Un rapport publié ce lundi par Climatoscope, l’Observatoire mondial de l’infosphère sur le changement climatique, pointe du doigt les comptes climatosceptiques qui pullulent sur le Twitter français. Grâce à un mécanisme bien rodé, ces comptes parviennent à influencer des millions de personnes.
Les chercheurs du Climatoscope, un observatoire qui collecte et analyse chaque jour plus de 400 millions de tweets relatifs au changement climatique, ont vu éclore des milliers de comptes climatosceptiques sur Twitter. « Jusqu’à récemment, nous n’observions pas de communauté dénialiste française très structurée », écrivent dans un nouveau rapport les chercheurs de cet observatoire lancé par l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Ile-de-France. Mais depuis l’été 2022, entre les élections présidentielles et législatives et la COP27 à Charm el-Cheikh en Égypte, les chercheurs notent que le nombre de ces comptes n’a cessé de croître. Autrement dit, lorsque l’écologie est au cœur de l’actualité, la désinformation s’installe.
Les utilisateurs de Twitter ne constituent pas un échantillon représentatif des Français. C’est ce que précisent les chercheurs. « L’importance relative des groupes sociaux mis en évidence dans cette étude ne reflète donc pas nécessairement leur importance au niveau national. Cependant, leurs évolutions, leurs stratégies et les rapports qu’ils entretiennent sur Twitter sont informatifs sur ce qui se passe hors ligne et sur les autres réseaux sociaux », peut-on lire dans le rapport de Climatoscope.
Lire aussi : 1 Français sur 5 serait climatosceptique
Dans un sondage Ifop daté de janvier 2023, on apprend qu’à peine 33% des jeunes, adeptes des réseaux sociaux, estiment que « la science apporte à l’homme plus de bien que de mal ». En France, Twitter est le cinquième réseau social le plus utilisé, avec 12 millions d’utilisateurs. Les 18-24 ans représentent 22% d’entre eux. Un chiffre à mettre en relief avec le rapport de Climatoscope. Selon les chercheurs, il y a environ 30% de climatosceptiques parmi les comptes Twitter qui abordent les questions climatiques.
Des faux comptes qui participent à la désinformation climatique
Ces comptes climatosceptiques, appelés les « dénialistes » dans le rapport, forment un noyau dur de plus de 1.400 profils ayant participé à d’autres campagnes « antisystèmes » opportunistes repérées par les chercheurs. Notamment sur le Covid-19 ou la guerre en Ukraine. En ce qui concerne le climat, les principaux sujets évoqués sur Twitter par la communauté dénialiste sont l’influence du soleil, la variabilité naturelle du climat, les émissions de CO2 qui ne représentent pas une menace, et le dérèglement climatique qui est, à leurs yeux, une bonne chose. « Regarder (sic) les données. Le climat a toujours changé et changera toujours. Le CO2 suit la température pas l’inverse Le CO2 ne détermine pas le climat, il verdit le monde », twitte le compte climatosceptique @Elpis_R.
Parmi ces comptes, nombreux sont des robots. « Sur les réseaux sociaux, il y a des gens qui gèrent eux-mêmes leur compte. Il y a aussi des comptes qui sont opérés par des groupes, donc par des institutions. Enfin on remarque des comptes qui sont automatisés par des programmes et d’autres par des gens payés pour opérer ces comptes », explique David Chavalarias, responsable scientifique de la plateforme Climatoscope et directeur de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Ile-de-France. Il est difficile de déterminer dans quelle catégorie se trouve tel ou tel compte. « Cependant, il faut noter que la communauté dénialiste, qui parle du climat sur Twitter, comporte 2,8 fois plus de robots que les autres communautés », détaille et
Lire aussi : Plan France 2030 : L’agriculture numérique de Macron indigne
Les chercheurs impliqués dans ce rapport constatent alors que cette communauté dénialiste use de ce genre de pratiques à des fins précises. L’intérêt derrière est « d’amplifier une présence en ligne », explique David Chavalarias. « Si vous voulez convaincre l’opinion, en faisant croire que beaucoup de gens pensent comme vous, l’utilisation de robots, de ‘bots’, légitimise vos propos ».
