Du lundi 21 octobre au vendredi 1er novembre, des chefs d’États, des délégations diplomatiques et des représentants de la société civile sont attendus à Cali, en Colombie, pour trouver un accord pour lutter contre l’érosion de la biodiversité. Natura Sciences évoque les six enjeux majeurs de cette conférence.
Il y a deux ans, la COP15 a été le théâtre de l’accord historique de Kunming-Montréal. Les États se sont engagés sur des objectifs pour inverser la tendance à l’extinction des espèces. “La COP16 doit maintenant être une COP de tremplin, pour savoir comment atteindre de manière concrète ces objectifs. C’est un moment de vérité sur l’ambition des États”, explique Juliette Landry, responsable de recherche sur la gouvernance internationale de la biodiversité à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
La conférence réunira une nouvelle fois les 195 pays signataires de la Convention sur la diversité biologique (CDB), le traité international adopté lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992. Retour en six questions sur les enjeux qui structurent la COP16.
N°1 : Les pays vont-ils respecter leurs engagements ?
Les 195 États signataires de la Convention internationale sur la diversité biologique s’étaient engagés lors de la COP15 à publier des plans d’action nationaux pour la protection de la biodiversité avant la COP16 de Cali. Le but de ces feuilles de route est de détailler comment chaque État va s’attaquer au problème de la disparition du vivant.
Mais alors que la conférence commence ce lundi 21 octobre, 85 % des pays ne l’avaient pas encore fait au 15 octobre, selon les médias anglophones The Guardian et CarbonBrief. Seuls 21 pays et l’Union européenne avaient présenté leur document. Un chiffre qui a évolué ces derniers jours, puisque plusieurs États ont présenté leur plan dans les dernières heures. Au premier jour de la COP, 32 pays et l’Union européenne ont publié leur feuille de route, ce qui rend l’ambition des pays difficile à évaluer.
Une centaine de pays ont également publié des « cibles nationales ». L’accord prévoit ces documents moins complets, en particulier pour les pays ayant peu de capacités de recherches. Du côté du corps diplomatique français, on se veut optimiste. « D’autres États devraient aussi profiter de la COP pour publier leur plan national« , avance une source au sein du ministère de la Transition écologique.
N°2 – La question des financements bloquera-t-elle l’accord ?
C’est sûrement le point sur lequel il y aura le plus de tensions. Pour lutter contre l’érosion de la biodiversité, la COP15 a fixé comme objectif au niveau mondial d’investir 200 milliards de dollars par an de financements publics et privés. Sur cette enveloppe totale, les pays développés se sont engagés à fournir « au moins 20 milliards de dollars par an d’ici 2025, et au moins 30 milliards de dollars par an d’ici 2030″ aux pays en développement. En plus, les États se sont engagés à supprimer progressivement ou à réformer des financements « néfastes » à la biodiversité à hauteur de 500 milliards de dollars par an.
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Ces deux actions combinées devraient permettre de répondre en quasi-totalité au déficit de financement. Selon une étude menée en 2020, les financements nécessaires à la lutte contre l’effondrement des écosystèmes entre 722 et 967 milliards de dollars chaque année jusqu’à 2030. Ils étaient d’environ 130 milliards de dollars en 2019, selon la même étude.
Les pays du Sud veulent obtenir la création d’un nouveau fonds spécialement dédié à cette question. Mais les pays du Nord, dont la France, ne veulent pas s’engager dans cette voie. Ils font valoir qu’un fonds de protection de la nature existe déjà : le Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Ce dernier dit avoir mobilisé en 18 ans 8,6 milliards de dollars d’investissement directe et 36 milliards de cofinancement. Au sein de cette institution, une succursale spécifiquement liée à la biodiversité, le Fonds-cadre mondial pour la biodiversité (GBFF), a été créée à la suite de la COP15.
Les pays du Sud font valoir qu’en deux ans, seuls 260 millions de dollars ont transité par cette voie. Contacté, le ministère de la Transition écologique français dit « ne pas vouloir créer un fonds à chaque conférence. Notre objectif est l’efficacité et l’amélioration de instruments existants ».
N°3 – À quel point les pays d’Amérique latine vont-ils être les moteurs de cette COP16 ?
Pour la première fois dans l’histoire des COP sur la biodiversité, des chefs d’États sont pressentis pour faire le déplacement. En particulier des gouvernants d’Amérique latine comme le Brésil, le Honduras, le Panama et bien sûr la Colombie, pays organisateur. La nouvelle présidente du Mexique Claudia Sheinbaum, ancienne scientifique du GIEC, pourrait aussi être présente.
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Ils seront aux côtés de gouvernants africains, comme ceux du Ghana et de la Guinée Bissau. « Ça permet de voir que cette COP16 est importante pour les pays en développement, un peu moins pour les pays développés », observe Juliette Landry. La France sera représentée par la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher.
L’axe Brésil-Colombie semble particulièrement engagé. Ces deux pays ont récemment basculé à gauche, avec des gouvernements aux discours forts contre la déforestation en Amazonie et pour les droits des peuples autochtones. Ils en font un outil diplomatique sur la scène internationale. Le président brésilien Lula da Silva plaide notamment depuis des mois dans les sommets internationaux pour une « bioéconomie ».
N°4 – Quels résultats pour la coalition menée par la France et le Costa Rica ?
La Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples, menée par la France et le Costa Rica, est forte de 119 membres. Elle veut pousser pour la mise en œuvre de l’objectif 30×30, qui vise à protéger 30 % des espaces terrestres et 30 % des espaces maritimes d’ici à 2030.
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Cet objectif a été adopté lors de la COP15. Mais il s’agira cette fois de définir les règles encadrant sa mise en place concrète, en particulier concernant les eaux internationales qui n’appartiennent à aucun pays.
N°5 – Y aura-t-il enfin un accord sur l’information de séquençage numérique ?
C’est un sujet de discussion qui revient depuis 2010 et le protocole de Nagoya. Comment faire pour arriver à un juste partage des ressources génétiques ? Ces dernières viennent essentiellement des pays dits « du Sud », car ils abritent une grande part de la biodiversité mondiale. Mais ce sont les pays dits « du Nord » qui en tirent profit, par exemple dans l’industrie pharmaceutique. Dans le même temps, des banques de génomes se sont développées, privant les pays du Sud d’accès à un partage des revenus.
L’idée qui se dessine ces dernières années est la création d’une institution qui regrouperait toutes les données ADN recensées. Les entreprises devraient payer pour y accéder, afin de rémunérer les pays d’origine des ressources. Du côté de la délégation française, on dit soutenir une telle initiative, à une condition : que l’accès à cette institution reste gratuit pour la recherche publique.
N°6 – La sécurité de l’événement sera-t-elle assurée ?
En Colombie, des rebelles affrontent l’armée depuis des années. C’est une branche dissidente des Farcs, une force de guérilla communiste, qui a cette fois menacé la conférence internationale. Sur X, anciennement Twitter, ils ont invité « les délégués de la communauté nationale et internationale à s’abstenir d’assister à la COP16. » Le groupe avait pourtant annoncé une trêve de ses opérations militaires pendant l’événement. Mais les forces armées colombiennes ont lancé une offensive militaire contre des places fortes des rebelles le 12 octobre. Cela n’a pas manqué de raviver les hostilités.
Le président colombien Gustavo Petro s’est voulu rassurant pour la conférence. « La sécurité de la COP est garantie », a-t-il lancé à l’adresse des 12 000 personnes attendues à Cali. L’État a annoncé déployer 10 000 forces de police et 1 600 membres de l’armée nationale.