L’initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor) a publié le 8 juin dernier une étude sur l’état de santé des récifs coralliens, herbiers et mangroves dans les outre-mer français. 67% des récifs coralliens d’outre-mer sont aujourd’hui protégés, et la France s’est engagée à une protection de 100% d’ici à 2025.
L’Ifrecor a publié le 8 juin dernier son bilan sur l’état de santé des récifs coralliens, herbiers marins et mangroves des outre-mer français. Créée en 1999, l’Ifrecor publie depuis 2010 un bilan de ce type tous les cinq ans. Et le bilan pour l’année 2020 est mitigé. « Si les récifs coralliens français sont, selon les territoires, globalement en meilleure santé que d’autres récifs, la France doit cependant renforcer son action« , prévient l’Ifrecor.
Environ 50% de la surface mondiale de corail vivant a disparu depuis les années 1870 et près d’un tiers des coraux sont actuellement menacés. Dans nos outre-mer, la situation la plus préoccupante se situe dans les territoires soumis à une forte pression anthropique. La pression anthropique signifie la pression des activités humaines sur le milieu naturel. Ainsi, dans les Antilles françaises et dans l’océan Indien (Mayotte, La Réunion), 62% des récifs évalués sont dégradés.
En revanche, seulement 30% des récifs sont dégradés dans les territoires plus vastes, plus isolés et moins densément peuplés. Ces territoires sont situés dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Polynésie française et Clipperton), et dans les îles Eparses de l’océan Indien.
La France, 4ème pays corallien au monde
La France compte près de 60 000 km2 de récifs coralliens, soit 10% de la surface mondiale. Ils sont répartis dans les trois océans : Atlantique, Indien et Pacifique. Le pays est le 4ème au monde qui compte le plus de coraux. Ces récifs sont répartis sur 11 territoires d’outre-mer, au premier rang desquels la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. A eux deux, ces territoires représentent 90% des récifs coralliens français. La France possède également 4% des herbiers et 0,7% des mangroves dans le monde. Ces écosystèmes associés aux récifs coralliens abritent également un nombre incroyable d’espèces.
Les récifs coralliens sont répartis sur moins de 1% de la surface des océans. Ils abritent environ 4000 espèces de poissons, et plus de 800 espèces de coraux constructeurs de récifs. Cela en fait de véritables « hotspots de biodiversité« , comme l’explique Olivier Thibault, directeur de l’eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique. Les récifs coralliens représentent en effet plus de 25% de la biodiversité mondiale. Située en Australie, la Grande Barrière de corail est la plus grande bioconstruction de la planète. C’est d’ailleurs la seule visible depuis l’espace. L’Unesco a récemment annoncé vouloir l’inscrire sur sa liste des sites « en danger » du patrimoine mondial.
Les études internationales sont claires : pratiquement tous les récifs coralliens tropicaux vont subir un recul notable de leur superficie. Ce déclin sera de 70 à 90% si le réchauffement est de 1,5°C. Si l’on augmente à 2°C, ce sera plus de 99% de leur superficie qui disparaîtra. Au cours du 21ème siècle, on estime que 99% des récifs coralliens du monde devraient connaître un blanchissement important dû au stress thermique.
Le poids de l’anthropie sur les récifs coralliens
Le poids des activités humaines sur la santé des récifs coralliens est indéniable au vu des résultats de l’étude. Ces pressions anthropiques sont multiples : pêche, pollution, sédimentation… La sédimentation est un phénomène d’asphyxie des coraux dû à l’activité humaine. La construction et l’exploitation minière, forestière et agricole conduisent à une augmentation des sédiments dans les cours d’eau. Quand ils arrivent dans l’océan, ils asphyxient les coraux parce en les privant de la lumière nécessaire à leur survie.
Dans les outre-mer français densément peuplés, la dégradation des coraux est donc liée aux activités humaines. Les pressions exercées sur les coraux proviennent des bassins versants (agriculture, mines, urbanisation…), des zones côtières (aménagements côtiers) ou du milieu marin (plaisance, transport maritime…). Ces pressions sont devenues de plus en plus intenses car les zones côtières sont les régions les plus densément peuplées du monde.
D’autres pressions anthropiques sont à noter. Par exemple, l’urbanisation littorale galopante, qui imperméabilise les sols et favorise le ruissellement. L’érosion est aussi mal maîtrisée, en lien avec les pratiques agricoles. Enfin, plusieurs mines à ciel ouvert existent dans nos outre-mer. Toutes ces pressions ont conduit à une augmentation des apports en sédiments et en polluants dans les eaux côtières.
