Dans le contexte actuel de crise énergétique, l’Ademe souligne les problématiques liées à la dépendance aux énergies fossiles. Pour l’agence de la transition écologique, réévaluer la taxe carbone serait un moyen de favoriser les alternatives renouvelables. Mais pour ce faire, le gouvernement doit veiller à ne pas léser les plus vulnérables.
Elle était si impopulaire qu’elle avait déclenché la colère des gilets jaunes il y a quatre ans, et fait reculer le gouvernement. Aujourd’hui, en pleine période de crise énergétique, la légitimité de la revalorisation de la taxe carbone se pose de nouveau. Actuellement fixé à 44,60 €/tonne de CO2, son montant est figé depuis 2019. En 2018, le ministère de la Transition écologique prévoyait pourtant que la taxe carbone s’élèverait à 56 € la tonne de CO2 en 2020, puis évoluerait jusqu’à atteindre 100 € en 2030.
Or, la stagnation de la taxe carbone entrave le développement des énergies renouvelables qu’elle doit financer. « On ne voit pas comment atteindre la neutralité carbone en 2050 sans augmenter le prix du carbone », avertit Patrick Jolivet, directeur des études socio-économiques à l’Ademe. L’expert estime que les aides de l’État pour faire face à la flambée des prix des énergies fossiles sont contre-productives. Emmanuel Combet, ingénieur et économiste à l’Ademe partage cet avis : « maintenir artificiellement un prix des énergies fossiles bas alimente un système de dépendance ».
Hausse de la taxe carbone, pas des impôts
Pour Patrick Jolivet, le maintien d’une fiscalité favorable aux énergies fossiles soulève un « problème d’incohérence avec les objectifs climatiques ». Selon lui, il est nécessaire que la France réfléchisse dès à présent à la stratégie énergétique à mettre en place en sortie de crise. Ainsi, l’expert préconise d’anticiper dès à présent la période post-crise. Selon lui, l’État devra choisir le retour à une énergie fossile peu chère ou le développement des énergies décarbonées en augmentant les recettes issues de la fiscalité carbone.
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Face à ce constat, l’Ademe s’est demandée quelles seraient les conditions d’application d’une nouvelle fiscalité carbone. A priori, la revalorisation de la taxe carbone ne doit pas nécessairement s’accompagner d’une hausse des prélèvements obligatoires. « Si on augmente la fiscalité carbone, il faudrait compenser par ailleurs », assure Patrick Jolivet. Toutefois, l’expert n’énonce aucune piste pouvant aboutir à une économie budgétaire. « Il sera compliqué de baisser la dette, ne pas augmenter les impôts et continuer les investissements », avertit de son côté Emmanuel Combet.
Augmenter la taxe carbone et protéger les « vulnérables »
Les Français, quant à eux, semblent favorables à la mise en place d’une nouvelle réglementation carbone. L’édition 2022 du baromètre Représentations sociales du changement climatique indique que 51% des Français accepteraient d’« augmenter la taxe carbone ». Cependant, cette relative ouverture des Français à une fiscalité moins avantageuse pour les activités polluantes est soumise à condition. Ainsi, 72% des sondés supporteraient une fiscalité carbone plus forte seulement si elle n’impacte pas les portefeuilles des plus modestes. Notons qu’aujourd’hui, la taxe carbone concerne les ménages, les administrations et les entreprises. Cependant, des grosses firmes polluantes y échappent car elles entrent dans le cadre du marché carbone européen.
Sans cette évolution, Emmanuel Combet craint que la France « rencontre des difficultés au niveau des plus vulnérables ». L’économiste indique qu’il sera « nécessaire d’avoir des négociations de branche » pour les métiers qui seraient les plus impactés par une hausse de la taxe carbone. Ce serait notamment le cas pour les routiers et les pêcheurs. « Pourquoi pas des aides pour les activités fortement soumises à la concurrence internationale », suggère-t-il.
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Selon les experts de l’Ademe, il est nécessaire que l’État cible correctement les personnes que la hausse des énergies fossiles impacterait le plus.« Les plus vulnérables ne sont pas forcément que les plus pauvres, alerte Emmanuel Combet. Donc les solutions comme les chèques énergie ne peuvent être totalement efficaces. Par exemple, se chauffer au gaz ou au fioul, cela n’a rien à voir avec les revenus. C’est plutôt une affaire de géographie. Il en est de même pour la disponibilité des transports en commun ». Face à ce constat, l’économiste appelle le gouvernement à mieux cibler l’octroi des aides publiques.
100 milliards d’euros pour les énergies fossiles
Autre argument en faveur de l’augmentation de la taxe carbone : le prix de la dépendance aux énergies fossiles. Selon les données du ministère de la Transition écologique, la facture énergétique de la France s’élevait à 44 milliards d’euros en 2021. Après avoir diminué en 2020, celle-ci a augmenté sous l’effet de la hausse des cours des énergies fossiles. Et cette année, la note va plus que doubler. Le 21 septembre dernier devant la Commission des Affaires économiques, Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN) a déclaré que la prochaine facture énergétique dépasserait les 100 milliards d’euros. L’ingénieure déclare que les importations d’énergies fossiles ont coûté 48 milliards d’euros, rien qu’au premier semestre 2022.
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Face à ces chiffres, Emmanuel Combet estime que la dépendance aux énergies fossiles insuffisamment taxées est contre-productive. « C’est une idée reçue de dire que maintenir les bas coûts des énergies fossiles aide les plus modestes. La dépendance nous coûte », déclare-t-il. L’économiste estime que « l’enjeu est de faire en sorte que la finance publique reste dans le pays ». En clair, que les sommes allouées actuellement aux énergies fossiles soient réinvesties dans le renouvelable.
Donc, en cas de réévaluation de la taxe carbone, le politique devra « penser la réforme et son équité », résume Patrick Jolivet. Les deux experts de l’Ademe estiment que la mise en place d’une taxation efficace ne pourra se faire sans la fondation d’un « nouveau contrat social ». Emmanuel Combet évoque la mise en place d’un système qui rendra les énergies fossiles plus chères. Ainsi, l’économiste imagine que la taxe carbone pourrait atteindre 250€/tonne de CO2 en 2030, et continuer d’augmenter ensuite. Mais quant à la date d’instauration d’une taxe réévaluée, l’Ademe ne se prononce pas. Patrick Jolivet se contente d’indiquer qu’il « faut préparer les conditions pour que la valeur du carbone puisse croître ».