Le Parlement européen vient de voter sa version de la réforme de la PAC qui s’appliquera dans l’Union à partir de 2023. Une PAC a minima dénoncent plusieurs ONG. Le président de « Pour une autre PAC » analyse le texte pour Natura Sciences.
L’association « Pour une Autre PAC » regroupe 43 organisations. Fédérant des organisations paysannes, des organisations de citoyens-consommateurs, de solidarité internationale, de protection de l’environnement et du bien-être animal, elle œuvre pour une nouvelle politique agricole commune (PAC) ambitieuse, à la hauteur des défis de la décennie. Son président Mathieu Courgeau, éleveur de vaches laitières en Vendée, répond à nos questions sur la réforme en cours de discussion.
Natura Sciences : Pourquoi est-il important d’avoir une PAC ambitieuse ?
Mathieu Courgeau : La PAC est principalement un instrument de versement des subventions aux agriculteurs. C’est un outil très structurant pour toute l’agriculteur et l’alimentation. Il y a un vrai besoin que la PAC ne soit pas juste un guichet de distribution d’argent public, mais oriente les modèles agricoles. Les discussions actuelles concernent les règles de la PAC qui s’appliqueront à partir de 2023. À notre sens, il y a de vrais défis à relever. Dans plusieurs secteurs, les agriculteurs connaissent une réelle problématique de revenus. Il y a aussi une problématique de renouvellement des générations et d’emplois sur les territoires. Nous avons perdu quasiment la moitié des paysans depuis une vingtaine d’années. D’ici 10 ans, la moitié des agriculteurs partira à la retraite. Enfin, il y a d’importants défis environnementaux, climatiques et liés à la biodiversité.
Une grande majorité des agriculteurs sont dépendants des aides de la PAC, en particulier en élevage et en cultures céréalières. Par nature, les marchés agricoles sont très instables et soumis à des fluctuations importantes. C’est un secteur tellement stratégique que la puissance publique doit intervenir. Dans les années 1950, le choix qui avait été fait était d’intervenir sur les marchés avec un accompagnement sur les prix, puis, avec la gestion de l’offre selon la méthode des quotas. Ces outils ont été démantelés sous la pression de l’Organisation mondiale du commerce pour s’aligner sur les prix internationaux dans les années 1990 et 2000.
L’agriculture européenne n’étant pas compétitive face aux importations de pays émergents ou en développement, il faut donner des aides aux agriculteurs si l’on veut conserver une force de production en Europe, car les protections aux frontières sont très faibles. Même avec les aides de la PAC, il faut de la régulation aux frontières européennes et plus de répartition de valeurs au sein des filières. Les accords de libre-échange amplifient ces sujets.
Quelles sont les aides de la PAC et les montants en jeu ?
Le première critère de distribution des subventions de la PAC repose sur les surfaces. Plus un agriculteur exploite de surfaces, plus il reçoit de subventions. Les exploitations sur de petites surfaces comme les maraîchers ou les petits viticulteurs touchent très peu d’aides de la PAC. C’est donc ce critère qui concourt à l’agrandissement des fermes, à la concentration des productions et à l’abandon de l’élevage au profit des céréales. Il faudrait plutôt calibrer la distribution des aides de la PAC en fonction de l’intérêt général, de l’emploi et de la transition agroécologique.
En France, la PAC verse environ 9 milliards d’euros d’aides chaque année aux agriculteurs. Au niveau européen, c’est environ 58 milliards d’euros par an. La PAC repose sur deux piliers. Le premier concerne les aides découplées de la production – les aides directes liées à la surface cultivée-, ainsi que les aides couplées à la production – fonction du nombre de vaches allaitantes ou laitières, mais aussi la production de protéagineux ou de légumes d’industrie. Le deuxième pilier concerne le développement rural et l’environnement. Il comprend l’indemnité compensatoire d’handicap naturel (ICHN) pour les zones défavorisées et les zones de montagne, les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), ainsi que les mesures d’aides à l’agriculture bio, les aides à l’investissement et à l’installation de jeunes agriculteurs.
Le budget de la PAC se répartit à 70% sur le premier pilier et à 30% sur le deuxième. Les aides à la surface représentent environ 65% des aides, les MAEC autour de 10%, l’ICHN autour de 10%, les aides couplées à la production encore autour de 10% et plusieurs petites aides autour de 5%.
