Après de longs débats, le Parlement Européen a donné son feu vert à la nouvelle Politique agricole commune (PAC). Applicable dès janvier 2023, la réforme ne satisfait pas les Verts et une partie de la gauche. Le Parlement souhaite « verdir » la PAC et la lier à l’Accord de Paris. Mais certains eurodéputés et agriculteurs pointent du doigt un texte lacunaire.
Après trois ans et demi de négociations, le Parlement Européen a donné son feu vert. La nouvelle version de la Politique agricole commune (PAC) a été adoptée mardi 24 novembre. Les eurodéputés ont finalement adopté les trois textes censés réviser cette PAC, applicable dès janvier 2023 et jusqu’en 2027. « L’ambition de cette version révisée est d’être plus verte, plus juste, plus flexible et plus transparente », défend le Parlement Européen dans un communiqué. Pour parvenir à ces objectifs, une enveloppe d’environ 387 milliards d’euros sera allouée jusqu’en 2027.
Le budget de la PAC représente environ un tiers du budget pluriannuel de l’Union Européenne. La France reste le principal pays bénéficiaire. « L’accord n’est pas parfait, on va demander aux agriculteurs de faire davantage d’efforts avec un budget qui est quand même en légère baisse », a reconnu l’eurodéputée française Anne Sander lors d’un point de presse vendredi, tout en soulignant de « nombreuses avancées » et un résultat « équilibré ».
La politique agricole commune est liée au Pacte Vert européen. Elle se soucie de répondre aux objectifs environnementaux de la Commission européenne. À savoir protéger l’environnement et « s’assurer que chacun ait accès à de la nourriture saine tout en assurant les moyens de subsistance des agriculteurs ».
Un budget en hausse après les impacts de la crise sanitaire
Durement touché par la pandémie, l’agroalimentaire bénéficiera de soutiens financiers. « Le Parlement souhaite que cette législation offre aux agriculteurs plus de prévisibilité, de stabilité et de continuité financière, surtout suite à la crise que nous traversons actuellement », précise le Parlement Européen. Pour soutenir le secteur, les députés ont décidé qu’« au moins » 10% des paiements directs seraient redistribués aux petites et moyennes exploitations et « au moins » 3% du budget pour les jeunes agriculteurs. Ce volet social constitue l’une des promesses de la nouvelle réforme de la PAC.
Les impacts de la pandémie de Covid-19 sur le secteur agroalimentaire a suscité l’attention des députés. C’est pourquoi ces derniers ont insisté pour qu’un budget annuel de 450 millions d’euros soit disponible pour les agriculteurs, de façon permanente. Cette somme servirait de « réserve de crise » en cas d’instabilité des prix ou du marché.
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Un « plan stratégique national » pour chaque pays
L’un des points essentiels de la réforme concerne l’établissement d’un « plan stratégique national » avant le 31 décembre 2021. Chaque État doit présenter ses besoins agricoles, ainsi qu’une stratégie d’intervention. Chaque mesure pour parvenir à une agriculture « plus verte » doit fixer un budget en termes de dispositifs d’aides de premier et second pilier. Le premier représente les aides directes aux agriculteurs, indépendamment de la surface de leur ferme et de leur production. Le second concerne le développement rural, cofinancé par les Etats membres. Cela inclut par exemple l’installation d’équipements modernisés pour les exploitations agricoles ou encore l’agriculture biologique.
La Commission veillera, à partir de 2022, à ce que chaque plan stratégique national respecte les règles européennes. Les directives vérifiées par Bruxelles incluent la réduction des gaz à effets de serre. Pour y parvenir, une réduction d’émissions de 55%, ainsi qu’une diminution des pesticides de 50% sont attendus pour 2030. Ce règlement relatif aux plans stratégiques a été adopté par 452 voix pour, 178 contre et 57 abstentions.
Des éco-régimes pour récompenser les pratiques vertueuses
Afin d’être conforme avec le Pacte vert européen, la nouvelle version de la PAC introduit des « éco-régimes ». Ce dispositif représente une aide directe, versée seulement si l’exploitation déploie des pratiques conformes aux objectifs environnementaux. La nouvelle stratégie adoptée cette année vise à ce que chaque État consacre en moyenne 25% des paiements directs entre 2023 et 2027.
Avant le vote du Parlement européen, la France souhaitait rendre ces éco-régimes obligatoires en les fixant à 30 % du montant des aides directes versées aux États. Des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, ou la Suède ont soutenu cette position. Mais d’autres, comme la Bulgarie, la Chypre ou la Hongrie s’y sont opposés.
