Marie-Monique Robin, journaliste d’investigation, réalisatrice et autrice, se livre sur son nouveau documentaire « La fabrique des pandémies ». Un film présenté en avant-première le 22 avril à la maison de l’UNESCO. La réalisatrice nous parle du lien entre la destruction de la biodiversité et l’émergence de maladies.
Le monde, en pleine pandémie de Covid-19, n’est pas au bout de ses peines. Pour la réalisatrice, prix Albert-Londres en 1995, le lien entre l’émergence de maladies et la destruction de la biodiversité ne fait plus aucun doute. Dans son livre « La fabrique des pandémies », paru en 2020 et appuyé par 62 scientifiques, l’écrivaine alerte sur une future ère de pandémies. Ces dernières années, la journaliste a préparé l’adaptation du livre en documentaire. Alors que l’humanité fait face au Covid-19 depuis la fin de l’année 2019, le pire pourrait être à venir. Le film sera disponible le 22 mai 2022, d’abord sur Ushuaïa TV, ensuite sur France Télévisions outre-mer ».
Une ère de pandémies
Marie-Monique Robin travaille sur diverses questions liées à l’écologie depuis des années. Mais elle ne s’était jamais plongée dans la question du rôle de la biodiversité sur la santé. « Au début de la pandémie j’ai lu un article dans The New York Times. Il expliquait que nous étions à l’origine de la Covid-19. Je me suis alors demandé de quoi il s’agissait. J’ai commencé à contacter un scientifique, Serge Morand, qui travaille pour le CNRS en Thaïlande. C’est un écologue de la santé qui travaille depuis des années sur les liens entre biodiversité, santé, destruction de la biodiversité et l’apparition de maladies infectieuses ou de maladies virales émergentes », détaille Marie-Monique Robin.
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Voilà comment, petit à petit, l’écrivaine a interviewé des scientifiques sur cinq continents. « Ils m’ont tous expliqué qu’ils savaient que cette pandémie allait arriver. Que la cause en seraient les activités anthropiques, humaines, et la pression exercée sur les écosystèmes, notamment par la déforestation », explique-t-elle. Elle ajoute : « Les activités dans les mines, l’agriculture industrielle, les monocultures, l’élevage, l’urbanisation, tout cela provoque l’émergence de maladies infectieuses. Avec Serge Morin nous nous sommes rendus compte que nous étions entrés, dans ce que les scientifiques appellent, une ère de pandémies. »
La Covid-19, une pandémie de plus
La Covid-19 sévit et paralyse le monde depuis la fin d’année 2019. Pourtant, ce n’est pas le premier à être le fruit pourri de l’humanité. « Aujourd’hui nous sommes focalisés sur la Covid-19 », note la journaliste. Cette pandémie n’est pourtant pas la première à trouver son origine dans l’activité humaine.
En réalité la liste de virus graves, apparus avant la Covid-19, et liés à la destruction de notre environnement est longue. « Il y a Ebola, qui sévit depuis 1976. Ce virus est lié à la chauve-souris. Il y a le Sida, dont on a oublié qu’il s’agit d’une maladie d’origine animale et émergente. Il y a Zika, le chikungunya, la fièvre hémorragique du Congo, la fièvre de la Save, la liste est très longue », souligne-t-elle.
L’émergence d’un virus
L’enquêtrice nous explique alors, à travers l’exemple du virus Nipa, le « circuit » de l’émergence d’un virus d’origine anthropique. « Le virus Nipa est une maladie intéressante, dans le sens où il résume bien l’émergences de maladies infectieuses« , commence-t-elle.
Le virus Nipa est apparu à la fin des années 90, lors de la déforestation de l’île de Bornéo pour implanter des monocultures de palmiers à huile. « Et du coup, les chauves-souris qui vivaient dans cette forêt, ont été obligées de s’enfuir, évidemment parce qu’on détruisait leur habitat naturel », explique-t-elle. Elle précise : « À savoir que les chauves-souris sont, avec les rongeurs et les primates, les principaux réservoirs d’agents pathogènes potentiellement dangereux pour les humains et les études scientifiques montrent que lorsqu’elles sont contraintes de s’enfuir, elles entrent en état de stress, puis se mettent à excréter les virus dont elles sont porteuses« , explique Marie-Monique Robin.
