Depuis plusieurs décennies, la hausse des température bouleverse l’habitat des animaux vivant en « zones de fraîcheur ». Parmi eux, le crapaud doré est la première espèce éteinte à cause du réchauffement climatique. Mais les scientifiques alertent : au moins 12 000 espèces seraient menacées d’extinction. Nous expliquons les mécanismes à l’œuvre.
Le changement climatique témoigne de ses premières victimes au sein de la biodiversité. Récemment, le crapaud doré, amphibien résidant majoritairement au Costa Rica, a été annoncé éteint à cause du réchauffement climatique. « C’est la première extinction connue d’une espèce menacée en raison du changement climatique », indique Florian Kirchner, chargé de programme espèces à l’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN). Si le crapaud doré a commencé à être étudié par les chercheurs dès les années 80, pas un seul spécimen n’a été aperçu depuis les années 90. Avant lui, le Melomys rubicola, un petit rongeur australien, avait déjà été documenté comme éteint pour les mêmes raisons. Mais sa disparition est intervenue plus tard après l’année 2015.
Alors, le constat est clair. Le réchauffement climatique constitue désormais la cinquième plus grande menace pour la biodiversité. Elle suit, dans l’ordre : la destruction d’habitats naturels liés notamment à la déforestation et à l’urbanisation, la surexploitation des espèces (braconnage, surpêche), la pollution et l’introduction d’espèces exotiques envahissantes. Au total, au moins 12.000 espèces sont menacées par le réchauffement climatique, selon l’UICN. Les experts du climat de l’ONU (Giec) indiquent quant à eux que 9% des espèces de la planète pourraient disparaitre dès la prochaine décennie.
De 25 à 115 jours secs en 5 ans
Le crapaud doré vivait en forêts tropicales humides, aussi appelées « forêts nuageuses ». « Lorsque la brume disparaît pendant longtemps, l’espèce n’a plus de bonnes conditions pour vivre », informe Florian Kirchner. Et le phénomène s’amplifie avec l’augmentation de jours secs dans l’année. « Nous sommes passés de 25 à 115 jours secs par an, soit quasiment un tiers de l’année », continue le spécialiste.
S’ajoute à cela un autre phénomène : l’évolution de la chytridiomycose. Cette maladie mortelle pour les amphibiens provient du champignon Batrachochytrium dendrobatidis, dont le développement est favorisé par le manque de précipitations. Ces deux facteurs expliquent alors l’extinction du crapaud doré, espèce originellement peu répandue sur la planète.
En montagne, les conditions de fraîcheur perturbées
Si les forêts tropicales témoignent des premiers effets du changement climatique, d’autres milieux naturels se retrouvent affectés. « On observe une réduction d’espèces ou une migration, notamment au sommet des montagnes, dans les océans et au niveau des pôles », liste Florian Kirchner. L’explication réside dans la hausse des températures. Cette dernière perturbe l’ensemble des zones de fraîcheur, obligeant les espèces à se déplacer ou s’adapter à ces nouvelles conditions climatiques.
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Ce besoin de fraîcheur et d’enneigement se vérifie notamment en montagne. En France, c’est le cas du lagopède alpin, oiseau vivant dans les Alpes. Cette espèce présente la particularité de changer de plumage à l’approche de l’hiver. « À cette saison, le lagopède alpin devient blanc, ce qui lui sert de camouflage avec la neige, décrit Florian Kichner. Mais la neige arrive de plus en plus tard. L’oiseau redevient blanc avant l’enneigement, ce qui représente un danger pour échapper à ses prédateurs ». L’expert parle alors d’une « déconnexion » avec les conditions de vie des espèces. « On observe deux problèmes, résume le chargé de programme à l’UICN. D’abord, son habitat naturel se réduit, car il y a de moins en moins de zones fraîches. Et en plus, l’espèce souffre du retard de l’enneigement ».