Un mécanisme bien rodé
Pour autant, nous n’assistons pas à une « invasion des dénialistes sur tout Twitter », expliquent les chercheurs. « Leur nombre est proportionnel à la quantité de gens qui parlent du climat sur les réseaux sociaux, et ce n’est pas énorme non plus », note David Chavalarias. Mais puisqu’au sein même de la sphère climat de Twitter cette communauté est très présente, il est bon de comprendre comment elle s’y prend pour répandre ses idées.
Pour cela, il y a tout un spectre de techniques. « Ils font beaucoup de messages pour véhiculer de fausses informations sur la réalité du dérèglement climatique. Ils détournent des rapports, et en décrient d’autres qui sont déjà un peu contestés », analyse le directeur de recherche au CNRS.
« Ensuite, il y a toutes les pratiques qui consistent à décrédibiliser le camp d’en face. Ici, les scientifiques. On parle alors de la stratégie des cinq ‘D’, qui est fréquemment utilisée en propagande ». Il précise : « Premièrement, discréditer les discours du GIEC et les faire passer pour de mauvais scientifiques. Ensuite la dissuasion. L’idée est de dire qu’il ne faut pas suivre les mesures conseillées car elles sont contraignantes pour l’économie. Enfin, la distraction, autrement dit accuser les autres et pour finir, le doute et la division. Les dénialistes appuient sur l’idée que ce sont les élites, notamment politiques, qui se préoccupent du dérèglement climatique. Les mêmes élites qui se déplacent pourtant en jet et qui sont des ‘donneurs de leçons‘ ».
Le GIEC cible prioritaire des dénialistes
Il n’est pas rare de tomber sur des tweets qui s’en prennent directement aux scientifiques du GIEC. Par exemple : « Le GIEC est une machine de propagande politique, se concentrant sur un prétendu réchauffement d’origine humaine, ignore les nuages et le soleil, tout ce qui est contraire à leur idéologie est exclu », affirme une nouvelle fois le compte @Elpis_R.
Les chercheurs expliquent que le mode d’action de ces climatosceptiques est d’activement commenter sur Twitter les prises de paroles des scientifiques. Le tout pour remettre en question leur travail. Les dénialistes commentent également le plus souvent les articles scientifiques, dans les journaux en ligne, pour partager leurs arguments. « On peut parler ici de prosélytisme », insiste David Chavalarias.
Des effets difficilement mesurables sur le long terme
La montée du dénialisme sur des réseaux sociaux comme Twitter engendre hostilité et division entre communautés numériques. « Le risque sur le long terme, c’est que cela influence ce que peuvent penser les gens sur le climat. Alors que c’est enjeu majeur », redoute David Chavalarias. « Si on divise les gens, nous allons affaiblir la possibilité qu’ils prennent les mesures importantes que nous devrons prendre dans le futur et dans l’intérêt collectif. Par ailleurs, on sait que les réseaux numériques sont utilisés à des fins stratégiques. Pour diviser la population et créer la discorde », plaide-t-il.
Lire aussi : Mars : Greta Thunberg ridiculise Elon Musk
La crainte du directeur de recherche est que la question du dérèglement climatique « ne soit plus une question scientifique, mais un champ où règne les opinions et donc la division ». Il invite à suivre la science pour éviter que la société ne se fracture sur un thème d’une grande importance. « En parlant de division, Elon Musk, le propriétaire de Twitter, y participe d’une certaine manière. Il a fermé des bureaux de modération du réseau social, laissant la place aux dénialistes. Avant, les comptes de désinformation, sur les vaccins par exemple, étaient supprimés. Ce n’est plus le cas maintenant », constate-t-il.
Les chercheurs de l’équipe de Climatoscope craignent que ce rapport ne soit le dernier du genre. Dans le contexte où Elon Musk envisage de faire payer l’accès aux informations de son réseau social, le travail des scientifiques risque d’être bridé. « Mais vous pouvez nous aider à préparer le coup d’après et contribuer ainsi à une meilleure compréhension de l’impact des plateformes numériques et des campagnes de désinformations sur la société. Le tout en installant le plug-in Horus sur votre navigateur. Il analysera votre exposition à des contenus dénialistes », conclut David Chavalarias.