Jeudi dernier, le Gouvernement présentait son projet de loi pour le pouvoir d’achat en conseil des ministres. Celui-ci contient un lot d’aides financières pour aider les Français en période d’inflation durant ces prochains mois. Parmi elles, le maintien du bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie et la création d’une indemnité carburant. Philippe Quirion, économiste et directeur de recherche au Cired, plaide au contraire pour d’autres solutions énergétiques. Entretien.
Le projet de loi pour le pouvoir d’achat présenté par le Gouvernement d’Elisabeth Borne lors du conseil des ministres de jeudi dernier prévoit une série d’aides financières, allant de la revalorisation de la prime d’activités à la limitation des hausses de loyer. Sur le plan énergétique, face à l’envolée du prix des carburants, le Gouvernement souhaite créer une indemnité carburant pour les travailleurs. Elle s’élèverait entre 100 et 300 euros par véhicule et par actif à partir du 1er octobre, suivant le niveau de revenus et la composition du ménage. S’ajoute à cela le maintien du bouclier tarifaire servant à plafonner la hausse des factures d’électricité. Mis en place à la fin de l’année 2021, le dispositif sera prolongé jusqu’à la fin de l’année 2022.
Mais ces mesures sont pointées du doigts par des experts de la transition écologique. Selon eux, ces coups de pouce de l’État ne permettront pas de protéger durablement les Français face à la hausse des prix et pourraient aggraver la crise écologique. Ceux-ci plaident alors pour des mesures d’accompagnement assurant la transition écologique et la sobriété. Parmi eux, Philippe Quirion, économiste, directeur de recherche au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired), aussi président du Réseau Action Climat, affirme que le maintien du bouclier tarifaire augmentera les consommations d’énergie.
Natura Sciences : Le projet de loi pour le pouvoir d’achat prévoit une série d’aides financières, notamment le maintien du bouclier tarifaire. Est-ce qu’il permettra de baisser la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre ?
Philippe Quirion : Avec ce projet de loi, on pouvait s’attendre à une baisse des émissions. Mais une partie des aides vise à réduire le coût de l’énergie et cela va se traduire par une consommation plus élevée, et une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Il en est de même pour la prolongation du fonctionnement des centrales à charbon et la construction d’un nouveau terminal méthanier au Havre avec une procédure accélérée. Cette dernière est inscrite dans le projet de loi pour le pouvoir d’achat. Là-aussi, les GES vont augmenter parce que le gaz naturel liquéfié est plus émetteur que le gaz naturel.
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En parallèle, des mesures réglementaires visent à accélérer le déploiement du solaire. Beaucoup de projets éoliens et solaires sont prêts et attendent une autorisation. Sur l’éolien, je n’ai rien vu de concret pour l’accélérer. Sur le solaire en revanche, il y a eu des déclarations mais je n’ai pas vu de texte précis. En soit, accélérer leur déploiement irait dans le bon sens. Actuellement, c’est un peu tard pour le prochain hiver mais pour le suivant, on peut vraiment installer des équipements éoliens et solaires supplémentaires car les projets sont là.
Comme vous le soulignez, beaucoup de projets sont en attente depuis longtemps alors que l’urgence climatique date d’avant l’inflation…
Oui, et ils le sont pour différentes raisons. D’abord, il y a un manque de personnel dans les services de l’État pour instruire les dossiers. Et parfois, c’est le préfet qui s’oppose à ces constructions éoliennes ou solaires. Mais il y a vraiment un gros potentiel. On estime que les projets en attente permettraient de doubler le parc solaire et presque de doubler le parc éolien terrestre. En plus de ces deux énergies renouvelables, nous retrouvons également le biogaz, qui se développe de plus en plus.
Les aides financières sont nombreuses pour protéger les Français contre l’inflation. Augmentation de la prime exceptionnelle, baisse des cotisations sociales pour les indépendants, indemnité carburant… Aurait-il fallu plutôt consacrer plus d’investissements pour la transition énergétique ? En plus des aides pour les plus modestes ?
Il y a un besoin d’aides pour les plus modestes. On ne peut pas se contenter de dire qu’on laisse faire la transition énergétique. De toute façon, on a besoin d’aides à court terme. Le problème, c’est que la France et d’autres pays ont décidé de limiter la hausse du prix de l’énergie. C’est une aide qui bénéficie à tout le monde, mais surtout à ceux qui consomment le plus, et pas spécialement à ceux qui en ont le plus besoin. Les plus aisés pourraient tout à fait supporter cette hausse de prix. D’ailleurs, quand on regarde en valeur monétaire le niveau de consommation d’énergie, les plus aisés consomment plus que les plus modestes.
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Ce qui est compliqué, c’est que les plus modestes consomment plus quand on regarde en pourcentage de leurs revenus, mais ils consomment moins en valeur absolue. Quand on baisse le prix d’énergie, on donne donc plus d’euros aux personnes aisées qu’aux individus modestes. C’est l’inverse qu’il faudrait faire.
Que faudrait-il alors mettre en place pour les plus aisés ?
