Natura Sciences décortique le programme écologique de Marine Le Pen. Selon les chercheurs, les mesures proposées par la candidate restent floues. Et elles entrent en contradiction avec les objectifs de l’Accord de Paris.
Ces derniers jours, Marine le Pen a tenu à nuancer son rapport à l’écologie. « Je ne suis pas climatosceptique » a-t-elle déclaré sur le plateau de France 3, le 17 avril. Alors que les enjeux climatiques occupent une place plus importante de la campagne depuis les résultats du premier tour, la candidate du Rassemblement national défend un programme « qui tient compte de l’écologie ». Pourtant, l’ensemble de ses propositions s’opposent aux recommandations portées par de nombreuses études scientifiques.
Pour autant, les propositions de Marine Le Pen permettent-elles de respecter les objectifs de l’Accord de Paris, soit limiter la hausse des température à 1,5°C ? La candidate l’affirme. Mais sa conviction se retrouve vite démentie par les chercheurs. « Le programme de Marine le Pen ne permettra pas d’atteindre les objectifs climatiques de la France », alerte Sofia Kabbej, chercheuse au programme Climat et sécurité à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Quelques semaines avant le premier tour, France Info et l’association Les Shifters jugeaient déjà le programme de la candidate « très éloigné, voire contraire » aux objectifs climatiques de la France.
Un programme opposé aux recommandations scientifiques
La plupart des propositions énergétiques de Marine Le Pen entrent en contradiction avec les recommandations scientifiques. « Nous prononcerons un moratoire sur l’éolien et le solaire ; pour l’éolien, nous lancerons le démantèlement progressif des sites en commençant par ceux qui arrivent en fin de vie », annonce-t-elle dans son programme. Néanmoins, les différents scénarios du Giec présentent l’éolien et le solaire comme les solutions les plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Lorsque la France a ratifié l’Accord de Paris, elle s’est engagée à réduire de 40% ses émissions de GES d’ici 2030 par rapport à 1990. Et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. De ce fait, cette prise de position contre l’éolien entrerait en contradiction avec les besoins énergétiques de la France. Selon le Giec, ceux-ci vont accroître dans les prochaines années, créant un problème d’approvisionnement. « Sortir de l’éolien va créer une dépendance au nucléaire jusqu’à produire une quantité suffisante d’électricité, explique Sofia Kabbej . Mais cela va augmenter les dépenses en autres sources énergétiques, notamment du gaz« . Cela pose alors la question de la dépendance « à l’égard des pays exportateurs », soulève la chercheuse.
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Des capacités énergétiques insuffisantes
En plus de la relance du nucléaire, Marine Le Pen compte sur le développement de l’hydroélectricité et de la géothermie pour produire une électricité décarbonée. Elle mise, comme Emmanuel Macron, sur le développement de la filière hydrogène. Un choix qui ne remplit pas l’objectif de réduction d’émissions selon la chercheuse. « Les capacités de production hydroélectrique et géothermique restent relativement limitées sur le territoire français », rappelle Sofia Kabbej.
Les différents scénarios exposés par les scientifiques préconisent la conciliation de différents approvisionnements en énergie. Si l’on veut se refuser toute éolienne, il faut vérifier d’autres capacités de production peuvent couvrir les besoins du pays. « La capacité de production du mix électrique qu’elle propose sera insuffisant au regard des besoins de la France tout au long de l’année « , affirme l’experte de l’IRIS.
Des mesures « floues » sur les secteurs écologiques
Si Sofia Kabbe déplore l’« incohérence » des positions énergétiques de la candidate, elle observe en plus des lacunes dans les autres secteurs. « Ce qu’elle propose sur le secteur industriel est très flou, confie-t-elle. Certes, elle propose une relocalisation, qui peut contribuer à diminuer la part des émissions importées. Mais on note l’absence de formulations sur les industries lourdes les plus polluantes ». Pourtant, le secteur industriel émet 19% des gaz à effet de serre nationaux, calcule le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA).
La politique de transports de Marine Le Pen ne satisfait pas non plus les experts climatiques. « Elle ne prévoit pas de réduire les carburants fossiles, prévient Anne Bringault, coordinatrice des programmes chez Réseau Action Climat. Au contraire, elle veut abaisser la TVA sur les carburants pour tout le monde ». Son programme prévoit en effet d’abaisser la TVA sur les carburants de « 20% à 5,5% ». « C’est contraire à la politique d’incitation pour sortir des énergies fossiles », complète Sofia Kabbej, qui souligne un « manque d’ambition » sur toutes les questions écologiques.
Pour la chercheuse de l’IRIS, Marine Le Pen ne réduira pas assez les émissions de la France d’ici 2030. « Le quinquennat qui arrive est crucial pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, ajoute la chercheuse. Nous ne parviendrons pas à atteindre la neutralité carbone sans effort massif de réduction d’ici 2030. »
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Des sujets absents au programme
Si le programme de Marine Le Pen se révèle contraire aux recommandations scientifiques, il surprend également par l’absence de propositions sur des secteurs « clés », les plus émetteurs d’émissions carbone. C’est le cas par exemple de l’aviation ou encore de la voiture électrique, évoquée par son adversaire. La question de la rénovation des bâtiments est aussi aux abonnés absents. « C’est assez frustrant en tant que chercheur de voir à quel point son programme écologique est aussi flou, peu cohérent et peu détaillé au regard de la situation actuelle », déplore Sofia Kabbej. Anne Bringault la rejoint. « Marine Le Pen défend un programme qui ne tient pas la route », réagit-elle.
Anne Bringault indique par ailleurs que le mot « climat » n’apparaît pas dans le programme de la candidate. « Avec ses propositions, on voit que l’écologie n’est pas une priorité pour elle », s’indigne-t-elle. Alors que Marine Le Pen revendique vouloir « suivre la voie française pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris », Anne Bringault doute des résultats. « Elle se dirige plutôt vers une hausse d’émissions carbone », constate-t-elle.
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Sortir du green deal européen
« Nous sortirons du ‘Green deal’ et de l’enfer administratif qu’il impose aux petites entreprises sous le nom de ‘taxonomie' », prévient le programme de Marine Le Pen. Le Green deal européen, aussi appelé Pacte Vert, contribue à un ensemble de mesures visant la neutralité carbone pour l’Union Européenne à l’horizon 2050. Il permet notamment un financement pour les États membres afin de s’engager sur la voie de la transition écologique. Sortir de ce pacte permettrait à la France d’adopter sa propre politique dans les différents secteurs concernés. « Suivant son argument de préférence nationale, Marine Le Pen considérerait les intérêts français comme supérieurs aux intérêts actionnés de différents pays membres », souligne Sofia Kabbej.
La rupture de cet accord viendrait également modifier l’image de la France à l’échelle internationale. « Même si l’État français a été condamné deux fois pour inaction climatique, la France reste leader de l’action climatique au sein de la communauté internationale, notamment dans le cadre des négociations », détaille la chercheuse de l’IRIS. Ainsi, selon l’experte, Marine Le Pen remettrait en question la « force diplomatique de la France à l’échelle internationale ». Le pays ne serait plus considéré comme un pays moteur dans les dynamiques de négociations, déjà « en dessous des trajectoires en températures » fixées lors de la COP26 à Glasgow en novembre dernier. Les enjeux climatiques émergeant dans cet entre-deux tour, les experts climatiques espèrent que l’écologie s’« imposera » davantage dans le débat opposant Marine Le Pen et Emmanuel Macron ce mercredi soir.