Sur quels aspects portent les négociations en cours ?
Trois textes définissant la prochaine PAC à partir de 2023 sont en cours de discussion. Le premier concerne les plans stratégiques, l’architecture environnementale de la PAC, la conditionnalité des aides et leur redistribution. Le deuxième définir les règles de l’organisation commune des marchés pour la régulation des marchés et le soutien à des filières particulières. Le troisième est le règlement horizontal pour définir son cadre, ses mécanismes de fonctionnement et de contrôle.
Après une version proposée mercredi dernier par le Conseil européen, regroupant les ministres de l’agriculture, le Parlement européen a voté sa version vendredi. Dans la suite des événements, le texte sera discuté dans un trilogue. Ces discussions entre Commission, Parlement et Conseil devraient aboutir au printemps 2021. Le cadre européen sera alors finalisé.
Actuellement, il n’y a pas de cap clair qui est donné. Beaucoup de mesures sont à la carte, facultatives. Il n’y a pas de mention claire au Pacte Vert européen. Chaque pays pourra faire à sa sauce. Le risque est qu’il y ait 27 PAC différentes, avec des pays qui sont sur un marché commun. Simplement, dans le vote des eurodéputés, il y a des avancées sur la gestion de l’offre et des outils de régulation des crises.
Les écorégimes constituent une tentative de verdir le premier pilier de la PAC. Quelle est la part du budget qui leur est attribuée ?
Probablement un peu plus de 20% du budget du premier pilier, ce qui est largement insuffisant à nos yeux. Nous proposions 40%. De plus, la liste de mesures que chaque État membre pourra utiliser dans cet ecorégime est pour l’instant très large et ne comprend même pas l’agriculture biologique comme une mesure obligatoire par exemple. De manière générale, la nouvelle mouture de la PAC donnera plus de flexibilités aux États membres. L’ambition environnementale dépendra beaucoup de chaque État membre.
La PAC ne prend pas en compte le Pacte Verte de manière contraignante. Avec une plus grande latitude donnée aux Etats membres, chacun d’entre eux devra rendre un Plan stratégique national (PSN). C’est la déclinaison dans chaque État membre de la PAC. Les eurodéputés ont voté un amendement pour qu’il soit conforme au Green Deal. Les pays doivent travailler sur ces plans en parallèle des travaux du trilogue européen. Ils devront donc faire quelques ajustements pour que la PAC s’applique au 1er janvier 2023. L’ambition finale de la PAC dépendra beaucoup de chaque Etat membre et du montant des subventions transférées du premier au second pilier.
Les aides seront-elles plafonnées ?
Nous demandions un plafonnement de l’ensemble des aides à 50.000 euros. En juin 2018, la Commission européenne proposait d’avoir une dégressivité des aides directes liées au premier pilier, à partir de 60.000 euros, avec un plafond à 100.000 euros. Les ministres de l’agriculture européens sont d’accord sur ces chiffres mais rendent ce dispositif facultatif. Les eurodéputés veulent le rendre obligatoire. Le trilogue donnera le fin mot de l’histoire.
Le plafonnement concernerait les fermes de plus de 500 hectares. Les pays d’Europe de l’Est sont strictement opposées à cette mesure car elles comprennent plusieurs très grandes fermes. Mais cette disposition toucherait très peu d’agriculteurs en France. Ce sujet a toujours du mal à aboutir, nous avons conscience d’avoir perdu la bataille sur ce point.
Finalement, comment jugez-vous l’ambition du texte voté par le Parlement ?
Cela dépend du référentiel que vous considérez, la PAC 2014-2020 ou ce qu’il faudrait faire ? Il y a quelques petites avancées par rapport à la PAC précédente, mais cela dépendra beaucoup de ce que feront les États membres. Le référentiel de « Pour une autre PAC » repose sur les défis de la décennie à venir. On sait que le changement climatique s’accélère et que plus les mesures ambitieuses tardent, plus l’adaptation sera compliquée. Le défi concerne aussi la biodiversité, le renouvellement générationnel des agriculteurs partant à la retraites. Le texte n’est ainsi pas du tout à la hauteur des défis à venir.
Propos recuillis par Matthieu Combe