Le secteur agrolimentaire consomme 20% du plastique utilisé France et en est devenu dépendant, révèle une analyse publiée vendredi 23 mai par l’Inrae et le CNRS. Les chercheurs alertent sur l’insuffisance du recyclage face à une pollution destructrice pour l’environnement et les corps humains.

« Nous observons une contamination généralisée. » Muriel Murcier-Bonin est biologiste à l’Inrae de Toulouse. Avec une trentaine d’autres experts européens, elle vient de publier la plus grande analyse conduite en France et Europe sur le rôle du plastique dans l’alimentation et les pollutions qu’il engendre. Les chiffres mis en avant sont impressionnants : en France, on trouve en moyenne 244 kilogrammes de plastique dans chaque hectare de sol, surtout sur les terres d’agriculture intensive.
Et il ne vient pas de nulle part. Emballages des produits en magasin, films de paillage, bâches agricoles, bidons de pesticides… A chaque fois que le plastique est présent, il laisse derrière lui des microparticules qui se retrouvent à terme dans nos corps et dans l’environnement. Selon cette nouvelle analyse, le système agroalimentaire est à l’origine de 20 % des plastiques consommés en France.
L’industrie agroalimentaire accro au plastique
« Après la seconde guerre mondiale, l’agriculture et tout le système alimentaire se sont rendus dépendants aux plastiques », détaille Baptiste Monsaingeon, sociologue et maître de conférence à l’université de Reims. La légèreté du matériau, sa robustesse et son faible coût expliquent cet engouement. « Il faut aussi noter le lobbying des industries pétrolières et chimiques qui avaient besoin de nouveaux marchés pour écouler leurs produits », insiste-t-il.
Les chercheurs ont épluché 4 500 publications scientifiques pour établir un état des lieux des connaissances. Pour l’agriculture, les effets sont dévastateurs et s’intensifient chaque année. Les scientifiques soulignent comment les microparticules de plastique diminuent l’évaporation des sols, et donc augmentent la température des sols. Dans les végétaux, ils inhibent certains mécanismes comme la photosynthèse, ce qui met en danger le futur de certaines cultures.
Le corps humain est loin d’être épargné. « Le coût des maladies engendrées par le plastique atteint déjà des milliards d’euros au niveau européen », explique Muriel Murcier-Bonin. Maladies inflammatoires, cardiovasculaires, diabète, attaques sur le microbiote intestinal… Les liens démontrés entre certaines pathologies et cette pollution sont déjà bien connus. « Les plus touchés sont les enfants », souligne la biologiste.
Les continents encore plus pollués que les océans
Ces dernières années, le grand public connaissait surtout la pollution au plastique des océans. Mais les chercheurs veulent maintenant attirer l’attention sur celle des continents, encore plus importante. « Même les déserts affichent des quantités immenses de microparticules de plastiques, explique Sophie Duquesne, chercheuse au CNRS et enseignante à Centrale Lille. La pollution n’a pas de frontière, les microparticules de plastique se retrouvent dans l’air et s’infiltrent partout. C’est ce qui explique que la décontamination est si compliquée. »
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Pour les chercheurs, leur rapport remet en question l’idée même que l’utilisation du plastique puisse être un jour soutenable dans le secteur agroalimentaire. « La nécessité d’une réduction de la production de plastique est un constat partagé par la communauté scientifique », partage le rapport.
Le recyclage loin d’être suffisant
Pourtant, la part du plastique recyclé a doublé en quinze ans en Europe. Aujourd’hui, on en recycle un tiers, soit la même proportion que celle du plastique incinéré et celle du plastique enfoui en décharge. Mais cela ne règle pas le problème de la dégradation des emballages en microparticules, et surtout, le recyclage se confronte à des problèmes de taille.
« Ces dernières années, le recyclage devient de plus en plus compliqué car les industriels ont créé des milliers de types de plastiques différents, explique Sophie Duquesne. Même pour les polymères censés être biodégradables, seuls ceux à partir d’amidons le sont vraiment. Mais la plupart du temps, ils sont modifiés et se décomposent très difficilement dans l’environnement. »
Sur la marche à suivre pour réduire l’utilisation de plastique, les scientifiques préfèrent ne pas donner de conseils. « Ce n’est pas notre rôle », avancent-ils. En revanche, ils alertent. « Les décisions devront être éclairées. Avec tant de connaissances disponibles, les dirigeants ne pourront pas dire qu’ils ne sont pas au courant. »