À la veille de l’annonce du Gouvernement, Natura Sciences a rencontré Barbara Pompili en tête-à-tête au ministère de la Transition écologique. Quelles sont ses fiertés et quels sont ses regrets? Entretien.
L’heure est aux derniers échanges officiels. Dans le cadre du documentaire « Écologie : une histoire de ministres ?« expliquant le rôle et interrogeant la réelle portée du ministre de l’écologie, nous avons rencontré Barbara Pompili le jeudi 19 mai. Nous sommes revenus sur les temps marquants de son mandat de juillet 2020 à mai 2022. En amont de la double passation de pouvoir entre Barbara Pompili et Amélie de Montchalin, nouvelle ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires, et Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, Natura Sciences vous dévoile cet échange.
Une écologie peu radicale, mais assumée
Le 7 juillet 2020, lors de la prise de fonction de Barbara Pompili, nous titrions : Barbara Pompili, l’écolo aux poings liés du gouvernement Castex ?. Barbara Pompili s’est, comme prévu, illustrée par une écologie peu radicale, une position largement assumée par l’intéressée. Lors de la COP26 à Glasgow, elle expliquait à Natura Sciences qu’elle est convaincue que « pour être responsable, il faut garder son cap. Il ne faut pas des décisions trop ambitieuses qui rencontrent des blocages sur le terrain ».
Le vote de la loi Climat et Résilience, issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), a constitué une étape très importante de son mandat. Mais les membres de la CCC ont eux-mêmes largement critiqué le texte final. « Dix-sept mois après les débuts de leur mission, les 150 volontaires, tirés au sort, ont adressé une note générale de 3,3 sur 10 à la reprise de leurs propositions », regrettait en mars 2021 le réalisateur Cyril Dion. En l’état, la loi Climat reste insuffisante pour atteindre les objectifs climatiques pour 2030. L’examen de la loi a ensuite entraîné de nouveaux reculs. Ils concernaient notamment l’encadrement de la publicité et des voyages internes en avion, l’inscription de la préservation de l’environnement et de l’urgence climatique dans la Constitution, ainsi que le crime d’écocide.
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Énergie et néonicotinoïdes : deux sujets brûlants
Face à un parc nucléaire vieillissant et suite aux différents scenarii élaborés par le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE, Barbara Pompili a vécu le lancement du Plan France 2030 et la relance du nucléaire. Pendant sa mandature, la France a fait pression sur Bruxelles pour que le gaz et le nucléaire fassent partie de la taxonomie européenne et puissent bénéficier des investissements verts. Cette mesure divise. Et encore plus depuis le début de la guerre en Ukraine.
En un peu moins de deux ans, la France s’est vue condamnée deux fois pour inaction climatique. La première fois, le tribunal administratif de Paris condamnait l’état en octobre 2021, dans le cadre de l’Affaire du siècle. L’État devra réparer les conséquences de son inaction climatique et réparer son préjudice écologique d’ici fin 2022. Dans le cadre de l’affaire dite de Grande-Synthe, la commune de Grande-Synthe avait obtenu auprès du Conseil d’État une injonction d’information de la part de l’État en novembre 2020. Il devait justifier de ses engagements auprès de la commune pour la protéger du changement climatique. Un mois après l’échéance du 31 mars 2022, l’État a défendu son bilan climatique dans un mémoire de 18 pages. Mais les ONG déplorent l’absence de nouvelle mesure pour baisser plus rapidement les émissions de gaz à effet de serre.
La controverse la plus importante du mandat de Barbara Pompili reste certainement la dérogation accordée aux pesticides néonicotinoïdes dès octobre 2020. Elle court jusqu’en janvier 2023 pour les plantations de betterave. Pour ce fait, Greenpeace attribuait la récompensait du prix « Boulet du climat 2020 ». Pourtant, la future ancienne ministre de la Transition écologique ne l’a pas vécu comme un échec. Encore une fois, elle ressent au contraire une certaine « fierté » face au travail accompli. Entretien.
Natura Sciences : La dérogation autorisant l’utilisation des pesticides néonicotinoïdes pour les plantations de betterave a marqué votre mandat. Quel bilan en tirez-vous aujourd’hui?
Barbara Pompili : Paradoxalement, sur cette histoire de néonicotinoïdes, je ressens plutôt une grande fierté. Tout simplement parce que quand j’étais secrétaire d’État, puisque c’est un travail au long cours sur les néonicotinoïdes, j’ai réussi à faire voter l’interdiction de ces produits très dangereux pour l’environnement en 2016, avec effet en 2020.
Mais la transition écologique, ce n’est pas un long fleuve tranquille, ce n’est pas une ligne droite. Il faut garder la trajectoire, mais il peut y avoir des à-coups. On en a eu effectivement au début de mes responsabilités ministérielles. Il a fallu, sous peine de faire s’écrouler tout un pan de l’économie agricole, redonner un petit délai. Mais pourquoi je suis très fière? Parce que, malgré tout, l’année prochaine, les néonicotinoïdes, ce sera fini ! D’ores et déjà, plus de 90% des utilisations des néonicotinoïdes sont terminées. Mais l’écologie, c’est toujours l’endroit où quand on a 9 sur 10, ce n’est pas une bonne note. Mais je resterai, a posteriori, celle qui a fait interdire les néonicotinoïdes dans ce pays et c’est une fierté.
Quelles sont les mesures dont vous êtes la plus fière ?
La mesure dont je suis la plus fière est la clarification de notre politique énergétique. Nous avions besoin de nous redonner une feuille de route claire. Elle a été annoncée à Belfort par le président de la République [le 10 février sur le site General Electric, NDLR], après un gros travail de préparation avec le rapport de RTE. Maintenant, nous savons où nous allons. Et nous avons aussi redonné sa place à un domaine très important, celui de l’efficacité énergétique, ainsi qu’aux énergies renouvelables.
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Mais il y a beaucoup d’autres mesures dont je suis fier : on a pu avancer sur le bien-être animal, sur l’artificialisation des sols, sur la culture du risque. Bref, voilà des sujets innombrables qui m’ont vraiment donné le sentiment d’avoir été utile.
Avez-vous des regrets ?
Comme tout écologiste, je considère que l’urgence à agir est telle qu’on ne peut pas se permettre de perdre du temps. Or, l’action politique nécessite un peu de temps. Le fait que l’on ne soit pas allé suffisamment vite sur un certain nombre de sujets, le fait qu’il ait fallu composer, c’est toujours un peu frustrant. Donc voilà le regret, mais qui était prévisible à l’avance.
Quel est votre futur professionnel ?
Ce que je peux vous dire, c’est que je suis investie dans l’écologie depuis 20 ans. J’ai souvent coutume de dire que l’écologie, c’est ma vie. Et donc ça ne s’arrête pas à la fin d’un portefeuille ministériel. Je continuerai à œuvrer pour la transition écologique. Il y a plein de manières de le faire et donc je serai au service de l’écologie, d’une manière ou d’une autre, on verra !
Propos recueillis par Léo Sanmarty et Matthieu Combe