En nette progression selon le dernier rapport de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime, le trafic d’espèces sauvages pousse les ONG et leurs partenaires à revoir sans cesse leurs stratégies. La priorité est donnée à la collaboration entre entreprises, forces de l’ordre, populations locales gouvernements et consommateurs. Enquête sur un commerce qui ne cesse de se renouveler au sein même des plateformes numériques.

Ils parcourent parfois des milliers de kilomètres dans des conditions insalubres. Sur les sites marchands ou les réseaux sociaux, quelques clics suffisent pour acheter et transférer une espèce capturée à l’autre bout de la planète. Le trafic des espèces sauvages en ligne ne s’autorise aucune pause, quelle que soit la saison ou même la pandémie en cours. Au contraire, depuis quelques années, de nouvelles tendances apparaissent au sein de ce marché illégal.
Ce que l’on appelle les nouveaux animaux exotiques de compagnie séduisent les acheteurs. Parfois, ceux-ci ignorent que l’espèce relève d’un trafic criminel. En plus de ces nouveaux animaux, comme les reptiles ou les oiseaux, la circulation de l’ivoire, de peau de félins ou d’ailerons de requins se poursuit. Malgré le contrôle intransigeant des sites marchands, les trafiquants en ligne ne cessent d’opérer de nouvelles stratégies. Derrière les écrans, une vraie lutte est menée par les défenseurs de l’environnement.
Un trafic alimenté par un « phénomène de surenchère »
Le commerce d’espèces sauvages se hisse à la quatrième place mondiale des plus importants trafics. Se positionnant derrière les stupéfiants, la vente d’armes et le trafic d’êtres humains, il vise à répondre à deux offres bien distinctes. D’un côté, des spécimens de collection comme des objets en ivoire. De l’autre, des animaux vivants. Toutefois, une grande majorité des animaux ne survit pas aux conditions de voyage, selon l’association IFAW, spécialisée dans le trafic d’espèces sauvages. Et pour cause : les forces de l’ordre trouvent de tout, comme des tortues enfermées dans des valises, ou des perroquets transportés dans des bouteilles en plastique.
Internet a bousculé les règles du trafic d’espèces sauvages.« L’internaute peut se connecter rapidement avec des trafiquants et des braconniers et commander une espèce, explique Lionel Hachemin, chargé de recherche sur la cybercriminalité dans le domaine de la faune à IFAW Royaume-Uni. La commande entraîne directement le braconnage et le transfert de l’animal. Cette réalité s’amplifie avec les réseaux sociaux. La visibilité du marché accroît la demande. Posséder des animaux, souvent exotiques, pour accumuler les « like » sur Instagram, Facebook ou encore Snapchat encourage à rechercher l’espèce la plus rare, la plus colorée comme le perroquet gris du Gabon (espèce menacée d’extinction, dont le commerce international est interdit depuis 2016).
« Il y a un phénomène de surenchère », avertit le chargé de recherches. Mais les animaux victimes du trafic d’espèces sauvages ne figurent pas toujours sur la liste des espèces protégées de la CITES. « Les espèces trafiquées et importées en Europe peuvent très bien être protégées par les pays sources mais peuvent ne plus l’être une fois la frontière dépassée », précise Lionel Hachemin. Les autres motivations du consommateur, encore inconnues, sont étudiées par les ONG protectrices des animaux.
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Une coalition mondiale pour freiner le trafic d’espèces en ligne
La lutte contre le trafic d’espèces sauvages par les ONG de conservation de la nature se déroule depuis des décennies. Toutefois, la mise en place de réglementations sur les sites marchants ne semble pas suffisante. Au fil des années, malgré les efforts déployés par les organismes, les activités criminelles ont augmenté, selon le dernier rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Même lors de la première année de pandémie de Covid-19, les criminels ont poursuivi leurs activités. L’Europe, grande consommatrice d’espèces sauvages et zone de transit, n’a pas échappé à ce commerce illégal. « Cependant, il y a probablement eu un retard sur l’acheminement des spécimens entre les marchés sources et la demande », ajoute Lionel Hachemin. En cause : la réduction des activités maritimes et aériens sur 2020.
Cette année-là, Ebay France supprime 257.000 annonces contraires à sa réglementation. Celles-ci correspondaient à la vente d’espèces sauvages, interdite par la plateforme. Depuis 2008, celle-ci fait parti de la Coalition mondiale contre le trafic de faune sauvage en ligne, initiée par IFAW, le WWF et TRAFFIC. Les membres de la coalition ont bloqué 11 millions d’annonces en trois ans. Ce chiffre ne représente qu’une « petite partie de ce qui se passe », révèle Lionel Hachemin. Le nombre d’espèces sauvages sauvées reste toutefois inconnu. Les algorithmes utilisés par les plateformes numériques suppriment automatiquement les annonces suspectes.
