Les États membres de l’ONU ont trouvé un terrain d’entente sur le premier traité international de protection de la haute mer, destiné à protéger cet espace menacé par l’exploitation humaine et le dérèglement climatique. Si les ONG et scientifiques saluent cet accord, ils espèrent que les États en profiteront pour réellement s’impliquer dans la sauvegarde des océans.
Après des années de discussions et d’importants revers, les États membres de l’ONU se sont enfin entendus, samedi 4 mars, pour mettre en place le tout premier traité international de protection de la haute mer. Un texte fondamental pour protéger cet espace menacé par l’exploitation humaine et le changement climatique et situé en dehors de toute juridiction.
Les militants l’ont salué comme étant un tournant décisif pour la protection de la biodiversité. « C’est un jour historique pour la conservation et le signe que dans un monde divisé la protection de la nature et des personnes peut triompher sur la géopolitique », a déclaré Laura Meller, de Greenpeace. Le texte, légalement contraignant, mais dont le contenu n’a pas encore été dévoilé, sera formellement adopté à une date ultérieure après avoir été passé au crible par les services juridiques et traduit pour être disponible dans les six langues officielles de l’ONU. Il devra alors prouver qu’il n’est pas qu’un coup d’épée dans l’eau.
Des aires marines protégées dans les eaux internationales
Lorsqu’il entrera en vigueur après avoir été formellement adopté, signé puis ratifié par au moins 60 États, le traité doit permettre de créer des aires marines protégées dans ces eaux internationales. « C’est ça la grande nouveauté de ce traité. Grâce à cet outil juridique, les États doivent protéger des zones de l’océan qui se situent au-delà des zones territoriales. Là où l’on est chez tout le monde et personne à la fois », explique Hélène Bourges, responsable de la campagne Océan chez Greenpeace. « On parle ici d’un bien commun de l’humanité, qui était impossible à protéger avant ce traité », ajoute-t-elle.
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La haute mer représente plus de 60 % des océans et près de la moitié de la planète. Mais seul 1 % faisait jusqu’ici l’objet de mesures de conservation. Cet outil est également jugé indispensable pour espérer protéger d’ici 2030, 30 % des terres et des océans, comme s’y sont engagés l’ensemble des gouvernements de la planète en décembre lors de la COP15 sur la biodiversité. Un traité « historique de par son existence, mais avec certaines zones d’ombres », concède Hélène Bourges.
Un traité à trous
Car si plusieurs ONG saluent ce traité, que « les États se sont enfin décidés à signer », d’autres considèrent qu’il demeure incomplet. « Ce traité ne nous semble pas à la hauteur des enjeux », regrette Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’association Bloom. « Tout simplement car il ne couvre pas tout un certain nombre de choses, très importantes pour vraiment protéger nos océans. Je parle ici de l’exploitation minière dans les fonds marins par exemple, c’est l’AIFM qui s’en occupe, pas l’ONU. L’instance ne peut donc pas gérer ce problème. C’est également le cas pour la pêche industrielle, soit la plus grosse menace qui pèse sur la biodiversité marine. Là encore c’est l’IPBES qui s’en occupe, pas l’ONU, et le traité n’en parle pas. Enfin, cet accord ne prend pas non plus en compte le transport maritime. Il est qui est régie par l’Organisation maritime internationale (OMI). »
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Selon les ONG, la France doit jouer un rôle majeur dans la protection des océans. En effet le pays possède le deuxième plus grand domaine maritime au monde. Sa superficie est évaluée à 10,3 millions de km2, derrière les États-Unis, 11,3 millions de km2. « Pourtant; nous estimons chez Bloom, qu’il n’y a aucune volonté, de notre gouvernement, de mettre en place des aires marines protégées. Sachant que nous n’arrivons déjà pas à le faire dans nos eaux, cela me semble compliqué à plus grande échelle. Il faudra rester vigilant pour que ce traité ne soit pas qu’un effet d’annonce », espère Frédéric Le Manach.
Une protection des océans essentielle
La réussite de ce traité représente un enjeu majeur pour la sauvegarde des océans, largement impactés par le dérèglement climatique. « N’oublions pas, quand nous signons des traités sur la haute mer, que nous parlons d’une pompe à carbone. Les océans régulent le carbone qui est rejeté dans l’atmosphère. C’est une sorte de tampon, un piège à CO2 », rappelle Christian Tamburini, directeur de recherche au CNRS à Marseille. « Maintenir un océan qui fonctionne, c’est préserver notre avenir », ajoute-t-il.
Parmi les points de tensions des débats autour de ce traité, se trouvait la question de la gestion des ressources en haute mer. Elles n’appartiennent normalement à personne, mais sont accaparées par les pays riches. Parmi ces ressources, on trouve des organismes qui peuvent aller des virus aux bactéries et à des animaux plus imposants. Utilisés dans les études contre le cancer ou la maladie d’Alzheimer, mais aussi par les industries cosmétiques et pharmaceutiques, ils constituent un enjeu de taille pour la recherche médicale.
Les pays en développement ont insisté durant les négociations pour que ces ressources soient équitablement partagées. Ce point névralgique du débat agace Christian Tamburini, qui y voit une confrontation entre les intérêts économiques et les intérêts climatiques. « Il faut toujours que les États cherchent un rôle économique à l’océan, car leur vision se cantonne au profit. Après l’exploitation minière, voici l’exploitation pharmaceutique », lâche Christian Tamburini. « Nous connaissons très peu l’océan profond, mais s’il faut continuer à enrichir des entreprises au détriment des océans, allons-y et dérégulons le climat », désespère-t-il.