Le Conseil d’État demande au gouvernement de prouver que la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre à l’horizon 2030 pourra être respectée. L’exécutif doit justifier que son refus de prendre des mesures plus strictes est compatible avec cet l’objectif. Pour cela, il dispose de trois mois. Les ONG réunies au sein de l’initiative citoyenne L’Affaire du siècle saluent une « décision historique ».
« Victoire ! L’État est condamné à agir pour respecter l’Accord de Paris. C’est un arrêté historique du Conseil d’État. Finies les postures » se réjouit sur Twitter Damien Carême, le maire (EELV) de Grande-Synthe (Hauts-de-France). Cette réaction fait suite à la décision du Conseil d’État de demander au gouvernement de justifier sa stratégie de réduction des gaz à effet de serre. Ce 19 novembre, la haute juridiction administrative a donné trois mois à l’exécutif pour fournir des preuves de son engagement.
Damien Carême défend le climat face au gouvernement
À la suite de la signature de l’Accord de Paris en 2015, la France s’était fixée comme objectif de réduire à l’horizon 2030 de 40% ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Cependant, les données prouvent que l’Hexagone n’est pas en bonne position pour atteindre cette trajectoire. C’est pourquoi, fin 2018, Damien Carême avait demandé au président de la République et au gouvernement des mesures supplémentaires pour infléchir la courbe des émissions. À défaut d’atteindre cet objectif ambitieux, elles auraient déjà permis à la France d’atteindre une réduction des émissions de 37% par rapport à 2005. Mais suite à sa demande, le maire de Grande-Synthe a reçu un refus.
De ce fait, en janvier 2019, la commune de Grande-Synthe a décidé de saisir le Conseil d’État. La ville de Paris et Grenoble, ainsi que plusieurs organisations engagées dans la défense de l’environnement avaient soutenu cette action. Le Conseil d’État considère que Grande-Synthe est une commune « particulièrement exposée aux effets du changement climatique ». C’est pourquoi il a estimé que sa plainte était « recevable ». Mais ce n’est pas la seule raison qui a poussé le Conseil d’État à demander des comptes au gouvernement. Ce dernier constate que « la France […] a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émission qu’elle s’était fixés ». De plus, il déplore le fait que « le décret du 21 avril 2020 a reporté l’essentiel des efforts de réduction après 2020 ».
Des mesures « plus strictes » potentiellement exigées au gouvernement
C’est précisément sur ce point que le Conseil d’État attend des justifications. Ce dernier « demande au gouvernement de justifier que son refus de prendre des mesures plus strictes est compatible avec le respect de l’objectif pour 2030« . Pour la période 2015-2018, la baisse annuelle moyenne des émissions françaises se situait aux alentours de 1%, alors qu’elle aurait dû être de 2,2%. Et à la suite de ces résultats en berne, la France a amoindri ses objectifs pour la période 2019-2023. Or, pour atteindre tous les objectifs fixés, des efforts considérables et sans précédent devront être consentis. Récemment, le Haut Conseil pour le climat exhortait le gouvernement à changer de cap.
Avec les éléments que le gouvernement devra fournir dans les prochaines semaines, le Conseil d’État évaluera si la stratégie de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre est valable ou non. S’ils ne sont pas suffisants, le Conseil d’État sera en capacité de prendre une décision inédite dans l’histoire écologique française. Ce dernier se trouvera alors en capacité de faire droit à la requête de Grande-Synthe. Ainsi, il annulera le refus du président de la République et du gouvernement de prendre des mesures permettant d’aboutir à 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.
Le Conseil d’État prend une « décision historique » pour le climat
Dans le camp des militants de la lutte contre la crise climatique, cette nouvelle est reçue avec une grande satisfaction. Dans un communiqué, l’initiative citoyenne L’Affaire du Siècle estime que le Conseil d’État « a rendu une décision véritablement historique« . Sur Twitter, plusieurs voix ont exprimé leur joie à la suite de cette nouvelle. L’ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage salue « une première historique pour le climat en France ». Pour Cécile Duflot, directrice générale de l’ONG Oxfam France, cette décision est « le couronnement de tant d’efforts ». De son côté, l’association Les Amis de la Terre se réjouit du basculement que le Conseil d’État provoque. « Ce n’est plus aux ONG de montrer que l’État ne prend pas les mesures nécessaires pour atteindre ses objectifs climatiques, mais au gouvernement de prouver que ses actions le permettent », déclare-t-elle.
Cette décision du Conseil d’État laisse imaginer une future prise en compte des enjeux climatiques par le droit. « Le Tribunal administratif devra prendre en compte cette jurisprudence » affirme L’Affaire du siècle. Si tel était le cas, les décisions prises pourraient contraindre l’État à lutter davantage contre le réchauffement climatique. Les ONG réunies au sein de L’Affaire du Siècle soulignent que dans ce cas, l’État devrait probablement agir sur d’autres terrains. Ainsi, l’État pourrait être obligé de prendre des mesures écologiques sur des sujets tels que les énergies renouvelables, ou l’efficacité énergétique.
Auteur : Chaymaa Deb, journaliste de Natura Sciences