Mais l’ampleur du trafic reste beaucoup trop important pour espérer le faire cesser du jour au lendemain. « Nous n’avons pas vocation à mettre fin au trafic d’espèces sauvages en ligne, ajoute le chargé de recherches. Ce n’est pas réaliste, nous visons plutôt de perturber les activités au maximum ». Il s’agit là d’un enjeu de taille alors que les stratégies des trafiquants se multiplient. « Aucune entreprise ou ONG ne peut résoudre ce problème à elle seule, reconnaît Delphine Dauba-Pantanacce, directrice du conseil juridique réglementation mondiale d’Ebay France. Nous apportons chacun des compétences uniques et, ensemble, nous pouvons obtenir un résultat beaucoup plus important. »
Former les plateformes à la détection d’espèces sauvages illégales
Un travail de fond est mené pour réduire le trafic d’espèces 2.0. En première ligne, les sites e-commerce sont régulièrement conseillés par IFAW, WWF et TRAFFIC. Tout comme les 46 autres membres, les équipes d’Ebay France bénéficient d’une formation pour détecter les produits issus d’espèces sauvages ou menacées.
Les ONG apportent aux équipes de modération les nouvelles stratégies criminelles repérées pour se fondre dans la masse. « Ces stratégies peuvent être très simples, livre Lionel Hachemin. Par exemple, les trafiquants peuvent jouer avec l’orthographe pour contourner les filtres et algorithmes des sites marchands. Mais on retrouve aussi de plus en plus l’utilisation d’emojis ou de codes formés à partir d’associations de chiffres ou de lettres pour signifier un mot-clé ». À chaque nouveau code clé repéré, l’ONG suggère aux sites marchands de le renseigner dans leurs algorithmes.

Pour rendre la lutte plus efficace, les plateformes numériques ne se contentent pas de supprimer une annonce ou de suspendre le compte de l’utilisateur. « On va aussi les mettre en relation avec les forces de l’ordre », indique Lionel Hachemin. Toute information criminelle peut faire l’objet d’une investigation, bien que les trafiquants se tournent davantage vers des groupes fermés ou les réseaux sociaux pour minimiser leur visibilité.
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Une coopération entre tous les acteurs
En plus de sensibiliser les internautes au trafic d’espèces sauvages, IFAW s’adresse quotidiennement à d’autres acteurs de la chaîne d’approvisionnement qui travaillent directement sur le terrain. « On va travailler avec les réserves naturelles, les rangers, les forces de l’ordre pour rendre le braconnage le plus difficile possible », indique Lionel Hachemin. Les personnels impliqués sont mis en relation dans les différents pays concernés.
Le contrôle, quant à lui, se renforce particulièrement aux douanes et aux aéroports. D’après une étude récente réalisée par IFAW, la France serait le quatrième pays d’Europe le plus impliqué dans l’exportation d’ailerons de requins. L’aéroport Paris – Charles de Gaulle serait quant à lui l’un des aéroports réalisant le plus de saisies.
Impliquer les populations locales et les politiques
Au-delà des frontières, des actions se mettent en place sur les territoires touchés par le braconnage. Pour contrer la pratique, IFAW vise à apporter aux populations locales une « indépendance économique », où d’autres solutions existent pour subvenir à leurs besoins. « Nous travaillons avec les forces de l’ordre pour les former et les aider à mettre en œuvre les lois et les réglementations », détaille Lionel Hachemin.
La lutte contre le trafic se poursuit aussi au niveau politique. Récemment, IFAW a communiqué au gouvernement britannique des annonces de vente d’ivoire en ligne. L’ONG souhaitait signaler aux autorités que le trafic se perpétuait dans le pays et qu’il fallait renforcer davantage les contrôles. « La lutte contre le trafic d’espèces protégées demeure une préoccupation internationale et nécessite une coopération permanente de tous les acteurs, des gouvernements, des autorités, des ONG et de l’ensemble des entreprises concernées », rappelle Delphine Dauba-Pantanacce.
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Une lutte engagée dans le temps
En plus d’une collaboration entre les différents acteurs, le dialogue avec les décideurs politiques reste l’une des plus grandes priorités. « On va travailler avec eux pour avoir des législations plus strictes et plus adaptées, continue Lionel Hachemin. L’objectif premier serait de renforcer les sanctions et les peines associées. C’est pourquoi l’ONG cherche à inscrire la criminalité sauvage comme un crime tout aussi grave que le trafic de stupéfiants. C’est déjà le cas au Kenya qui reconnaît le trafic d’espèces comme « un crime sale ». IFAW espère pouvoir faire de même au niveau européen.
« Il faut des sanctions suffisamment hautes pour dissuader les trafiquants de prendre autant de risques, signale le chargé de recherches. Car les réseaux de crimes organisés impliqués dans les principaux trafics se positionnent là où il y a le plus de profits pour le moins de risques judiciaires. » L’ONG demande également à ce que les forces de l’ordre disposent de moyens suffisants pour préparer des investigations sur le terrain et démanteler des réseaux criminels.
Les ONG visent à anticiper ces opérations criminelles. Leurs stratégies passent essentiellement par une surveillance du trafic d’espèces en ligne. Elle met ensuite en relation les différents acteurs de la lutte. Et ce, en dépit du temps qu’exigent les stratégies 2.0. « Le changement de comportement ne s’improvise pas. Cela demande beaucoup de temps », prévient Lionel Hachemin. Malgré de nombreuses avancées, un long chemin reste à parcourir dans la lutte contre le trafic d’espèces en ligne.