déjà connu différents climats avant notre ère. « Il a bien fallu qu’elles s’adaptent d’une certaine manière à tout ça pour survivre, sachant qu’elles ont toujours fonctionné de la même façon avec des températures qui déterminent le sexe », rappelle Marc Oremus.
L’animal pourrait s’adapter en migrant sur une zone moins chaude. Il pourrait même modifier ses paramètres physiologiques tels que la température pivot. Toutefois, la vitesse du changement climatique freine tout espoir. « Il leur faut beaucoup de temps pour faire face à ce changement, reconnaît Marc Oremus. L’inquiétude est : est-ce que l’évolution de ce qu’on a provoqué va leur permettre un temps d’adaptation suffisant pour faire face à ces modifications ? ».
Un espoir en vue
Si ce problème de « féminisation » est confirmé, d’autres travaux sont en cours pour évaluer la répartition de l’espèce. L’un d’entre eux s’intéresse particulièrement à la tortue caouanne, dite « grosse tête », la plus riche en données pour les chercheurs. Celles-ci se reproduisent notamment au sud de la Nouvelle-Calédonie. Là-bas, la plage Roche Percée constitue l’un des principaux sites de ponte. Cependant, en étudiant d’autres îlots dans le Grand Lagon Sud, à une centaine de kilomètres plus loin, les chercheurs observent une différence entre les plages. « La Roche Percée a un sable très sombre, tandis que dans le Grand Lagon Sud, le sable est très clair », détaille Marc Oremus.
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Le spécialiste s’interroge alors. Cette différence de substrat est-elle suffisante pour démontrer des implications différentes en termes de sex-ratio ? Grâce à l’installation de thermomètres, l’hypothèse se confirme. Les experts du WF et de l’IRD notent plus de 95% de femelles sur la Roche Percée, contre environ 56% dans le Grand Lagon Sud. « Cela nous donne de l’espoir sur la production de mâles pour les tortues grosse tête en Nouvelle-Calédonie », se réjouit Marc Oremus.
Cette différence de sex-ratio à petite échelle pourrait alors soulever« une bouée de sauvetage » pour la population de tortues du Pacifique Sud. Toutefois, la possibilité d’accouplements entre ces tortues issues de deux zones différente reste limitée, selon le responsable du WWF. « Les tortues, surtout les femelles, sont très fidèles à leur site de ponte », nuance-t-il.
La couleur du sable elle-même reste sujet d’observations et d’analyses. « On pense aussi que la couleur sombre du sable de la Roche Percée découle la dégradation des zones forestières et des incendies liés à l’activité humaine qui rejettent du sédiment dans le Lagon », avance-t-il.