« Les chauves-souris se mettent donc à excréter les virus par les urines, par les excréments. Ainsi elles contaminent des animaux sauvages qui passent par-là, ou des fruits. Par exemple, dans mon histoire, elles se sont rabattues sur les côtes malaisiennes. On y avait planté des monocultures de manguiers au-dessus de fermes porcines industrielles. Les chauves-souris mangent alors les mangues qui tombent et contaminent les cochons. Les cochons sont très proches de nous, nous partageons 95% de nos gènes avec eux. En conséquence ils sont un pont biologique parfait pour transmettre le virus à l’homme », dit-elle.
La déforestation responsable de l’émergence de pandémies
« Il faut savoir dans un premier temps que les agents pathogènes ne sont pas distribués par hasard sur cette planète », explique Marie-Monique Robin. Dans la nature, il n’y a pas de place pour les coïncidences, chaque organisme joue son rôle.
« Il y a beaucoup de pathogènes là où il y a une grande diversité végétale et animale. C’est ce qu’on appelle les ‘hotpot’s [points chauds, ndlr] de biodiversité, situés en Amérique latine, en Asie, en Afrique », précise-t-elle. « J’ai filmé récemment en Guyane, en Amazonie ou au Gabon, dans la forêt tropicale. La faune sauvage y est riche, il y a des arbres et des plantes. Il y a donc aussi beaucoup d’organismes, de micro-organismes, qui peuvent être des bactéries, des virus et des parasites », explique l’écrivaine. « On pourrait se dire qu’il faut raser les forêts pour se défaire de ces menaces de virus qui s’y trouvent, ou alors exterminer les chauves-souris. Mais bien sûr, des centaines d’études prouvent que ces agents pathogènes qui sont à l’œuvre dans ces forêts, sont notre équilibre et opèrent à bas bruit », explique-t-elle.
Selon la journaliste, rompre cet équilibre veut dire s’exposer à de grandes menaces. Comme avec Nipa. « Prenons également l’exemple de la maladie de Lyme, qui est transmise par des tiques, qui sont elles-mêmes infectées par une bactérie dont le réservoir est toujours un rongeur : la souris à pattes blanches », souligne-t-elle. « J’ai récemment rencontré des scientifiques américains qui m’ont parlé de l’effet dilution. C’est-à-dire, lorsqu’on perturbe une forêt, qu’on la fragmente, en parcelles par exemple, certains prédateurs disparaissent et laissent proliférer ces rongeurs porteurs de la maladie de Lyme« , détaille-t-elle.
« Et donc, si une tique porteuse de la bactérie liée à la maladie de Lyme attend un animal à piquer et qu’elle ne trouve que ces souris à pattes blanches, le virus va se répandre. Alors qu’une grande diversité autour des tiques réduit le risque de transmission. La déforestation et plus globalement l’activité de l’homme dans nos forêts, est une des causes de l’émergence de maladies infectieuses. »
Un documentaire porté par Juliette Binoche
Plusieurs partenaires et organismes de recherche cofinancent le documentaire. Le Cirad, l’IRD, l’Office français de la biodiversité, L’UNESCO, le Muséum d’histoire naturelle, une mutuelle forestière et par les citoyens. « Notre idée, c’est que ce film soit porté par toute une série d’acteurs, y compris au niveau financier. Parce qu’à terme, nous aimerions, après avoir fait la tournée des cinémas, que ce film soit en libre accès, et dans les huit langues de l’Unesco. »
Ce documentaire est porté par l’actrice Juliette Binoche. « Dans ce film, Juliette Binoche, un peu candide face aux scientifiques du documentaire, joue un rôle de vulgarisation », explique-t-elle. Elle oblige, en quelque sorte, les scientifiques à déconstruire leur propos pour qu’il soit davantage lisible chez les oreilles des néophytes. Au final, ce film alerte sur le risque d’émergence de virus susceptibles d’être bien plus dangereux que la Covid-19.