Classé en danger ou menacé d’extinction, l’éléphant demeure une grande victime du braconnage. Malgré les moyens mis en œuvre par plusieurs institutions mondiales, la rentabilité du commerce de l’ivoire, le manque de contrôles et de formation des écogardes sur le terrain, ainsi que le faible nombre de contrôles aux douanes facilite le travail des braconniers. Natura Sciences dresse le portrait de ce commerce complexe qui menace la survie de l’espèce.

On prête à l’éléphant différentes symboliques, selon sa culture et son territoire. Mais quand bien même cet animal peut être associé à la sagesse, à la prospérité, en passant par l’intelligence et la mémoire, ce sont ses défenses qui attirent chaque année les braconniers. Au-delà de la sécheresse, la plus grande menace qui pèse sur l’éléphant d’Afrique reste le braconnage. En témoigne la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), dans son rapport annuel « Mike » de suivi de l’abattage illégal d’éléphants.
L’étude évalue le nombre de carcasses retrouvées sur le continent africain pour suivre le braconnage illégal d’éléphants. Si l’on se réfère au rapport 2021, le taux de braconnage a atteint un pic entre 2003 et 2011. Puis « il est resté à des niveaux élevés jusqu’en 2019 pour diminuer en 2020″, indique l’étude. Des efforts de conservation de la nature sur quelques territoires ont entraîné cette baisse. Pourtant, les niveaux de braconnage restent importants.
Une tendance au braconnage persistante
Sur l’ensemble du continent, le braconnage s’est imposé, jusqu’à provoquer une baisse fulgurante du nombre d’éléphants d’Afrique. Entre 2003 et 2020, la CITES a enregistré 22.015 déclarations de carcasses d’éléphants dans 66 aires de répartitions différentes. L’Afrique centrale serait principalement touchée selon l’étude. « En réalité, aucun pays n’y échappe », dévoile Stéphane Ringuet, responsable Programme Commerce des Espèces Sauvages au WWF-France.

Le WWF a effectué un inventaire faunique dans quatre pays d’Afrique centrale : Cameroun, Congo, République centrafricaine et Gabon. Le rapport qui en découle constate une baisse de 66% de la population d’éléphants entre 2008 et 2016. Elle concerne aussi bien les aires protégées que leur périphérie, à savoir les espaces forestiers ou les zones de chasse. Ce chiffre alarmant témoigne d’une gestion parfois inefficace sur certains sites prioritaires.
« La pression est 50% moins élevée dans les parcs nationaux et autres aires protégées qu’à l’extérieur », rassure K. Paul N’Goran, coordinateur du suivi des populations au WWF pour l’Afrique centrale dans une synthèse du rapport. C’est pourquoi la population d’éléphants marque une croissance certaine à l’intérieur des aires protégées. Une cinquantaine de sites africains n’ont par ailleurs déclaré aucune carcasse retrouvée durant l’année 2020. Mais rien n’indique pourtant que le braconnage cesse. Au contraire, cette pratique illégale tend plutôt à se stabiliser dans certains sites prioritaires.
L’ivoire : motivation du braconnage, stable selon les États
La principale motivation des braconniers reste la même depuis des années : l’ivoire. Plusieurs pays d’Afrique restent impliqués dans ce trafic. Pour faire baisser le prix de l’ivoire, des États – Chine en tête – ont renforcé leur législation pour encadrer le commerce de l’ivoire. Ainsi, en 2017, la Chine a suspendu son commerce intérieur de l’ivoire. Cela a entraîné une diminution progressive de l’abattage illégal d’éléphants. En effet, depuis 2017, le nombre de saisies d’ivoire baisse, selon l’étude sur l’évolution du commerce illégal de l’ivoire ETIS (Elephant Trade Information Système). Mais la mis en place de réglementations ne semble pas suffire pour autant.
