Le dernier volet du rapport du GIEC vient de paraître. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il incite à une action urgente. Car il reste trois ans maximum pour inverser la courbe des émissions mondiales de gaz à effet de serre si l’on veut espérer limiter le changement climatique sous la barre des 1,5°C, mais aussi des 2°C.
Peut-on encore limiter le changement climatique à 1,5°C d’ici la fin du siècle ? « Sans des réductions immédiates et profondes des émissions dans tous les secteurs, ce sera impossible », annonce Jim Skea, coprésident du groupe de travail III du GIEC à l’occasion de la publication du troisième et dernier volet de son rapport. « Même si nous le faisons, il est presque inévitable que nous dépassions temporairement ce seuil de température, mais que nous puissions revenir en dessous d’ici la fin du siècle », assure le GIEC.
Pendant quatre ans, 278 auteurs principaux ont évalué plus de 18.000 études pour donner naissance aux 17 chapitres de ce dernier volet de la trilogie. Malgré les politiques d’atténuation du changement climatique déployées dans de nombreux endroits du monde et secteur, la hausse des émissions de gaz à effet de serre se poursuit. En 2019, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont atteint un record de 59 milliards de tonnes d’équivalent CO2. C’est 12% de plus qu’en 2010 et 54% de plus qu’en 1990. Le GIEC veut toutefois voir une lumière au bout du tunnel. La vitesse annuelle d’augmentation des émissions diminue. Elle passe ainsi de 2,1% en moyenne entre 2000 et 2009 à 1,3% entre 2010 et 2019. Mais le monde a bien besoin d’une inversion des émissions avec une diminution annuelle très forte, et non d’un simple ralentissement.
Stabiliser la hausse des températures
Il y a ainsi urgence à agir : il faut aller vite, très vite. Pour espérer limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C, il faut que les émissions mondiales de gaz à effet de serre atteignent leur maximum « avant 2025 au plus tard », prévient le GIEC. La baisse des émissions doit atteindre 43% d’ici 2030 pour espérer limiter la réchauffement à +1,5°C. Pour le limiter à 2°C, il faudra tout de même les réduire d’au moins 25% à cet horizon.
« Il faut sortir de cette idée qu’en-dessous de 1,5°C, il n’y aurait pas de problème et qu’au-delà tout d’un coup on serait dans un autre monde, souhaite rappeler Céline Guivarch, directrice de recherche au CIRED et co-autrice du rapport. Chaque fraction de degré supplémentaire conduit à des impacts supplémentaires, des risques supplémentaires, des pertes et dommages supplémentaires et au fur et à mesure de l’augmentation, les risques deviennent de plus en plus complexes à gérer avec des seuils de possibilité d’adaptation dépassés. » Dans cette perspective, il convient de réduire les émissions au plus vite et de façon la plus rapide possible.
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Les experts de l’ONU le rappellent : la température mondiale se stabilisera uniquement lorsque le monde atteindra la neutralité carbone. Et ils ont fait les calculs. Pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, la neutralité carbone doit être atteinte au début des années 2050. Pour 2°C, c’est au début des années 2070 au plus tard.
L’énergie au centre des attentions
« Nous avons des options dans tous les secteurs pour réduire au moins de moitié les émissions d’ici 2030″, assure le GIEC. Limiter le réchauffement climatique nécessitera des transitions majeures dans les secteurs les plus émetteurs. Le GIEC vise ainsi la production d’énergie, à l’origine de 34% des émissions de CO2, et l’industrie à 24%. L’agriculture, la sylviculture et le changement d’affectation des sols représentent pour leur part 22% des émissions mondiales. Enfin, le GIEC attribue 15% des émissions mondiales aux transports et 6% aux bâtiments.
« Le rapport dit clairement que si l’on prend les centrales électriques au gaz, au charbon et au fioul installées, ou en projet avancé, et qu’on suppose qu’elles émettent durant toute leur durée de vie classique, on aura déjà émis plus de gaz à effet de serre que le budget carbone dont on dispose pour rester en dessous de 1,5°C, et à peu près autant que le budget carbone dont on dispose pour être à 2°C, assure Franck Lecocq, directeur du CIRED et co-auteur du rapport. Tenir ces objectifs suppose de fermer de façon prématurée ces centrales et toute construction nouvelle rend encore plus difficile l’atteinte de cet objectif. »
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À l’opposé, miser sur les technologies les moins polluantes aujourd’hui diminue les gaz à effet de serre et s’avère rentable. « La mise en place de politiques, d’infrastructures et de technologies appropriées pour permettre des changements dans nos modes de vie et nos comportements peut entraîner une réduction de 40 à 70 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050″, affirme Priyadarshi Shukla, coprésident du groupe de travail III du GIEC. « Plus on attend pour agir, plus c’est difficile et plus ça devient coûteux pour atteindre le même objectif, parce qu’on est obligé d’abandonner avant la fin de leur durée de vie des investissements qui ont déjà été faits », complète Céline Guivarch.
Inventer une nouvelle industrie
L’industrie représente 24% des émissions mondiales. Pour réduire ses émissions, le GIEC pointe l’importance de nouveaux procédés de production, d’électricité décarbonée, d’hydrogène et, si nécessaire, de systèmes de capture et de stockage du carbone.
Le GIEC souligne aussi la nécessité d’une utilisation plus efficace des matériaux. Il insiste sur l’importance que pourrait avoir la généralisation de la réutilisation et du recyclage des produits pour réduire les déchets. De nouveaux procédés pour la fabrication de matériaux de base, comme l’acier, les matériaux de construction et les produits chimiques sont en cours de développement, au stade de pilote, ou proche de leur mise en route commerciale. Il conviendra aux politiques publiques de s’en emparer et d’aider à généraliser ces procédés.
Pour le GIEC, l’agriculture et l’industrie forestière joueront un rôle pour stocker du carbone à grande échelle.Toutefois, les experts rappellent que la Terre ne pourra pas à elle seule compenser les émissions des autres secteurs. Il faudra bien réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre à large échelle si l’on souhaite utiliser les puits de carbone naturels pour atteindre la neutralité carbone.
Booster la finance climatique
Le rapport souligne le manque de verdissement de la finance pour accélérer la transition écologique. « Malgré une impulsion et des engagements récents, les progrès réels ont été lents en matière d’alignement des flux financiers avec les trajectoires pour contenir le réchauffement en-deçà de 2°C, analyse Raphaël Jachnik, spécialiste de la finance climat à l’OCDE et co-auteur du rapport. Les flux financiers pour le climat au niveau global sont, en fonction des secteurs, mais aussi des régions, entre trois et six fois inférieurs aux niveaux nécessaires d’ici à 2030 pour limiter le réchauffement à moins de 2°C. En parallèle, on peut observer que les flux financiers et de soutien publics aux énergies fossiles, restent importants, voire supérieurs aux flux climatiques. »
Le GIEC veut toutefois positiver. « Il existe suffisamment de capitaux et de liquidités mondiaux pour combler les déficits d’investissement », préviennent les auteurs. Il suffit désormais de parvenir à les réorienter.
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Pour combler ce déficit, il faudra ainsi mieux aligner les financements publics avec des politiques en faveur de la transition. C’est une nécessité pour éviter une perte importante du PIB mondial. « Sans tenir compte des avantages économiques de la réduction des coûts d’adaptation ou des impacts climatiques évités, le produit intérieur brut (PIB) mondial ne serait inférieur que de quelques points de pourcentage en 2050 si nous prenons les mesures nécessaires pour limiter le réchauffement à 2 °C ou moins, par rapport au maintien des politiques actuelles », avertit Priyadarshi Shukla.