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Un objectif de transparence et de respect des règles
En Europe, le secteur agricole européen représente 10% des émissions de gaz à effet de serre. L’objectif de verdir la politique agricole de l’Union européenne apparaît comme une réussite pour la rapporteure Ulrike Müller. « La nouvelle PAC marque une avancée vers une politique agricole plus ambitieuse sur le plan environnemental, plus à l’écoute de la société et davantage orientée vers la performance, a-t-elle déclaré suite au vote du Parlement. Nous avons fait en sorte que les paiements de la PAC soient plus transparents et que les intérêts financiers de l’Union soient mieux protégés ».
La nouvelle version pour les années 2023-2027 exige en effet, après des pressions exercées par le Parlement, que les règles de l’Union Européenne soient « mieux surveillées et que les infractions seront sanctionnés ». Un point sur lequel Mathieu Courgeau, , porte-parole de la plateforme Pour une autre PAC, fédérant 46 organisations du monde agricole, reste septique. « La Commission européenne doit se saisir du dossier et respecter les engagements du Pacte Vert, a-t-il réagi auprès de Natura Sciences. Les règles doivent être suffisamment strictes car il n’y a pas eu de sanction jusqu’ici ».
Un texte qui divise au sein des classes politiques
Malgré le feu vert du Parlement, le texte ne satisfait pas tout le monde. Des eurodéputés comme Jérémy Decerle (également agriculteur) du groupe Renew Europe considèrent cette nouvelle version comme « un succès ». Mais les Verts la contestent. « Pour qu’il y ait une cohérence avec ces objectifs »,ils réclament la réécriture d’une nouvelle PAC. Benoît Biteau, paysan bio et agronome français dénonce par exemple un « Canada dry d’écologie », un « cahier des charges trop faible pour qu’on engage cette transition » verte. « On sait que 80% des aides concernent uniquement 20% des agriculteurs », rappelle également Philippe Cambret, agriculteur et président de la Fédération nationale d’Agriculture biologique (FNAB).
L’élu Manuel Bompard (GUE/NGL, gauche radicale) considère quant à lui que le vote de cette PAC serait « un désastre ». Il s’attaque directement aux éco-régimes. « Ils sont tellement mal définis qu’ils ouvrent la voie à des processus de
greenwashing« , critique-t-il. Un point que dénonce aussi Benoît Biteau. Dans un dossier de presse en date du 25 mai 2021, l’agronome critiquait l’absence du développement de l’agriculture biologique et de l’agroforesterie dans les négociations en cours. « Les mesurettes ne permettront pas de maintenir de nombreuses fermes dans les régions et ce ne sont pas les sommes mobilisées qui faciliteront l’arrivée de jeunes dans ce secteur », indiquait-il.
Mais, à l’inverse, l’Italien Paolo de Castro (Socialistes et démocrates, S&D) se réjouit de cet accord. « Le caractère social de cette réforme a été fortement musclé » a-t-il réagit. Il estime que « la nouvelle PAC permettra à l’UE d’atteindre les objectifs du Pacte vert« .
puisque le texte prévoit de sanctionner les agriculteurs ne respectant pas les droits des travailleurs.
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Une PAC critiquée en France
L’établissement des plans stratégiques nationaux subissent quelques critiques en France. « On espérait que les plans stratégiques nationaux seraient un peu plus en cohérence avec le Green Deal et avec la gouvernance de la Commission européenne », témoigne Philippe Camburet. L’élu regrette notamment l’absence de changements pour protéger la biodiversité. « Ces plans stratégiques visent à ne rien changer pour rester sur le même fonctionnement que la PAC précédente, déplore l’élu. L’agriculture biologique sera la grande perdante si aucun changement n’est effectué dans la politique agricole commune ».
Selon lui, le texte voté favorise l’agriculture tournée vers l’export. L’agriculture biologique serait, elle, considérée comme « une simple niche de production ». « Le ministre de l’Agriculture [Julien De Normandie NDLR] a toujours nié les points sur lesquels on aurait voulu des arbitrages différents, à savoir la prise en compte de la nécessité de l’agriculture biologique avec son cahier des charges européens et ses exigences », s’est exprimé Philippe Camburet. Le président de la FNAB constate un « nivellement vers le bas de toutes les exigences » puisque le ministre de l’Agriculture a « voulu contenter le maximum des agriculteurs français », optant alors pour un « dispositif très ouvert ».
« En France, les objectifs environnementaux sont faibles. Beaucoup de rapports le disent, y compris la Cour de Comptes », souligne à son tour Mathieu Courgeau. Ce dernier prévient que les premières ambitions prononcées par la Commission européenne le 1er juin 2018 ne sont pas à la hauteur des espérances des organisations. « Cette réforme ne va pas dans le sens des ambitions prononcées par la présidente de la commission européenne, se soucie Mathieu Courgeau. De grandes lignes ont été annoncées, mais le conseil des ministres et le Parlement ne les ont pas suivis ».
Sophie Cayuela