Le Vietnam a rapidement détrôné la Chine. « Le Vietnam est désormais la première destination pour l’ivoire illégal, dépassant la Chine (y compris la RAS Hong Kong), conclut le rapport ETIS. Une gamme de produits en ivoire circule dans les magasins illégaux du [Vietnam] et via le commerce sur internet et les réseaux sociaux, pour les clients nationaux comme pour le grand nombre d’acheteurs transfrontaliers en Chine ». Encore aujourd’hui, la Chine se maintient assez haut dans le classement dans le commerce international illégal d’ivoire, « malgré les efforts de contrôles des autorités chinoises », alerte Stéphane Ringuet.
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En plus de ce commerce illégal, l’empiétement des humains sur les habitats d’éléphants entraîne l’apparition de conflits entre l’homme et l’espèce menacée. Cette fragmentation amène l’éléphant, connu comme un grand migrateur, à « traverser, des zones exploitées/occupées par l’homme », explique Stéphane Ringuet. Cela crée, chez les populations locales, une volonté d’éliminer les éléphants pour protéger leurs cultures. Cette mortalité due aux conflits entre hommes et espèces n’est pas toujours considérée comme « illégale ». « En Afrique, la majorité des déclarations classent la mortalité associée aux conflits entre l’homme et l’éléphant comme une mortalité liée à la gestion », indique le rapport MIKE. C’est pourquoi les ONG de défense de la nature cherchent à dialoguer avec les communautés locale. Il s’agit de les sensibiliser à la protection de l’éléphant.
Un renforcement des contrôles nécessaire aux douanes
Les douanes redoublent d’efforts, mais peinent à endiguer le trafic par faute de moyens. « Les douanes et d’autres organismes contrôlent les frontières au niveau des importations et exportations et aussi sur le territoire national, explique Stéphane Ringuet. Elles ont pour mission de lutter contre ce trafic en faisant des saisies,. Elles enquêtent aussi sur les réseaux criminels impliqués pour pouvoir les démanteler ». Ces saisies, elles-aussi en déclin, laissent pourtant envisager de nouvelles stratégies criminelles. « Les données reçues pour 2018 et 2019 montrent qu’il y a eu moins de saisies importantes (de 500kg et plus) que les années précédentes », souligne le rapport ETIS.
L’expert du WWF France observe alors « un changement de dynamique » opéré par les trafiquants afin de pouvoir « essayer de réduire les risques ou déjouer les contrôles ». Ces différents modes opératoires nécessitent, selon lui, une « formation continue des organismes des contrôles, des moyens de détection efficaces et une collaboration avec les acteurs du secteur privé ». Alors, ce besoin de renforcement de contrôle permanent montre bien une réalité : les flux d’ivoire se poursuivent.

Un grand nombre de pays d’Afrique sont affectés par le commerce illégal de l’ivoire. Cependant, tous ne jouent pas le même rôle. Le Mozambique et le Nigeria exportent tout en étant un pays source. Et l’Afrique de l’Est (Tanzanie, Kenya, Ouganda…) se montre impliquée dans « d’importantes cargaisons de départ pour les éléphants », selon l’expert. Cela s’explique notamment par leur proximité avec l’océan indien. Différents ports, tels que Mombasa (Kenya), Dar es Salam et Zanzibar (Tanzanie) font partir l’ivoire, majoritairement vers le Vietnam, la Chine, et Hong-Kong.
Mais avant d’arriver à destination, l’ivoire passe par des pays de transit. S’inscrivent parmi eux plusieurs pays d’Europe, dont la France reste une destination fréquente. « Tous les pays européens prennent part aux activités liées au trafic d’animaux, que ce soit pour un rôle d’importateur, d’exportateur ou même de transit, soulève Lionel Hachemin, chargé de recherche sur la cybercriminalité dans le domaine de la faune à IFAW Royaume-Uni. Il est vrai que la France reste très problématique, comme la Belgique et l’Angleterre, l’Espagne ou l’Italie« . L’aéroport Paris – Charles de Gaulle fait notamment partie des principaux aéroports qui enregistrent le plus de saisies d’ivoire.
