La Ligue pour la Protection des Oiseaux publie son bilan des effets de la sécheresse sur la biodiversité des réserves naturelles. Dans les 10 espaces naturels protégés qu’elle gère, l’association relève une reproduction faible, voire quasiment nulle pour certains oiseaux, amphibiens et insectes en 2022.
Lundi 24 avril 2023, la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) a alerté contre les conséquences de la faible pluviométrie sur la biodiversité. Dans les 10 espaces naturels qu’elle gère, la LPO a étudié les impacts, liés à la sécheresse du printemps et de l’été 2022, et ils sont nombreux. Le manque d’eau affecte les sols, la flore et la faune. La LPO a notamment constaté l’assèchement de fossés et de zones humides, une baisse de fréquentation des espaces protégés par les oiseaux et des problèmes de développement des végétations terrestres et aquatiques.
Chez certaines espèces d’oiseaux, la LPO observe des taux de reproduction faibles, voire nuls. Chez les amphibiens et les insectes, le constat n’est pas plus reluisant. Alexis Martineau, responsable du Service Espaces Protégés chez LPO France, nous explique plus en détail les constats inquiétants que dresse ce bilan.
Natura Sciences : Dans ce bilan, vous parlez de reproductions faibles voire nulles pour des espèces d’oiseaux, d’amphibiens et d’insectes. Comment en arrive-t-on à des taux de reproductions quasi-nulles ?
Alexis Martineau : Effectivement, nous avons des espèces très inféodées aux milieux humides et aux zones humides, particulièrement les amphibiens. Compte tenu du manque de pluviométrie, ajouté à une anomalie anti-cyclonique persistante, nous avons eu des vents séchants sur le long terme, au printemps et en été. Nous nous sommes retrouvés avec des mares à sec et une absence totale d’eau. Une partie des espèces n’a ainsi pas pu réaliser leur cycle biologique. Pour elles, nous arrivons à des reproductions nulles.
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Nous avons pris l’exemple de ce crapaud, le pélobate cultripède qui n’a pas eu d’eau disponible. Il y a donc eu très peu de reproduction, voire pas du tout. Pour les oiseaux, il s’agit principalement des espèces inféodées aux milieux humides qui, là aussi, n’ont pas pu réaliser leur cycle biologique. Pour eux, la sécheresse a causé un manque d’habitats et de proies.
De quelle manière avez-vous observé cette baisse du taux de reproduction ?
En fait, nous nous sommes retrouvés, comme tout le monde, à constater et à être impuissants face aux effets de la sécheresse de 2022. Sauf que, étant dans des espaces protégés, nous avons des inventaires et des suivis à long terme déjà mis en place, liés à nos plans de gestion. Ceux-ci nous permettent justement d’explorer les effets des changements, et notamment des évènements brutaux comme cette sécheresse.
A-t-on déjà observé un tel phénomène ?
Oui, nous avons déjà eu des évènements de sécheresse, mais pas aussi prononcés et aussi brutaux. Là, nous parlons d’une sécheresse printanière et estivale d’une telle ampleur que nous n’avons retrouvé des niveaux d’eau “acceptables” que vers décembre-début janvier de cette année. Ce sont ces niveaux qui permettent d’accueillir à nouveau des populations d’oiseaux “normales”.
Toute la biodiversité observe-t-elle une baisse de reproduction ?
Non. Nous avons des espèces plus généralistes qui n’ont pas connu de conséquences majeures sur leur reproduction. D’autres espèces, de types méditerranéennes, se sont exprimées de manière très importante alors qu’elles étaient plus marginales avant. Certaines espèces ont donc profité de ces phénomènes. Ce sont souvent des espèces floristiques qui ne sont pas, normalement, présentes en grand nombre sous nos latitudes.
La survie de ces espèces est-elle menacée par manque de reproduction ?
Si des évènements comme celui-ci se représentent très régulièrement, nous nous retrouvrons avec des espèces dont la survie est clairement menacée. Et ce d’autant plus que d’autres pressions extérieures ne diminuent pas : entre autres, l’agriculture intensive, l’utilisation de pesticides, le dérangement, la gestion économique de l’eau.
La biodiversité peut-elle se rattraper sur un prochain cycle de reproduction ?
C’est possible. Nous savons par exemple que pour le leste à grand stigma, une petite libellule, l’espèce peut répondre très rapidement à des conditions de reproduction favorables. Par contre, nous ne savons pas aujourd’hui l’impact sur le long terme que cela aura sur les espèces en général. Des oiseaux qui, au moment de leur migration se retrouvent à ne plus avoir de sites pour se nourrir et vont se reporter sur des zones qui sont peut-être moins protégées, tout cela va vraiment jouer sur leur reproduction.
Qu’attendez-vous du gouvernement sur ces questions ?
Là, nous avons pris l’exemple des espèces protégées. Comme le montre la littérature, la nature est plus résiliente dans les espaces protégés. Nous savons que le choc d’un événement comme celui-ci y est “mieux vécu” qu’à l’extérieur. Ce que nous attendons du gouvernement c’est d’agrandir les espaces protégés, de diminuer les pressions sur les espèces afin d’atténuer ces événements nouveaux et brutaux. Ce que nous recherchons, c’est la connexion des espaces protégés et des cœurs de nature entre eux.
Propos recueillis par Chiara Hagenlocher