Pourra-t-on se passer de climatiseurs à Paris face au réchauffement climatique ? Cela sera difficile, selon une équipe interdisciplinaire de l’École des Ponts ParisTech, du CNRS, de Météo-France et du CSTB. Explications.
Les parisiens utilisent encore beaucoup de ventilateurs et adaptent leurs comportements lors des canicules en buvant davantage, en modifiant leurs horaires de travail ou en limitant l’activité physique. Mais la climatisation gagne rapidement du terrain. Selon le Commissariat général au développement durable, 13 % des logements Français étaient équipés d’un climatiseur en 2016, contre 5 % en 2005.
Dans la deuxième moitié du siècle, les vagues de chaleurs seront plus fréquentes et plus intenses. « Au 20e siècle, il y avait une canicule tous les 9 ans, rappelle Vincent Viguié, chercheur à l’Ecole des Ponts ParisTech, et auteur principal de l’étude parue dans Environmental Research Letters. À la fin du siècle, il y aura une ou deux canicules tous les étés. » Les canicules seront aussi plus longues. Elles pourront atteindre entre 8 et 12 jours en moyenne à la fin du 21e siècle. Les simulations prédisent des canicules avec des durées exceptionnelles, pouvant aller jusqu’à 5 semaines.
La climatisation contre les mesures d’adaptation
Les chercheurs se sont basés sur le scénario d’émission médian du GIEC, le RCP6.0. Ce dernier prévoit une stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre à 850 ppm équivalent CO2 après 2100. Contre 417 ppm aujourd’hui. Les chercheurs ont ensuite développé un scénario de référence dans lequel la climatisation est généralisée. La consigne serait de maintenir une température à 23°C dans tous les bâtiments. Dans ce scénario, la consommation électrique pour répondre aux pics de chaleur s’élève à 1,1 térawattheure (TWh). Toutefois, cette estimation ne prend en compte que la consommation des climatiseurs lors des canicules. « Si, après l’installation de la climatisation, les ménages décident également de l’utiliser pendant les jours sans canicule, la consommation totale d’énergie supplémentaire sur l’année due à la climatisation sera beaucoup plus importante que cela », prévient l’étude.
Les chercheurs ont alors évalué l’efficacité de trois stratégies d’adaptation. Celles-ci sont déployables rapidement à large échelle pour réduire l’utilisation de l’air conditionné à Paris. La première : un verdissement urbain à grande échelle, avec 10 % de la surface parisienne recouverte d’espaces verts. Cela ne permettrait de réduire la consommation d’électricité que de 2 %. La deuxième : une politique généralisée d’isolation des bâtiments et de toitures réfléchissantes. Les économies d’énergie sont supérieures : elles s’élèvent à 17 %. Dans ces conditions, les auteurs estiment que l’utilisation généralisée de climatiseurs est inévitable.
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Des changements de comportements à préparer
La dernière stratégie mise donc sur des changements de comportements généralisés dans l’utilisation que les parisiens feraient de l’air conditionné. Alors que la consigne initiale dans le scénario de référence était de maintenir une température à 23°C dans tous les bâtiments, la stratégie d’adaptation viserait une température de 28°C dans les habitations et de 26°C dans les bureaux. Cette stratégie permettrait une baisse de consommation électrique importante, évaluée à 43 %.
« Est-ce que ce serait réaliste de limiter la climatisation ?, s’interroge toutefois Vincent Viguié. Les questions de comportement jouent beaucoup plus que les questions technologiques : 28°C, c’est la température pour qu’il n’y ait pas d’impact sur la santé, mais cela ne veut pas dire qu’elle est confortable et qu’elle sera acceptée. La climatisation paraît inévitable, mais pour limiter son impact il faudra déployer plusieurs stratégies et l’utiliser au minimum, principalement pour assurer la santé lors des vagues de chaleur. »
Des climatiseurs inévitables en période de canicule
En présence de climatisation, l’étude prévoit que les rues de la capitale s’échaufferont de 3,6°C. « Cela pose des questions sociales pour les personnes sans-abri ou qui n’auraient pas les moyens de payer un climatiseur », note Vincent Viguié. Mais bonne nouvelle, grâce aux mesures d’adaptation étudiées, la température de l’air extérieur diminuerait de 4,2°C. Cela permettrait d’annuler la surchauffe due aux climatiseurs. « Même des stratégies ambitieuses ne semblent pas suffisantes pour remplacer totalement l’air conditionné et assurer le confort thermique, dans un scénario de changement climatique médian, prévient Vincent Viguié. Ces stratégies mises bout à bout peuvent cependant réduire de moitié la consommation d’électricité pendant les vagues de chaleur et compenser la chaleur libérée par les climatiseurs dans l’air extérieur. »
La chaleur obligera davantage les particuliers à faire appel à une entreprise de climatisation à Paris. Puis, c’est la double peine. Ces climatiseurs consommeront de l’électricité et, en fonction du mix électrique, pourront contribuer à renforcer les émissions de gaz à effet de serre. En plus, si les systèmes de climatisation libèrent de la chaleur dans l’air extérieur, comme c’est le plus souvent le cas, l’air se réchauffe davantage et la vague de chaleur s’aggrave.
En attendant, l’Ademe propose plusieurs solutions simples. Elles consistent à végétaliser son balcon, éteindre les appareils qui produisent de la chaleur, installer des stores extérieurs, intérieurs ou des volets et bien les fermer lorsque le soleil tape sur les fenêtres. « Les volets, c’est super important, confirme Vincent Viguié. Nous avions montré dans une autre étude que la présence de volets permettait de réduire beaucoup la consommation d’énergie par rapport à une situation sans volet. »
Auteur : Matthieu Combe, journaliste du magazine Natura Sciences