D’un point de vue économique et social, il faudrait arrêter les aides à partir d’un certain niveau de revenus. Après, on peut aussi vouloir moduler en fonction de la localisation. Par exemple si les consommateurs se situent à proximité des transports en commun. Sur le court terme, cette question peut se défendre. En termes de revenus, cette solution me paraît la plus juste.
En matière d’énergie, quelles seraient les mesures à mettre en place pour aider les Français à passer cette période d’inflation sans aggraver la crise climatique ?
Il s’agit d’abord de débloquer les projets d’énergie renouvelable actuellement coincés. Cette première solution permettrait de réduire les GES. En plus de cela, le prix de l’électricité diminuerait. Cela bénéficierait aux entreprises comme aux ménages. Personne ne le conteste. Quand on économise de l’électricité ou quand on déploie du renouvelable, le prix de l’électricité diminue. Cela reste vraiment la mesure principale selon moi.
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Ensuite, on a également besoin de mesures d’urgence de réduction de la consommation. Il y a d’abord la rénovation des bâtiments mais cela nécessite du temps. À court terme, il existe en France un décret sur le chauffage. Le texte stipule que la température ne doit pas être réglée au dessus de 19 degrés. Mais cela n’a jamais été appliqué, et peut difficilement l’être dans les logements individuels où chacun règle son chauffage. En revanche, dans des immeubles de bureau ou d’habitation avec un chauffage collectif, ce n’est pas toujours simple à mettre en place. Le chauffage est souvent mal conçu, des logements restent plus chauffés que d’autres, etc.
Il reste quand même une marge de main d’œuvre pour le chauffage mais aussi pour la climatisation en été. Pour cette dernière, cela concerne surtout le secteur tertiaire. Nous n’avons pas le droit de climatiser en-dessous de 26 degrés, mais, là aussi, la règle n’est pas appliquée. Baisser la température intérieure, obliger les commerces à fermer leurs portes au lieu de les laisser ouvertes lorsque la pièce est climatisée s’avèrent pourtant des solutions qui ne coûtent rien et qui économisent de l’énergie, de l’argent et des GES. Mais spontanément, les commerçants ne vont pas le faire par souci de faire fuir les clients. Mais d’un autre côté, s’ils ont obligés de le faire, les clients continueront quand même de faire leurs courses. Et il en est de même pour tout ce qui est extinction des lumières et des écrans publicitaires lumineux.
Ces solutions-là sont pourtant recommandées par l’AIE depuis le début du conflit ukrainien, mais n’ont pas été adoptés par la Commission européenne, pourquoi ?
J’ignore la raison. Il y a des mesures que les gouvernements considèrent comme impopulaires, comme réduire la vitesse sur l’autoroute alors que c’est une technique pour réduire rapidement la consommation de pétrole. Je pense que c’est pareil dès que l’on parle de températures de chauffage. Le Gouvernement perçoit cette option comme impopulaire, préférant alors la création d’un bouclier tarifaire. Les consommateurs ont beau se douter que quelqu’un finira par payer, le bénéfice reste beaucoup plus populaire.
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Pourtant, comme vous l’avez dit, maintenir le bouclier tarifaire augmente la consommation d’énergie. Cela profite en quelque sorte à la Russie qui fournit l’Europe en gaz et en pétrole, et donc maintient la guerre en Ukraine…
Oui complétement. On augmente la consommation de gaz mais aussi d’électricité, même si le gaz n’est pas majoritaire pour produire de l’électricité en France. On commence par utiliser les technologies qui ont un coût marginal pour produire de l’électricité supplémentaire, c’est-à-dire les énergies renouvelables et le nucléaire. Le reste c’est du fossile. L’énergie marginale est très souvent fossile. En somme, acheter de l’électricité profite à Vladimir Poutine et finance la crise climatique. Il faut pourtant percevoir que dès aujourd’hui, économiser de l’énergie fait baisser le prix sur le marché de l’électricité et bénéficie à tout le monde.
On se souvent du « quoi qu’il en coûte » lors de la crise sanitaire. Faut-il aussi un « quoi qu’il en coûte » pour la transition énergétique ?
Concrètement, il n’y a pas besoin de plus de dépenses. Je ne sais pas si on a vraiment besoin du « quoi qu’il en coûte » énergétique, mais l’idée serait plutôt d’orienter les dépenses différemment. Cela s’équilibre assez rapidement avec les investissements supplémentaires dans les spécificités énergétiques et dans les énergies renouvelables.
Lorsque vous dîtes « dépenser différemment », avez-vous un exemple ?
Aujourd’hui l’immense majorité de l’énergie primaire en France est importée sous forme de gaz, charbon et d’uranium. Il faut parvenir à un système où l’essentiel de cette énergie sera renouvelable. Toutefois, on a besoin davantage d’investissements dans l’isolation des bâtiments, dans les énergies renouvelables ou dans les transports en commun. La dépense totale devra être assez proche mais on ne va tout simplement pas acheter les mêmes choses. Comme on achètera moins d’énergie fossile importée, car quasiment toutes les énergies fossiles sont importées, cela créera aussi plus d’emplois sur le territoire national.
Propos recueillis par Sophie Cayuela