La France s’engage de nouveau à lutter contre la déforestation importée. Le pays veut même en faire l’une de ses priorités pour sa future présidence de l’Union européenne. Toutefois, la législation envisagée demeure parcellaire face à l’ampleur du phénomène.
Comment contribuer à la lutte contre la déforestation importée ? Au lendemain de la COP 26, une centaine de pays se sont engagés à faire cesser la déforestation d’ici 2030. Mais la Commission européenne veut aller plus loin. Le 17 novembre, Bruxelles a annoncé préparer une proposition de loi pour lutter contre la déforestation importée. Celle-ci désigne la perte d’espaces forestiers à l’étranger liée à la culture de produits couramment consommés en Europe.
Ce mercredi 24 novembre, la secrétaire d’État chargée de la Biodiversité Bérangère Abba annonce que la France veut activement lutter contre la déforestation importée. L’Hexagone assure même vouloir en faire l’une de ses priorités lors de sa prochaine présidence de l’Union européenne, qui prendra effet dès le 1er janvier prochain. Pour ce faire, l’État a mis au point un outil permettant aux entreprises de ne pas acheter de matières premières impliquées dans ce processus.
Dix fois la Grèce
Cette position française n’est pas nouvelle. En 2018, le pays s’était déjà engagé à mettre fin d’ici 2030 à la déforestation importée. Selon l’ONG Greenpeace, elle était alors le premier pays à le faire. Cet engagement concernait l’importation de produits y contribuant comme le cacao, le soja, l’huile de palme ou encore certains bois exotiques.
À cette époque, un rapport de la FAO avait motivé la décision. En 2015, l’organisation onusienne rapportait que la déforestation importée avait engendré la perte de 129 millions d’hectares de forêts. Entre 1990 et 2015, la superficie de forêts détruites équivalait à dix fois la taille d’un pays comme la Grèce. En France, la nécessité de lutter contre la déforestation importée est loin d’être anecdotique. Selon le Cirad, 20% de la nourriture consommée par les Français est importée. Et ce chiffre est en constante augmentation.
Chasse à la déforestation importée dans les entreprises
Afin de montrer l’exemple, l’État s’est officiellement contraint par le biais de la loi Climat et résilience. « Nous [y] avons inscrit l’obligation de zéro déforestation importée dans l’achat public d’État. Nous en faisons la promotion à tous les niveaux des collectivités », a précisé Bérangère Abba à l’AFP.
Pour cela, la France a mis en place un guide de bonnes pratiques. Celui-ci vise à guider les achats dans les domaines de la restauration, des transports, du bâtiment et de l’immobilier. Ce dernier devrait être mis à jour prochainement. Les entreprises d’autres secteurs sont également invitées à suivre ces recommandations, sur la base du volontariat.
Des outils de pointe pour lutter contre la déforestation importée
Mais pour être efficace, la lutte contre la déforestation importée exige d’avoir accès à des outils de pointe. « Cela [nécessite] des outils satellitaires. Nous les avons. Nous pouvons à présent les croiser avec les données douanières », indique Bérangère Abba. Elle précise également que ces informations sont anonymisées, pour respecter le secret commercial. L’ONG Canopée et le think tank IDDRI ont par ailleurs développé un outil concernant la filière soja. Il sera disponible dès le 29 novembre.
Bérangère Abba souligne également la difficulté de lutter contre la déforestation importée. La secrétaire d’État considère que le « règlement est très ambitieux ». Toutefois, ce dernier ne concerne pas encore l’ensemble des produits en lien avec le phénomène. Ainsi, la future législation ne concernera pas le maïs et le caoutchouc. De plus, la destruction des savanes et des zones humides ne sont pas prises en compte. Pourtant, elles aussi subissent les méfaits de l’agriculture intensive. « Il y a des axes à renforcer sur le champ d’application », concède Bérangère Abba.
Deux millions de tonnes de soja en 2020
Les lacunes des engagements pris contre la déforestation importée causent des mécontentements dans la sphère écologiste. Greenpeace considère que la France ne fait pas assez pour gérer les dégâts liés à ses besoins en soja. L’association rappelait en mai que « 60 à 70 cargos transportant du soja affluent chaque année dans les ports français ». Puis elle ajoutait qu’en « 2020, la France a importé plus de deux millions de tonnes de soja brésilien sans aucune garantie que celui-ci n’ait pas contribué à la déforestation ». En réponse à une action étatique qu’elle juge trop faible, l’association appelle la population à consommer moins de viande et de produits laitiers.
En parallèle, dans le secteur agricole, la volonté européenne de lutter contre la déforestation importée fait grincer des dents. Pour Interbev, interprofession bovine française, l’application de la mesure pour la viande de bœuf importée risque de poser un problème. Les professionnels soulignent qu’au Brésil par exemple, l’abattage n’est pas soumis aux mêmes règles de traçabilité qu’en Europe. Ainsi, il pourrait devenir compliqué pour les importateurs de vérifier que le produit n’est pas lié à la déforestation. De son côté, la Confédération paysanne demandait que Bruxelles mette en place un plan « protéines ». Le but serait de remplacer les animales par des végétales pour lutter contre la déforestation importée.
Chaymaa Deb