La hausse des températures en montagne favorise alors le déplacement des espèces pour retrouver de la fraîcheur. « Plus les températures se réchauffent, plus les espèces grimpent en hauteur », souligne le chercheur. Toutefois, cette migration entraîne l’arrivée de plusieurs espèces sur un même territoire, faisant alors apparaître « une course au sommet ». En se déplaçant sur les mêmes territoires, certaines espèces se concurrencent et finissent par s’entretuer.
Les récifs coralliens perturbés par les épisodes de sécheresse
Le milieu océanique préoccupe également les scientifiques. En plus d’une hausse des températures, les océans s’acidifient, ce qui menace fortement les récifs coralliens. « Aujourd’hui, beaucoup de coraux blanchissent sous les effets du réchauffement climatique, prévient Florian Kichner. Cela est dû au stress par les températures et la modification de l’eau ». Situés notamment sur les côtes australiennes, les récifs coralliens jouent un rôle majeur pour la vie océanique, et permettent la régénération de poissons. « Si les effets ne sont pas trop longs, ils peuvent s’en remettre. Mais si l’épisode dure trop longtemps, ils meurent, alerte le spécialiste. C’est particulièrement inquiétant car l’océan perd sa capacité à se régénérer ».
Même effet sur les pôles, où certaines espèces sont en déclin, faute de retrouver un autre habitat naturel. « C’est le cas de l’ours polaire, icône du changement climatique », précise Florian Kichner. Vivant sur la banquise, l’espèce dispose de moins en moins de territoire pour vivre et chasser, ce qui explique le fort recul de ses populations au niveau mondial.
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Une adaptation impossible pour les espèces menacées
Pour faire face au réchauffement climatique, deux solutions s’offrent aux espèces menacées. « Soit elles arrivent à migrer dans un milieu où les conditions de vie sont favorables, commence Florian Kirchner. Mais cela s’opère plutôt pour les espèces qui habituées aux dispersions, comme les insectes ou les oiseaux ». D’autres, comme l’ours polaire ou les lézards d’Aurelio, vivant dans les Pyrénées, ne peuvent se déplacer pour éviter le changement climatique.
« L’autre solution serait de s’adapter, mais on sait que c’est perdu tous les cas », prévient le chargé de programme de l’UICN. Une vision pessimiste mais qui reprend le constat des scientifiques : le changement climatique est trop fort et trop rapide pour que toutes les espèces puissent s’adapter.
Protéger les écosystèmes et réduire les émissions de carbone
Pourtant, des solutions pour assurer la protection des espèces existent. Pour cela, l’UICN compte sur la préservation des écosystèmes, notamment avec le déploiement d’aires protégées. « Plus il y a des écosystèmes en bonne santé sur la planète, plus les animaux vont trouver des refuges par eux-mêmes », résume Florian Kirchner. Mais pour le spécialiste, le meilleur moyen de conserver la biodiversité reste de lutter contre le changement climatique. « Il faut réduire de manière déterminée les émissions de gaz à effet de serre pour atténuer les conséquences », indique-t-il.
Publié le 4 avril dernier, le troisième volet du rapport du Giec a, une fois de plus, lancé l’alerte. Selon le texte, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre dès maintenant pour espérer garder une planète « vivable ». Florian Kirchner reprend alors les recommandations scientifiques pour justifier cette solution. « Plus on agit, plus on amoindri les effets du changement climatique, explique-t-il. Ce sont des mesures qu’on a entre nos mains pour baisser les émissions et changer nos modes de vie, comme réduire sa consommation de viande ou moins se déplacer en avion ».
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Cette diminution des émissions, réalisée à partir de gestes quotidiens, reste selon le spécialiste la solution la plus pragmatique. « Nous n’avons pas de solution aussi simple et aussi rapide, insiste-t-il. Cela impose un tournant dans nos façons de faire, dans nos politiques à l’échelle de la planète et ça ne va pas se faire du jour au lendemain. »