Yannick Jadot et Sandrine Rousseau vivent leurs dernières heures de campagne. Le 28 septembre, les électeurs inscrits à la primaire écologiste devront départager les deux finalistes. Bien que le débat télévisé d’entre deux tours ait été tendu, le politologue Daniel Boy affirme que le vainqueur pourra compter sur un parti « très uni » dans sa course à l’Élysée.
Entre Sandrine Rousseau et Yannick Jadot, le tutoiement était de rigueur, mais les échanges, eux, étaient tendus. Lors du débat télévisé d’entre deux tours, les deux finalistes de la primaire d’Europe Écologie Les Verts (EELV) ont échangé à bâtons rompus sur leurs différences respectives. « Tu n’as pas bien lu mon programme », tance l’eurodéputé. « Tu agites les peurs », assène l’économiste écoféministe.
Les quelque 120.000 inscrits à la primaire écologiste devront départager les deux candidats lors d’un ultime vote entre le 25 et le 28 septembre. Mais, pour le politologue Daniel Boy, interrogé par Natura Sciences, le choix de l’un ou de l’autre importe peu quant à l’issue de l’élection présidentielle. Selon lui, le réel enjeu pour les écologistes n’est pas tant de briguer l’Élysée que de parvenir à dépasser le parti socialiste. Le spécialiste de l’écologie politique affirme également qu’EELV est particulièrement uni en ce moment. Un atout de taille pour le ou la futur.e représentant.e du parti.
Natura Sciences : Yannick Jadot et Sandrine Rousseau arrivent en tête du premier tour de la primaire d’Europe Écologie Les Verts (EELV). Était-ce le scénario attendu ?
Daniel Boy : Ce n’est pas tout à fait ce qu’attendaient les observateurs. On s’attendait à ce que Yannick Jadot fasse un score plus élevé. Depuis 2017, sa présence dans les médias était plus élevée que celle de Sandrine Rousseau.
Comment expliquer la réussite de Sandrine Rousseau ?
Sandrine Rousseau a fait une très bonne campagne durant les débats. C’était très frappant. Elle a abordé des thèmes nouveaux, comme l’écoféminisme. Auparavant, peu de personnes les défendaient avec la même volonté. Cette position l’a placée en challenger de Jadot. Et puis, il y avait une espèce de dilemme chez les Verts. D’un côté, Yannick Jadot représente une écologie plus consensuelle, voire libérale. De l’autre, Éric Piolle (le maire de Grenoble, NDLR représente l’écologie à gauche de la gauche. Faire le choix de Sandrine Rousseau permettait d’échapper à ce dilemme.
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Julien Bayou a affirmé cette semaine que voter pour Yannick Jadot ou Sandrine Rousseau au second tour de la primaire, c’était « pareil ». Les deux candidats ne sont pourtant pas les mêmes et ne portent pas exactement le même programme.
Julien Bayou se place en arbitre. Sa position de secrétaire national du parti l’oblige. De plus, en ce moment, le parti est très uni. Mais en réalité, il y a bien une différence entre Yannick Jadot et Sandrine Rousseau. Yannick Jadot prône une écologie de rassemblement. Sandrine Rousseau, elle, porte en étendard une écologie plus radicale.
L’un des deux candidats a-t-il davantage de chances à l’élection présidentielle ?
À la présidentielle, il est probable que Yannick Jadot puisse réaliser un meilleur score que Sandrine Rousseau. Toutefois, il est très peu probable qu’il atteigne le second tour, il ne faut pas rêver.
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Sandrine Rousseau pourrait-elle être une représentante sérieuse pour représenter pour la première fois EELV à l’élection présidentielle ?
Quand on fait de la politique, il faut avoir le cuir tanné. Il faut affronter les accusations, les calomnies, les insultes, les crachats. Pour être un leader national dans une campagne présidentielle, il faut être solide. Si elle est candidate, Sandrine Rousseau sera moquée en tant que femme. Des choses ordurières seront certainement dites sur elle. Mais si elle ressort gagnante de la primaire, les écologistes seront derrière elle, quoi qu’il arrive. L’affaire Baupin, son départ du parti en 2017, tout ceci appartient au passé. Qui que soit le vainqueur, Jadot ou Rousseau, le parti le soutiendra avec ferveur.
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À partir de quand EELV pourra considérer avoir réussi sa campagne présidentielle ?
Si le candidat écologiste parvient à faire un score qui dépasse les 5%, voire qui tangente les 10%, ce sera une réussite. Il y a deux marches à franchir. La première est à 5%. Ce score est important car c’est le plus élevé jamais réalisé par les écologistes à une élection présidentielle. C’était Noël Mamère en 2002, avec 5,3%. Et puis, à partir de 5%, les candidats sont mieux remboursés de leurs frais de campagne. Il est crucial de dépasser ce seuil pour les finances du parti.
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Et puis, il y a une autre symbolique importante. C’est de dépasser le Parti socialiste (PS). Pour l’instant, les derniers sondages montrent Anne Hidalgo (PS, NDLR) à 8%. Elle a autour d’elle des challengers, notamment Arnaud Montebourg (L’Engagement, NDLR), qui la privent d’une parti de l’électorat socialiste. La question de savoir si le ou la candidat.e EELV va dépasser le parti socialiste. Ce qui s’est passé au second tour des élections européennes pourrait alors se reproduire. En 2019, Yannick Jadot avait remporté 13,5% des suffrages. Or, Raphaël Glucksmann, qui représentait le PS, n’avait réalisé qu’un score de 6,2%. Bien que symbolique, cette affaire est historiquement absolument cruciale.
En affirmant qu’elle est bien « une écologiste », la maire de Paris et candidate à l’élection présidentielle Anne Hidalgo cherche-t-elle à faire un appel du pied aux électeurs écologistes ? Se sent-elle menacée ?
Anne Hidalgo a besoin de l’électorat écolo. Mais l’électorat écolo votera pour le candidat écolo. Certes, elle a entrepris une politique assez ambitieuse sur la réduction de la place de la voiture à Paris. Et puis, elle a son avis sur la question du désordre climatique. Mais le doute est permis quant à savoir si elle a de réelles compétences dans le domaine. De plus, le parti socialiste s’est subitement converti à l’écologie parce qu’il se retrouve actuellement dominé par le parti écologiste. Donc, il est obligé d’acquérir toutes ces compétences sur l’écologie. Anne Hidalgo a bien conscience que les écologistes sont ses principaux concurrents. Et aux dernières élections municipales, elle a réussi à battre David Belliard (EELV), mais non sans douleur. À titre de comparaison, Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise) s’est converti à l’écologie bien avant le PS. Lors de sa campagne de 2017, il parlait déjà beaucoup du réchauffement climatique. Bien plus que d’autres candidats.
À moyen terme, EELV pourrait-il définitivement réduire le PS au silence ?
On pourrait imaginer le sens de l’histoire. Il se pourrait que l’écologie politique remplace la sociale démocratie. La pensée écologiste ne prend pas uniquement en compte l’environnement. Elle prend également en compte le social, aussi largement que le Parti socialiste. Les écologistes souhaitent que le parti historiquement majoritaire à gauche soit condamné à la disparition. En ce sens, si à l’élection présidentielle le ou la candidat.e écologiste dépassait le candidat socialiste, ce serait extraordinaire. Mais pour le moment, ce n’est pas fait.
Chaymaa Deb