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Une surveillance sur le terrain encore lacunaire
En dépit des nombreux enjeux de conservation des espèces sauvages, les moyens mis en place par les pouvoirs régaliens dans différents territoires d’Afrique restent « insuffisants », selon Stéphane Ringuet. Les patrouilles déployées dans les aires protégées ou en périphérie ne permettent pas d’éradiquer le braconnage qui, tant que la demande existe, continuera à se propager. Ainsi, la lutte contre le braconnage à elle-seule ne saurait suffire pour protéger l’éléphant d’Afrique.. « C’est aussi lutter contre le commerce illégal et lutter contre la demande », continue l’expert. C’est pourquoi l’ONG cherche notamment à informer différents organismes privés des enjeux du commerce illégal. « On peut travailler avec des acteurs de la logistique, soutenir des projets de terrain pour protéger les éléphants du braconnage… » cite Stéphane Ringuet.
La lutte contre le braconnage se jouera sur le terrain. « Il faut mobiliser d’autres acteurs, comme les organisations de la société civile, détaille l’expert. Il s’agit de les sensibiliser davantage et de les aider pour renforcer leurs actions ». Et sur le terrain, un aménagement du territoire s’impose. Grand migrateur de nature, l’éléphant ne se cantonne pas aux aires protégées. À l’extérieur, il s’expose alors aux communautés locales et aux braconniers. « D’où l’enjeu de sécuriser des corridors écologiques entre les aires protégées » pour laisser une liberté de mouvements aux éléphants et limiter les conflits hommes-éléphants, selon Stéphane Ringuet.
Cela passe souvent par l’utilisation de technologies spécifiques à la lutte anti-braconnage. Au delà de la (faible) utilisation des caméras-pièges, les défenseurs de l’environnement soutiennent l’application SMART. Composée d’un ensemble de logiciels et d’outils d’analyse, l’application vise à faciliter la transmission des informations clés du terrain aux défenseurs de l’environnement chargés de protéger la faune. Elle est développée et maintenue par neuf associations de conservation de la nature.
Malformés, sous-équipés…les rangers soumis à de nombreuses difficultés
« Le modèle des Rangers, tel qu’il existe actuellement, a trouvé ses limites », observe Stéphane Ringuet. Mal-formés, sous-équipés, l’organisation des rangers reste soumise à de fortes lacunes. Ces difficultés reflètent le manque de moyens des États et une volonté de militarisation. « Malgré leur présence en première ligne sur le terrain, le braconnage persiste », insiste l’expert du WWF. Pourtant nécessaires dans la lutte contre le trafic d’espèces sauvages, les rangers doivent bénéficier, selon l’expert, d’une attention « plus soutenue » des décideurs politiques. « C’est au-delà de renforcer leur effectif, continue Stéphane Ringuet. L’enjeu est de renforcer la professionnalisation des rangers par l’instauration de codes de conduite. Mais aussi par des systèmes améliorés de gestion sur le terrain ». Une question d’autant plus cruciale lorsque certains rangers proviennent eux-mêmes de ces communautés locales.

Beaucoup d’ONG priorisent la formation d’écogardes pour lutter contre le braconnage. IFAW met notamment l’accent sur la collaboration. « Nous avons mis en relation des personnes qui n’avaient jamais collaboré ensemble : des habitants et des policiers locaux, des écogardes de parcs nationaux et des agents de renseignements militaire spécialités dans l’antiterrorisme », détaille IFAW sur son site Internet. Ce réseau, nommé tenBoma, permet à l’ONG de démanteler des réseaux criminels. Nécessitant là aussi de technologies spécialisées dans la protection de la nature, IFAW forme des écogardes pour étudier les scènes de crime, et déterminer les meilleurs emplacements stratégiques. En parallèle, l’ONG mobilise et « accompagne les communautés locales pour gérer les conflits homme-espèce en proposant des solutions préventives ». La présence de rangers dans un pays ne dépend alors pas de sa quantité, mais bel et bien de sa qualité.