Dans les territoires très peuplés des Antilles, Mayotte et de La Réunion, ce constat est vérifié. Ainsi, 62% des récifs inventoriés sur ces territoires se sont dégradés en 2020. Depuis le dernier bilan de l’Ifrecor en 2015, 33% des sites évalués présentent une dégradation. Seulement 10% ont vu leur situation s’améliorer.
Des évènements naturels plus fréquents en raison du changement climatique
De nombreux évènements naturels impactant pour les coraux sont accentués par le changement climatique. Ils sont ainsi touchés par les cyclones, l’augmentation de la température des océans et l’acidification. Le changement climatique entraîne aussi une modification du régime des précipitations et une montée du niveau de la mer.
Ces épisodes naturels à fréquence et intensité croissante impactent durablement les récifs. Entre 2015 et 2020, deux épisodes de blanchissement ont touché le Pacifique, et trois ont touché l’océan Indien. Pour rappel, le blanchissement des coraux est un phénomène de dépérissement qui se traduit par une décoloration. Il est provoqué par la hausse de la température de l’eau. Celle-ci entraîne l’expulsion des algues symbiotiques qui donnent au corail sa couleur vive. Neuf cyclones ont par ailleurs traversé les collectivités ultra-marines.
Mais dans ces territoires très peu peuplés, les récifs montrent de bonnes capacités de résilience face aux évènements naturels. Ainsi, dans le Pacifique, 70% des récifs inventoriés sont en bon état. Depuis le dernier bilan de l’Ifrecor en 2015, seulement 15% des stations se sont dégradées. 16% d’entre elles présentent en revanche une amélioration.
Protéger, réduire les pressions et surveiller
L’Ifrecor note qu’il est « essentiel de poursuivre les actions tant qu’il est encore temps« . Elle distingue pour cela 3 leviers d’action pour la survie des récifs coralliens. D’abord la protection. 67% des récifs coralliens français sont aujourd’hui protégés, grâce notamment aux aires marines protégées.
L’étude montre que les protections les plus fortes ont déjà apporté des effets bénéfiques notables sur les populations de poissons et l’état des écosystèmes. Mais seulement 27% des récifs coralliens français sont couverts par des statuts de protection renforcée. Il faut donc renforcer ce réseau pour l’étude, en multipliant et en étendant les zones de protection forte.
La réduction des pressions anthropiques « reste la principale marge de manœuvre pour sauver les récifs« , concède tout de même l’Ifrecor. De meilleures politiques d’aménagement du territoire, de gestion des eaux, d’agriculture et de pêche durable sont nécessaires. Enfin, certaines collectivités doivent renforcer leur réseau de surveillance des récifs coralliens. Plus de 1000 stations dans les outre-mer suivent l’état de santé des récifs coralliens à des fréquences variables. Mais les moyens alloués sont souvent trop faibles pour assurer un suivi régulier.
Le rôle clé des récifs coralliens pour l’homme
Les récifs coralliens apportent chaque année l’équivalent de 1,3 milliard d’euros aux économies de 9 collectivités d’outre-mer. C’est ce qu’affirme une étude de l’Ifrecor publiée en 2016. Cela représente 12 000 sociétés, 50 000 emplois et plus de 175 000 ménages. Dans le monde, plus d’un milliard de personnes bénéficient directement des récifs coralliens. Ils constituent une ressource alimentaire mais également une source de revenu grâce à des activités de pêche et de tourisme.
Ces écosystèmes permettent de protéger les côtes en absorbant 97% de l’énergie des vagues. Les économies réalisées sur d’éventuels dommages sur le littoral sont évaluées à 595 millions d’euros. Les mangroves et les herbiers, écosystèmes associés aux récifs coralliens, sont par ailleurs des puits de carbone. Ils jouent un rôle important dans la régulation du climat. On évalue à 175 millions d’euros la valeur de cette séquestration de carbone.
La pêche dans les récifs coralliens fait vivre plus de 6 millions de personnes dans le monde. Cela représente une valeur de 6,8 milliards de dollars par an, dont 215 millions pour les outre-mer français. Le tourisme basé sur les récifs (plongée sous-marine, plaisance…) est quant à lui évalué à 315 millions d’euros.
Autre rôle plus méconnu des récifs coralliens, la recherche médicale. En effet, la moitié de la recherche sur les médicaments contre le cancer est basée sur les organismes marins. Ils sont également utilisés dans le traitement de maladies comme le paludisme ou la dengue. A titre d’exemple, l’AZT est extrait d’une éponge des récifs des Caraïbes. Ce médicament est utilisé contre le VIH.
Jérémy Hernando