La Russie, qui a lancé jeudi une invasion de l’Ukraine, a pris le contrôle de la centrale de Tchernobyl. Un site tristement connu depuis 1986 comme le lieu du pire accident nucléaire de l’histoire. Yves Marignac, expert des questions nucléaires à l’association Négawatt, nous explique les inquiétudes que cette prise suscite.
Le 24 février en fin d’après-midi, la nouvelle tombait et faisait un peu plus pénétrer la guerre en Ukraine dans des dimensions dramatiques. Tchernobyl est tombée, et couvre avec elle l’ombre d’une catastrophe surréaliste. Les objectifs derrières la prise du site de la centrale de Tchernobyl demeurent flous. Si elle offre un passage vers Kiev, il ne faut pas non plus oublier que la centrale de Tchernobyl est une véritable trace indélébile du système soviétique et de l’hégémonie russe.
« Après des combats acharnés, nous avons perdu le contrôle du site de Tchernobyl », a déclaré Mikhaïlo Podoliak, un conseiller de la présidence. Kiev avait fait état plus tôt d’affrontements près du dépôt des déchets nucléaires du site. Après la perte du contrôle de cette zone hautement contaminée, « l’état des installations »de la centrale, de la chape étanche isolant son réacteur accidenté et d’un dépôt pour le combustible nucléaire « est inconnu » et « il est impossible de dire si la centrale est en sécurité », a ajouté le responsable.
L’état de la centrale est inconnu
« Les informations sur l’état de la centrale sont partielles », explique Yves Marignac, expert des questions nucléaires à l’association Négawatt. Il précise : « elles font davantage état de l’augmentation de la radioactivité liée à l’agitation militaire et au brassage de la contamination dans la région, qu’à un problème des installations nucléaires elles-mêmes ». « Un endommagement du sarcophage, qui protège la région d’une nouvelle contamination, peut engendrer une remontée de la radioactivité ambiante dans la zone », explique-t-il.
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« La crainte porte surtout sur l’entreposage de combustibles usées à proximité de la centrale. Cinq piscines, dans lesquelles sont entreposées 2.500 tonnes de combustibles usées, sont menacées. Un scénario de tirs, qui toucheraient ces piscines, pourrait engendrer des phénomènes de dispersions à l’échelle régionale », redoute l’expert. Il ajoute : « à l’échelle régionale mais pas à l’échelle de la catastrophe de Tchernobyl ».
Une des menaces les plus graves pour l’Europe
« C’est une des menaces les plus graves pour l’Europe », a estimé Mikhaïlo Podoliaken estimant que les Russes pourraient organiser des « provocations » sur ce site afin d’en rejeter la responsabilité sur l’Ukraine.
La prise du site par l’armée russe suscite l’inquiétude au-delà des frontières ukrainiennes. Dans un communiqué, l’agence internationale de l’énergie atomique a exprimé son inquiétude. Elle indique, suivre « la situation avec grande inquiétude ». Elle appelle « à un maximum de retenue pour éviter toute action qui mettrait les sites nucléaires du pays en danger ».
Un danger atomique réel
« Il y a en Ukraine 15 réacteurs nucléaires en fonctionnement sur 4 centrales, dont celle de Zaporijia qui est sur le chemin de l’armée russe », explique Yves Marignac. « Un tir d’arme lourde sur une installation nucléaire active pourrait entraîner un scénario de catastrophe. Le risque d’un accident majeur existe, et les implications pourraient alors avoir une ampleur continentale. »
« Si le dépôt était détruit par des frappes d’artillerie de l’adversaire, la poussière radioactive recouvrirait l’Ukraine, le Bélarus et les pays de l’UE », écrivait ainsi sur Telegram le conseiller du ministère de l’Intérieur Anton Guerachtchenko, selon BFMTV.
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Au-delà des centrales atomiques, les craintes se concentrent sur le Donbass. Cette région fortement industrialisée est bourrée d’usines chimiques à haut risque. Le site Bellingcat qualifiait déjà cette zone de «bombe à retardement toxique » en 2017.